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Perspectives de l’informatique quantique

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Certains chercheurs pensent que les ordinateurs quantiques ne seront jamais vendus au grand public. D’autres pensent que si, ou du moins qu’on pourra les utiliser. Quoi qu’il en soit, vous qui lisez cet article n’aurez probablement jamais d’ordinateur portable quantique posé sur votre bureau. Alors pourquoi l’informatique quantique est-elle considérée comme la prochaine révolution informatique ?

Pour rappel, l’informatique quantique repose sur les principes de la mécanique quantique. Alors qu’un ordinateur classique manipule des bits – qui peuvent prendre la valeur 0 ou 1, les ordinateurs quantiques manipulent des bits quantiques, ou q-bits. Selon le principe de la superposition d’états quantiques, un q-bit prend à la fois la valeur 0 et 1. La superposition d’états et l’intrication quantique, qui consiste à lier l’état de deux q-bits, permettent en particulier de réaliser les calculs en parallèle et donc d’obtenir l’ensemble des résultats possibles en même temps. Autrement dit, les ordinateurs quantiques permettent de réaliser des calculs extrêmement complexes qui demanderaient actuellement des millions d’années aux ordinateurs classiques les plus puissants du monde.

L’informatique quantique, pour quoi ?

Les ordinateurs quantiques sont a priori destinés à certains calculs mathématiques que l’on ne peut pas résoudre à l’échelle d’une vie humaine avec un ordinateur classique, car le nombre d’opérations est TRÈS grand. Dans un article précédent, nous évoquions le problème du voyageur de commerce en introduction. Si n est le nombre de villes que le voyageur de commerce doit visiter, alors pour déterminer l’itinéraire le plus optimal il faudra réaliser 0,5*(n-1)! opérations. Avec 30 villes, il faudrait ainsi réaliser plus de 4*1030 opérations. Or les ordinateurs actuels les plus puissants sont capables de réaliser environs 1017 opérations à la seconde. Avec de telles machines, cela prendrait approximativement 4*1013 secondes, à savoir environ 1,2 millions d’années ! Avec un ordinateur quantique, cela ne prendrait que quelques minutes.


Le problème du voyageur de commerce n’est pas le seul problème mathématique qui bénéficierait de la puissance des ordinateurs quantiques. Ces problèmes semblent très abstraits mais ils ont en réalité des applications bien concrètes. Dans le cas du problème du voyageur de commerce, cela concerne la logistique, l’optimisation du mouvement des machines, le séquençage du génome, ou encore les tests de circuit imprimés.

L’informatique quantique aura beaucoup d’applications. Au centre de ces applications, il y a principalement deux idées : établir tous les scénarios possibles et déterminer la solution la plus optimale.

Le machine learning. Durant la phase d’entraînement des réseaux de neurones, la puissance des ordinateurs quantiques pourrait accélérer considérablement la vitesse d’apprentissage. Plus globalement, l’informatique quantique serait utile dans le domaine de l’IA pour traiter la quantité de données faramineuse du Big Data.

Le cryptage des données. D’une part, les chiffrements issus d’ordinateurs quantiques pourraient se révéler extrêmement sûrs. D’autre part, les principes de la mécanique quantique permettent de savoir si l’intégrité d’un message chiffré est compromise. Pour décrypter un message chiffré en q-bits, il faut effectuer des mesures, ce qui altère l’état du système quantique. Si le message est intercepté, le destinataire et l’émetteur le sauront.

Le secteur de la défense. Grâce à la distribution de clés quantiques, la cryptanalyse quantique et la détection quantique, les ordinateurs quantiques pourraient améliorer la sécurité des communications. De même, ils pourraient améliorer la précision des mesures et des capteurs, par exemple pour détecter le mouvement de sous-marins sous l’eau.

Les télécommunications. Les réseaux quantiques, les infrastructures quantiques et l’internet quantiques sont actuellement à l’étude.

L’énergie. L’informatique quantique permettrait de déterminer la distribution géographique des générateurs d’énergie la moins chère, en fonction de la demande d’énergie et des ressources disponibles.

L’agriculture. L’informatique quantique pourrait être utilisée pour améliorer les méthodes agricoles face à la hausse globale de la demande alimentaire

Le réchauffement climatique et la météorologie. Les ordinateurs pourront non seulement établir de meilleures prévisions météorologiques, mais également traiter la réduction de l’empreinte carbone.

Le secteur de la santé. Créer de médicaments plus adéquats grâce à une meilleure simulation moléculaire et prescrire des médicaments de façon plus pertinente, voilà ce que pourront par exemple faire les ordinateurs quantiques dans le domaine de la santé. En outre, une plus grande efficacité de l’intelligence artificielle permettra de mieux diagnostiquer les maladies.

La recherche en physique quantique. Les ordinateurs quantiques pourront paradoxalement aider les chercheurs à mieux comprendre la physique quantique et la physique des particules, car ils pourront les simuler.

Le secteur de la finance. Les ordinateurs quantiques pourront réaliser de bien meilleures prévisions financières puisqu’on pourra exploiter toutes les possibilités. Ils réduiront également le risque d’erreur et représenteront un gain de temps en identifiant la meilleure solution.

L’exemple de l’algorithme de Shor : le système RSA en danger ?

En 1977, Ron Rivest, Adi Shamir et Léonard Adleman ont créé un algorithme de cryptographie qui permet d’échanger des données confidentielles en toute sécurité via internet. Ce chiffrement est fondé sur la factorisation d’un entier (qui, en langage binaire, contient entre 1024 et 2048 bits) en nombres premiers. Ce système est considéré comme sûr car trouver les deux nombres entiers qui, multipliés, donnent la clé de chiffrement prendrait un milliard d’années avec un ordinateur classique.

Mais en 1994, Peter Shor crée un algorithme quantique capable de résoudre ce problème avec une probabilité proche de 1 en seulement une centaine de secondes. L’informatique quantique a donc, en théorie, de quoi faire trembler la cryptographie classique.

L’informatique quantique : pour quand ?

Timelapse : la course à l’informatique quantique

L’historique de l’informatique quantique est intéressante dans la mesure où elle permet de se rendre compte qu’une véritable course s’est engagée.

En 1994, Peter Shor, chercheur chez AT&T, développe un algorithme quantique qui permet de factoriser de très grands en très peu de temps. Il montre par la même occasion que les ordinateurs quantiques ont une véritable utilité.

En 1996, Lov Grover invente un algorithme quantique qui permet de trouver une entrée dans une base de données non classée en très peu de temps et avec très peu d’espace de stockage. Cet algorithme pourrait en théorie permettre de résoudre certains problèmes dits de classe NP.

En 1998, IBM est le premier à présenter un ordinateur quantique de 2 q-bits. En 1999 et 2000, l’équipe d’IBM utilise l’algorithme de Grover sur des ordinateurs quantiques de 3 puis 5 q-bits. En 2001, l’entreprise crée un ordinateur quantique de 7 q-bits et factorise le nombre 15 grâce à l’algorithme de Shor.

En 2007, D-Wave annonce avoir créé un ordinateur quantique à 16 q-bits. Quatre ans plus tard, la société commercialise le premier ordinateur quantique avec un processeur de 128 q-bits. Mais la machine ne fonctionne que pour un seul type d’algorithme et ne présente pas d’avantages par rapport à un ordinateur classique.

En 2013. Google inaugure le Quantum Artificial Intelligence Lab, hébergé par le Centre de recherche Ames de la NASA, avec un ordinateur quantique D-Wave 512 q-bits.

En 2016, IBM met à disposition des moyens de calculs quantiques sur Internet.

En parallèle, une équipe de l’Université du Maryland construit le premier ordinateur quantique reprogrammable.

La même année, Atos lance Atos Quantum, un programme de simulation de calcul quantique “pour permettre aux chercheurs de tester dès maintenant des algorithmes et des logiciels pour les futurs calculateurs quantiques”.
Enfin, Microsoft annonce que l’informatique quantique est désormais en tête de ses priorités et qu’elle lui voit davantage d’avenir qu’aux PC.

En 2017, D-Wave commercialise le D-Wave 2000q, avec un processeur quantique de 2000 q-bits et dont les tests ont montré qu’il était 1 000 à 10 000 fois plus rapide qu’un ordinateur classique sur un type d’algorithme spécialement conçu pour lui.

La même année, IBM annonce avoir créé un ordinateur quantique de 17 q-bits et Intel un circuit de calcul quantique de 17 q-bits. IBM annonce également avoir réussi à faire fonctionner un calculateur à 50 q-bits pendant 90 microsecondes, et atteint ainsi le seuil théorique de la suprématie quantique.  Google parle d’atteindre la suprématie quantique la même année grâce à une grille quantique de 49 q-bits.

En 2018, Intel dévoile un calculateur à 49 q-bits ; Google un processeur quantique de 72 q-bits ; Atos une version 41 q-bits de son simulateur quantique, le Atos Quantum Learning Machine.

En 2019, IBM dévoile le premier ordinateur quantique « compact » de 20 q-bits tandis que Google annonce avoir atteint la suprématie quantique, en partenariat avec la Nasa et le Laboratoire national d’Oak Ridge au moyen d’un ordinateur de 53 q-bits, victoire réfutée par IBM.

En 2020, Atos annonce la sortie d’un Simulateur de Recuit Quantique, qui est l’une des voies technologiques de l’informatique quantique, avec les portes quantiques universelles.

Penetrating Hard Targets. En 2014, les documents fournis par Edward Snowden au Washington Post révélaient que la National Security Agency (NSA) possédait un programme de recherche dont le budget s’élève à 79,7 millions de dollars et dont le nom est Penetrating Hard Targets. Le but est de développer un ordinateur quantique afin d’accéder aux communications cryptées d’entreprises ou d’autres Etats. Rien de bien surprenant, mais la mise au jour de ce programme montre que comme n’importe quelle autre technologies, l’informatique quantique va soulever un certain nombre d’enjeux. Les documents indiquaient également que la NSA était loin d’obtenir une telle machine.

Les champions de la suprématie quantique

La suprématie quantique est le nombre de q-bit au-delà duquel aucun superordinateur classique n’est plus capable de simuler son équivalent quantique. 50 q-bits correspondrait théoriquement au seuil de la suprématie quantique. IBM l’a atteint pendant 90 secondes en 2017, Intel l’a frôlé en en 2018 avec un processeur à 49 q-bits. En 2019, Google aurait enfin réussi l’exploit grâce à un processeur quantique de 50 q-bits, qui permet de réaliser en 3 minutes 20 un calcul qui aurait demandé 10 000 ans au Summit d’IBM, meilleur super-ordinateur du monde. Mais il n’a certainement pas fallu 10 000 ans à IBM pour réagir : dès le lendemain, IBM rejetait la victoire de Google, en expliquant qu’il était possible pour le Summit de réaliser le calcul en 2 jours et demi.

La suprématie quantique est difficile à atteindre en particulier à cause du taux d’erreur de calcul qui s’accroît en même temps que le nombre de q-bits et de portes quantique augmente. Or, actuellement, le taux d’erreur d’un ordinateur classique est bien moins grand que celui d’un ordinateur quantique ! La suprématie quantique est encore plus difficile à démontrer, car cela implique de prouver deux choses : d’abord que l’ordinateur quantique a effectué un calcul juste rapidement, et ensuite qu’un ordinateur classique n’aurait pas pu effectuer ce calcul dans un laps de temps raisonnable. La deuxième partie est la plus délicate, car la recherche en informatique quantique est loin d’avoir remplacé la recherche ou le progrès en informatique classique.

Quel est l’enjeu de la suprématie quantique ? Il y a d’abord un enjeu scientifique et technologique, puisque la suprématie quantique correspond au seuil à partir duquel un ordinateur quantique devient véritablement intéressant par rapport à un ordinateur classique. Il y a aussi l’aspect « être le premier à », qui démontrerait la supériorité de l’entreprise, et/ou de l’Etat, qui y parviendrait. Mais il y a aussi des enjeux financiers puisque le secteur privé et le secteur public investissent de plus en plus dans l’informatique quantique, étant données ses nombreuses promesses.

L’informatique quantique : par qui ?

Les ordinateurs quantiques ne sont pas une idée nouvelle. Mais ils deviennent un vrai sujet d’intérêt à partir des années 1990, lorsque Peter Shor met en avant l’utilité que pourraient avoir de telles machines. Dès lors, des crédits se débloquent. Depuis les grandes entreprises de la tech, des start-ups spécialisées, les universités, les laboratoires et les centres de recherche, les fonds d’investissements et les Etats ont mis l’informatique quantique au coeur de leurs priorités. L’écosystème ne cesse de s’agrandir.

Des universités et écoles du monde entier se sont lancées dans la recherche sur l’informatique quantique. Parmi elles, Oxford, Harvard et le MIT font même partie des leaders dans ce domaine, aux côtés des grandes entreprises américaines de la tech que l’on connaît tous, telles qu’IBM, Google et Microsoft. Parmi les acteurs privés, on peut également citer des sociétés bien établies telles que D-Wave Systems, Intel, Atos, Airbus, Alibaba, Huawei, Toshiba, Mitsubishi. Des start-ups, et en particulier l’américaine Rigetti Computing ont également su tirer leur épingle du jeu.

La souveraineté technologique, la compétitivité économique et les enjeux de sécurité nationale, d’autre part, ont incité les Etats à se lancer dans la course à la suprématie quantique et à financer des programmes de recherche.

Les Etats-Unis et la Chine ont déjà pris de l’avance. Les Etats-Unis dominent en termes de dépôts de brevet, mais la Chine domine très largement dans le domaine de la télécommunication quantique.

En 2013, l’armée américaine a été la première à financer la recherche privée sur les technologies et l’informatique quantique. Puis en 2018, D. Trump a signé le National Quantum Initiative Act qui stipule que plusieurs agences américaines devront injecter 1,28 milliards de dollars dans le développement des technologies quantiques sur une durée de 4 ans, à compter de 2019. C’est loin des investissements de la Chine dans le domaine, qui a investi presque dix fois plus rien qu’avec la construction du National Laboratory for Quantum Information Sciences en 2017. Quant à l’Union Européenne, 1 milliard de dollars a été investi dans le Quantum Technologies Flagship Program, d’une durée de 10 ans, de 2016 à 2026. La Russie, l’Allemagne (à hauteur de 650 millions de dollars), le Royaume-Uni (à hauteur de 400 millions de dollars), les Pays-Bas et la Suède ont investi dans des programmes et des laboratoires nationaux.

En France, il n’existe pas encore de programme national. En revanche, le projet Quantum Silicon réunit des chercheurs de trois laboratoires français à Grenoble. Début 2020, la mission relative aux technologies quantiques présentaient ses conclusions son rapport Quantique : le virage technologique que la France ne ratera pas. Le rapport met en avant l’importance de ne pas prendre trop de retard dans la recherche quantique, et propose notamment de créer trois pôles de recherche à Paris, Saclay et Grenoble.

Les ordinateurs quantiques sont présentés comme la prochaine révolution informatique. Même si nous sommes encore loin de maîtriser totalement la technologie, les avancées actuelles sont prometteuses. L’informatique quantique sera utile dans tous les domaines, et même si nous ne commanderons sûrement jamais d’ordinateurs quantiques sur le site d’Amazon ou de la Fnac (ou, en tout cas, pas dans un futur proche), nous seront peut-être amenés à les utiliser régulièrement dans quelques décennies. En attendant, le chat de Schrodinger, lui, est toujours enfermé dans sa boîte.

Par Pauline Sicsik


Sources :

PWC. (2018). L’Informatique Quantique: la 5e révolution. https://www.pwc.fr/fr/assets/files/pdf/2019/11/fr-france-pwc-point-of-view-quantum-computing-2019.pdf

Voici l’ordinateur quantique le plus puissant du monde. (2017, January 27). 01net. https://www.01net.com/actualites/voici-l-ordinateur-quantique-le-plus-puissant-du-monde-1090608.html

Atos ouvre la voie à la simulation du recuit quantique. (2020, July 8). Atos. https://atos.net/fr/2020/communiques-de-presse_2020_07_07/atos-ouvre-la-voie-a-la-simulation-du-recuit-quantique

Aron, J. (2014, January 3). Entangled spies: Why the NSA wants a quantum computer. New Scientist. https://www.newscientist.com/article/dn24812-entangled-spies-why-the-nsa-wants-a-quantum-computer/

Gouty, F. (2019, October 24). Suprématie quantique : IBM réfute la victoire de Google. Journal Du Geek. https://www.journaldugeek.com/2019/10/24/suprematie-quantique-ibm-google/

Hartnett, K. (2019, November 2). La suprématie quantique est-elle pour bientôt ? Pourlascience.Fr. https://www.pourlascience.fr/sd/informatique/la-suprematie-quantique-est-elle-pour-bientot-18004.php

Chandèze, A. (2020, April 8). Qui sont les acteurs de l’informatique quantique ? Itsocial.Fr. https://itsocial.fr/enjeux-it/enjeux-infrastructure/serveurs/acteurs-de-linformatique-quantique/

Mamediarov, Z. (2019, November 10). Bataille mondiale pour la suprématie quantique. Courrier International. https://www.courrierinternational.com/article/technologies-bataille-mondiale-pour-la-suprematie-quantique

Schmitt, F. (2020, January 9). La France cherche sa place dans la révolution de l’informatique quantique qui s’annonce. Les Echos. https://www.lesechos.fr/tech-medias/hightech/la-france-cherche-sa-place-dans-la-revolution-de-linformatique-quantique-qui-sannonce-1161424

Rolland, S. (2019, October 22). L’écosystème français de l’informatique quantique : ses atouts, ses faiblesses. La Tribune. https://www.latribune.fr/technos-medias/innovation-et-start-up/l-ecosysteme-francais-de-l-informatique-quantique-ses-atouts-ses-faiblesses-831271.html