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Les ordinateurs quantiques, la prochaine révolution informatique

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Connaissez-vous le problème du voyageur de commerce ? Pour son travail, ce dernier doit se rendre dans un certain nombre de villes, avec pour obligation de n’y passer qu’une seule fois, avant de revenir à son point de départ. Il peut emprunter l’itinéraire de son choix, avec une contrainte tout de même : la distance parcourue au total doit être la plus courte possible. A première vue, cela ne semble pas bien sorcier ! Effectivement, cela n’est pas très compliqué si notre voyageur de commerce n’a que quatre ou cinq villes à visiter. Mais si le nombre d’étapes est grand, même les ordinateurs les plus puissants du monde ne sont pas capables de trouver la solution avant plusieurs millions d’années ! Autant dire que notre voyageur de commerce devrait plutôt songer à se reconvertir.

Le problème du voyageur de commerce est l’un des problèmes que la puissance des ordinateurs quantiques pourrait permettre de résoudre. Grâce aux lois physiques qui s’appliquent dans le monde de l’infiniment petit, les ordinateurs quantiques calculent beaucoup plus rapidement que les ordinateurs classiques, et avec moins d’espace de stockage. Alors sur quels principes se basent ce qui est considéré comme la prochaine révolution informatique ?

La mécanique quantique : retournement de cerveau dans 3, 2, 1… 

Le chat de Schrödinger : une histoire qui se finit bien et mal

Vous avez peut-être déjà entendu parler de l’histoire du chat de Schrödinger. Un chat est enfermé dans une boîte, de telle sorte que vous ne puissiez ni le voir, ni l’entendre. Dans cette même boîte se trouve un flacon de gaz mortel, une source radioactive et un compteur Geiger. Si le compteur détecte un certain seuil de radioactivité, le flacon est brisé et le chat meurt. Les probabilités indiquent qu’une désintégration a une chance sur deux d’avoir eu lieu au bout d’une minute.

Une fois la minute passée, vous vous dites naturellement que le chat est mort ou vivant. Eh bien selon les lois de la mécanique quantique, tant que la boîte n’a pas été ouverte, le chat se trouve dans deux états à la fois : il est mort et vivant.

Il s’agit là d’une expérience de pensée (n’essayez pas de la reproduire chez vous) dont le but est d’illustrer ce qui se passe à l’échelle des atomes et des particules. En réalité, un chat est bien trop gros pour répondre aux lois de la mécanique quantique.

« La physique quantique recouvre l’ensemble des domaines de la physique où l’utilisation des lois de la mécanique quantique est une nécessité pour comprendre les phénomènes en jeux. La mécanique quantique est la théorie des particules de matières [(atomes, photons, électrons)] constituant les objets de l’univers et des champs de force animant ces objets » (futura-sicences.com)

Trois concepts de la mécanique quantique qui vont nous être utiles

La superposition d’états

Qu’importe l’endroit où vous êtes actuellement, il y a des objets autour de vous : téléphone, clés, ordinateur, table, chat… Tous ces objets ont une position, une vitesse et une masse particulière. Autrement dit, ils sont dans un état défini.

A l’échelle des particules, ce n’est pas le cas. En mécanique quantique, les particules se trouvent dans plusieurs états à la fois, avec une certaine probabilité d’être dans tel ou tel état. C’est comme si elles se trouvaient à plusieurs endroits en même temps. Et on ne parle pas de deux, trois ou quatre endroits, mais d’une infinité d’endroits ! C’est ce qu’on appelle la superposition d’états.

La réduction du paquet d’onde

La propriété d’un atome qui consiste à se trouver dans plusieurs états à la fois disparaît à partir du moment où on mesure son état. C’est-à-dire que, dès qu’on observe un atome ou une particule, ceux-ci se voient imposer un état défini. En mécanique quantique, la mesure modifie l’état du système. C’est ce qu’on appelle la réduction du paquet d’ondes.

L’intrication quantique

L’intrication quantique est un phénomène dans lequel au moins deux particules forment un système lié, et présentent des états quantiques dépendant l’un de l’autre quelle que soit la distance qui les sépare. Lorsqu’on effectue une mesure sur l’une, on change l’état de l’autre, et on peut également avoir une indication sur le résultat de la mesure de la seconde particule.

Le terme « quantique » vient du latin « quantum », qui signifie « combien ». En physique, « quantum » représente la plus petite mesure d’une grandeur physique.

La mécanique quantique : comment booster l’informatique

Les ordinateurs classiques : question de courant qui passe ou pas

Pour comprendre la raison pour laquelle certains principes de la physique quantique peuvent être appliqués à l’informatique, il faut d’abord revenir au fonctionnement de nos ordinateurs.

Lorsque vous utilisez votre ordinateur, vous pouvez voir ce qui se passe grâce à un écran, vous écrivez du texte grâce à un clavier, vous ouvrez et fermez des fenêtres grâce à une souris ou un pad tactile, etc.

Chacune de ces actions équivaut, pour votre ordinateur, à traiter des informations (information + automatique = informatique, cqfd). Chaque information est codée en binaire, c’est-à-dire en une séquence de bits (binary digit) qui ne peuvent prendre que deux valeurs : 0 et 1. Les ordinateurs classiques que vous utilisez tous les jours traitent des séquences de 32 ou 64 bits.

L’écriture binaire permet de représenter ce qui se passe concrètement au niveau des circuits électroniques de l’ordinateur : les bits symbolisent une tension électrique.

  • 0 représente une tension basse ;
  • 1 représente une tension haute.

Cette tension permet de faire fonctionner les milliards de transistors qui se trouvent sur le processeur de l’ordinateur. Grosso modo, un transistor fonctionne comme un interrupteur. Lorsque vous allumez la lumière, la pression de votre doigt sur le bouton permet d’ouvrir l’interrupteur et de laisser circuler le courant électrique jusqu’à l’ampoule, et inversement. Dans le cas des transistors, c’est pareil : la tension électrique permet d’ “ouvrir” ou “fermer” le transistor, et de laisser passer le courant électrique ou non.

Regroupés et branchés d’une manière particulière, les transistors forment ce qu’on appelle des portes logiques. C’est au moyen de ces portes logiques que le processeur réalise plusieurs milliards d’opération à la seconde[1] et traite ainsi les différentes actions que vous effectuez. Lorsque vous appuyez sur la touche « a » de votre clavier, la lettre « a » apparaît sur votre écran parce que votre processeur a effectué les calculs nécessaires et transmis l’information à votre carte graphique puis votre écran. Idem quand fermez une page internet ou pour n’importe qu’elle autre action.  

Les ordinateurs quantiques : q-bits et portes quantiques

Maintenant que nous avons vu dans les grandes lignes comment fonctionne un ordinateur classique, nous allons pouvoir comprendre plus facilement comment fonctionne en théorie un ordinateur quantique.

Au lieu de manipuler des bits, un ordinateur quantique manipule des q-bits. Un q-bit suit les lois de la mécanique quantique et se trouve donc dans une superposition d’état : il prend à la fois la valeur 0 et 1. Ce qui permet d’aller beaucoup plus rapidement dans les calculs !

La notation officielle des q-bits est|1> et |0>.  Si vous aimez les maths, sachez que la superposition d’états d’un q-bit s’écrit en une combinaison linéaire de deux états, , où alpha et beta sont deux nombres complexes dont la somme des carrés des valeurs absolues vaut 1.

Alors quel est l’intérêt des q-bits ? Prenons le cas d’un calcul avec deux bits en entrée. Il y a quatre façons d’arranger la séquence : 1 1 ; 1 0 ; 0 1 ; 0 0. Un ordinateur classique fera d’abord le calcul avec 1 1 en entrée, puis le calcul avec 1 0, puis le calcul avec 0 1, puis le calcul avec 0 0. Un ordinateur quantique effectuera les quatre calculs en même temps.

En règle générale, pour une information de n bits, il y aura 2n façon d’arranger les 0 et les 1. Et vu qu’avec un ordinateur quantique vous pouvez toutes les calculer en même temps, vous allez, en théorie, 2n fois plus vite. Par exemple, un processeur quantique de 64 bits ira environ 18,4 milliards de milliards de fois plus vite qu’un ordinateur classique. Efficace, non ?

Par ailleurs la propriété d’intrication quantique permet de lier l’état d’un certain nombre de q-bits, ce qui permet de créer des tests logiques quantiques et donc de nouvelles portes logiques quantiques qui n’existent pas en informatique classique. Ces portes quantiques permettent de réaliser les calculs plus rapidement, par exemple √n fois plus rapidement.

Cependant, un ordinateur classique n’est efficace que pour certains types de calculs. Si vous voulez effectuer la multiplication 23 x 34, un ordinateur classique sera tout aussi, voir plus, efficace.
De plus, à cause de la réduction du paquet d’onde, un ordinateur quantique n’affichera qu’un seul de l’ensemble des résultats des calculs qu’il aura effectué en parallèle. A partir du moment où l’on observe le résultat, celui-ci ne peut plus prendre qu’une seule valeur. L’idée de parallélisme ne serait donc exploitée que dans les calculs intermédiaires.
Enfin, il n’existe pas encore d’ordinateur quantique universel qui permettrait de faire tourner tous les algorithmes quantiques existants.

Quantum computer based on superconducting qubits. The device shown here will be inserted into a dilution refrigerator and cooled to a temperature less than 1 kelvin. This part was built at IBM Research in Zurich in collaboration with IBM Thomas J. Watson Research Center in Yorktown Heights, USA.
28 September 2017 – IBM Zurich Lab
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L’informatique quantique, c’est plus facile à dire qu’à faire

Nous avons vu comment fonctionne en principe un ordinateur quantique. Mais concrètement, comment crée-t-on un q-bit ?

Il faut trouver un système qui puisse se trouver dans une superposition d’état, comme par exemple :

  • Le spin d’un électron. Le spin est une propriété d’un électrons qui consiste à se comporter comme un aimant à deux directions : Nord-Sud (down) et Sud-Nord (up).
représentation vulgarisée du spin d’un électron
  • La polarisation d’un photon.
  • La résonance magnétique nucléaire. Il s’agit du spin des éléments du noyau d’un atomes dans un champ magnétique. La résonance magnétique nucléaire est notamment utilisée pour les IRM.
  • Certains circuits supraconducteurs.

Tous ces systèmes sont capables de créer des q-bits et des ordinateurs quantiques. D’autres sont à l’étude. En théorie, c’est donc faisable. En pratique, c’est beaucoup plus compliqué.

Pour que cela fonctionne d’un point de vue physique, il faut qu’un très grand nombre de particules se maintiennent dans une superposition d’états tout le long du calcul. Faute de quoi, selon le principe de la réduction du paquet d’onde, le système quantique perd sa faculté à être tous les résultats à la fois. Cela implique qu’il faut maintenir beaucoup de particules isolées de leur environnement pendant un certain laps de temps, ce qui est très dur !
Ensuite, il n’est pas encore possible d’intriquer un grand nombre de particules. Le maximum jusqu’à présent est une centaine de particules, et c’est déjà une sacrée prouesse.
Enfin, entre les différents composants d’un ordinateur quantique, le taux d’erreurs de calcul est encore très élevé. Il faut donc dédier certains q-bit à la correction des erreurs.

Et si vous testiez vous-même un ordinateur quantique ? IBM propose à n’importe qui de programmer son propre circuit quantique via son cloud et de le faire tourner sur un véritable ordinateur quantique. Même pas besoin de savoir coder ! Rendez-vous sur https://www.ibm.com/quantum-computing/

Les scientifiques ne maîtrisent pas encore totalement la physique quantique. D’ailleurs, une utilisation des ordinateurs quantiques seraient d’étudier… la mécanique quantique ! Le problème, c’est que la limite actuelle de nos connaissances en la matière sont un frein dans le développement de l’informatique quantique. Malgré tout, des équipes de chercheurs ont déjà mis au point des ordinateurs quantiques allant jusqu’à une cinquantaine de q-bits pour les meilleurs, même s’ils sont loin d’être commercialisables. Globalement, des équipes du monde entier sont engagés dans la recherche quantique. Alors la révolution de l’informatique quantique, pour demain ou pour dans 10 ans ?

Par Pauline Sicsik


[1] Ces calculs binaires représentent la circulation ou non du courant électrique au niveau des circuits électroniques du processeur et des autres composants de la carte mère de l’ordinateur.


N’hésitez pas à regarder les vidéos suivantes ou à consulter le site du CEA pour mieux comprendre le fonctionnement de la mécanique quantique et de l’informatique quantique.

La mécanique quantique en 7 idées — Science étonnante #16 – ScienceEtonnante

CEA – L’essentiel sur la mécanique quantique

Les Ordinateurs Quantiques — Science étonnante #40 – ScienceEtonnante

L’ORDINATEUR QUANTIQUE – Dossier #38 – L’Esprit Sorcier