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Le Mali : retour sur un conflit qui dure

Embrassades, sourires, joie apparente et portraits présidentiels tenus au bout des bras, pouvait-on voir dans les rues de Bamako quand, en janvier 2013, le président de la République française, François Hollande, annonçait le début de l’opération Serval, intervention militaire au Mali pour lutter notamment contre les séparatismes et le terrorisme présents dans la région. Pourtant, huit années plus tard, la France se retire du Sahel malien avec un bilan en demi-teinte : certes, d’un côté les opérations Serval puis Barkhane ont largement contré les velléités terroristes et ont empêché des groupes comme Al-Qaïda au Maghreb Islamique (AQMI) de s’emparer de villes stratégiques comme Tombouctou ou Gao, mais d’un autre côté la France n’est pas parvenue à éliminer complètement ses ennemis de la région. Alors, que tirer de ces dernières années de conflit ? Que s’est-il passé exactement au Sahel et au Mali ? Retour sur un conflit qui dure.

Au fondement du conflit malien, une instabilité politique

« On fait la politique de sa géographie » disait Napoléon Ier. Il convient donc d’aborder les différents aspects géographiques du Mali qui expliquent en grande partie comment une scission a pu se produire. Le Mali est un État dont les frontières sont héritées de la colonisation française, frontières qui mettent le Mali à cheval sur le Sahel, région désertique au Nord du pays aussi appelée Azawad, et au Sud, sur une région plus tropicale. Cette disparité territoriale a déjà été par le passé source de tensions entre les régions maliennes, étant donné que le Nord est de façon générale plus pauvre que le Sud. En effet, les 3 régions du Nord du Mali cumulent uniquement 2% du PIB national pour 2/3 du territoire, et ce, quand bien même le sous-sol est particulièrement riche en hydrocarbures, en or ou encore en uranium. De plus, le peuple malien est très diversifié d’un point de vue ethnique, étant donné que dans la partie Sud (91% de la population totale) différents groupes sub-sahariens cohabitent, comme les Peuls ou les Bambaras, tandis qu’au Nord on compte surtout la présence des Touaregs, groupe nomade se sentant en marge du pays. Le Mali n’est donc pas un Etat homogène, ce qu’il faut bien garder à l’esprit lorsqu’on aborde ce genre de tensions internes. Un seul facteur d’unité est à relever, c’est la présence de l’Islam sunnite puisque 95% des Maliens se reconnaissent dans cette religion. Un autre facteur de déstabilisation qu’il faut soulever est la chute du régime de Kadhafi en Libye. En effet, la faillite de l’État d’Afrique du Nord causée par le vide laissé par la perte de son dictateur a incité de nombreux Touaregs armés à quitter la Libye pour s’installer dans d’autres pays voisins au Sahel, dont le Mali. Le conflit au Mali a donc été provoqué également en partie par l’instabilité politique régionale déjà présente auparavant.   

C’est dans ce contexte que début 2012, le Mouvement National de Libération de l’Azawad (MNLA) a débuté une série d’attaques, soutenue par AQMI et d’autres groupes djihadistes, sur les grandes villes du Sahel malien (Tombouctou, Gao et Kidal notamment) pour réclamer l’indépendance de l’Azawad. Peu après, le président et ancien général Amadou Toumani Touré est renversé par un coup d’État mené par la junte militaire, qui dénonce son manque de réaction concrète et efficace face à la menace du MNLA. En d’autres termes, l’instabilité politique et les séparatismes régionaux du Mali sont à l’origine de ce conflit civil qui a créé en très peu de temps un cercle vicieux déstabilisant davantage le pays et permettant à des groupes armés (AQMI bien sûr, mais aussi Ansar Dine ou Mujao par exemple) de s’installer de façon pérenne dans le Sahel. Ces groupes armés menacent de fait  les intégrités territoriales, non pas seulement du Mali, mais également des pays voisins tels que le Tchad, le Burkina Faso ou encore le Niger. C’est ainsi qu’en 2013, la France est intervenue, à la fois dans le cadre de la lutte contre les terrorismes sur demande du Mali, qui avait lancé un appel à l’aide, mais aussi pour des raisons de défense de ses propres intérêts stratégiques, puisque les différents groupes armés faisaient pression sur les exploitations françaises d’uranium au Niger, État frontalier de la partie sahélienne du Mali.

Les opérations Serval et Barkhane, des réussites nuancées

L’entrée en guerre de la France a été vécue comme un soulagement par de nombreux Maliens. En effet, le pays avait connu en très peu de temps un début de guerre civile, un coup d’État militaire et un couvre-feu imposé par le nouveau gouvernement, tout cela sur fonds de tensions armées. L’intervention française dans le cadre de l’opération Serval, couplée avec le soutien humain et logistique du Tchad, devait permettre au conflit de se régler très rapidement. A cette aune, l’arrivée de la France a été validée par l’ONU et un sondage fait par Al-Jazeera en 2013 révèle que 96% des Maliens soutenaient la France dans son entreprise. En bref, un véritable plébiscite appelait l’Hexagone à agir pour aider le Mali. 

Pourtant, si l’opération Serval a eu de réels effets concrets dans la lutte contre AQMI et le MNLA, force est de constater qu’au bout d’un an, les impacts de cette mission ont été limités à quelques frappes aériennes. La coalition menée par la France a bel et bien empêché les groupes armés non-étatiques de s’implanter de façon définitive dans le Sahel, mais ceux-là sont encore présents en 2021 et menacent encore l’intégrité du Mali et la stabilité de la région. En août 2014, Serval est remplacée par Barkhane. La différence ? L’opération Serval était limitée au Mali, tandis que l’opération Barkhane a étendu ses capacités aux voisins du Sahel afin de lutter plus globalement contre AQMI. D’une façon générale les résultats ont été les mêmes qu’avec Serval : un impact régional limité des djihadistes, mais des djihadistes qui parviennent tout de même à exister.

Alors pourquoi la France est-elle intervenue militairement dans un État qui lui est pourtant si lointain ? Il y a en réalité plusieurs raisons à la fois simples et pragmatiques qui ont poussé l’Hexagone à s’engager dans le conflit interne malien. En premier lieu, nous le disions plus tôt, la France possède des exploitations de mines d’uranium au Niger, quatrième producteur mondial, qui sont directement menacées par la présence de groupes terroristes armés dans la région du Sahel. Plus précisément, c’est Areva, société d’énergie appartenant à l’État français, qui détient deux mines d’uranium près d’Arlit. Rappelons-le, la France est le pays le plus nucléarisé au monde. C’est donc d’abord dans un intérêt stratégique et de protection de ses intérêts énergétiques directs que la France est intervenue dans le Sahel.

Le second intérêt français au Mali est, lui, beaucoup plus implicite. En effet, intervenir militairement avec succès en Afrique est une façon pour la France d’affirmer son hard power sur la scène internationale et est un puissant moyen de confirmer sa place dans le club des grandes puissances mondiales en tant que membre permanent du Conseil de sécurité des Nations Unies. Le fait d’envoyer son armée en Afrique n’est d’ailleurs pas anodin. En 1979, Christian d’Epenoux et Christian Hoche écrivaient déjà, dans un article pour le compte du journal l’Express, que « l’Afrique est le seul continent où, avec cinq cents hommes, la France peut encore changer le cours de l’Histoire ». Il est vrai que dans les années 80, la France avait cessé d’intervenir ailleurs que dans l’ancienne « Françafrique », son ex-espace colonial, qui a pendant longtemps été sa véritable chasse gardée comme a pu l’être par le passé l’Amérique Latine aux yeux des États-Unis d’Amérique. Et ce fait se vérifie encore aujourd’hui : certes la France reste l’un des seuls pays encore capables au XXIème siècle de se projeter militairement, logistiquement et humainement sur tous les continents du globe, mais dans la réalité, elle n’est plus intervenue qu’en Afrique, son espace proche, et ce quand bien même d’autres espaces proches de ses bases implantées dans ses territoires d’outre-mer ou à l’étranger auraient été menacés par le djihadisme par exemple. Oui, la France s’est engagée en Syrie, mais l’on ne peut parler d’un engagement de la même ampleur que l’opération Barkhane. De fait, l’Afrique, et le Mali en l’occurrence, fait bien office de terrain de chasse pour la France, puissance historique qui cherche à s’accrocher à son statut.

Le retrait français du Mali

Le jeudi 10 juin 2021, Emmanuel Macron, président de la République Française depuis 2017, qui a donc hérité de son prédécesseur l’engagement français au Mali, a déclaré que l’Hexagone allait entreprendre un retrait progressif de ses troupes en poste au Mali. Actuellement, environ 5100 soldats français sont présents dans le Sahel dans le cadre de l’opération Barkhane. Le but du président français n’est pas de retirer totalement la France de son entreprise militaire contre les groupes terroristes régionaux, mais plutôt de modifier cette présence en baissant le nombre d’hommes pour proposer un soutien uniquement logistique au Mali. La raison première de ce changement de stratégie est en vérité un constat très simple : depuis plusieurs années, le conflit s’est embourbé et rien n’a évolué, rendant la présence militaire française moins légitime aux yeux de la communauté internationale.

En second lieu, d’autres facteurs internes au Mali ont provoqué cette décision française. Depuis 2012, le Mali est un État instable sur le plan politique. Cela a résulté en plusieurs tentatives, plus ou moins réussies, de renversement du pouvoir en place, par des civils comme des militaires. Toutefois, pour la seule année 2021, le Mali a connu deux coups d’États réalisés avec succès menés par diverses branches de l’armée locale, confirmant d’abord que l’État devrait se construire à l’avenir autour de la junte militaire, et plus globalement autour de l’armée tout entière, mais surtout empêchant la France de savoir qui elle soutient réellement dans ce conflit. Car en effet, le dernier gouvernement qui a pris le pouvoir a annoncé vouloir parlementer avec AQMI pour aboutir à des accords de cessez-le-feu, ce que la France juge intolérable à la vue des récentes exactions commises par les groupes djihadistes sur son sol dans les dernières années (attentats de Charlie Hebdo ou du Bataclan perpétrés par l’État Islamique pour ne citer qu’eux). C’est pourquoi la France souhaite se retirer du Mali dans les mois à venir.

En réalité, le conflit malien est très intéressant d’un point de vue géopolitique pour la France, puisqu’il montre les limites de la capacité d’intervention de la France en dehors de son territoire, et de manière plus générale, de la capacité des grandes puissances à agir à l’étranger. Nous ne vivons en effet plus dans un monde colonial et/ou bipolaire. Lorsque les Nations Unies tolèrent une intervention armée d’un pays dans un autre, cela se fait dans un certain cadre qui est plutôt restrictif. En fait, si la France a le pouvoir de venir s’implanter militairement en Afrique pour défendre ses intérêts stratégiques propres et combattre le terrorisme, elle n’est en aucun cas capable de s’assurer que le gouvernement local en place soit de son côté tout du long du conflit. En d’autres termes, la France, ou n’importe quel autre pays, ne peut influer directement sur le gouvernement d’un État étranger souverain au regard du droit international, principe dicté dès les traités de Westphalie du XVIIème siècle. Sinon, il s’agit là véritablement d’une déclaration de guerre. En fait, le conflit malien est un révélateur du changement de codes dans la géopolitique de l’échiquier international : on ne peut plus aujourd’hui exercer une influence politique sur un État étranger sans se mesurer à la communauté internationale. Dès lors, la France ne pouvait que lutter contre les groupes armés du Sahel en espérant que le soutien des États de la région perdurent jusqu’au bout de la guerre.

Voilà donc la leçon que l’on peut tirer du conflit malien : le monde a changé, et les cartes de la domination mondiale ont bel et bien été rebattues. La France, comme la plupart des grandes puissances historiques, a atteint certaines de ses limites, et il faut donc repenser l’approche de la puissance pour pouvoir continuer à exercer une influence sur le monde.

Par Jacques Mainguy Durieu, membre de Diplo’Mates

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Sources : Arte (Le dessous des cartes), Le Parisien, les Echos, l’Express, BFMTV, France 24, Wikipédia