Propos recueillis par Léa Lestrée et Maxime Jean
Dans cette interview exclusive, William Audureau, journaliste du Monde dresse un état des lieux des problèmes de la désinformation et des “fake news”. Il condamne cette désinformation qui s’immisce partout, des grands plateaux de télévision jusque dans nos maisons, via les réseaux sociaux. “L’information c’est le pouvoir !” Il est donc nécessaire de s’emparer du problème. Heureusement, une lutte acharnée contre ces fausses informations auprès des plus jeunes aide à lutter contre ce fléau des “fake news”. Les jeux vidéo peuvent également avoir un rôle éducatif en s’adressant à un plus jeune public !
Le M : Qui êtes-vous et quel est votre parcours ?
W. Audureau : Je suis journaliste à la rubrique de l’économe du monde. Je couvre essentiellement les questions de désinformation, qu’il s’agisse des fausses informations ou des théories du complot, ou encore de la propagande d’État : ce sont des formes un petit peu différentes, mais qui concernent toutes la question de l’environnement informationnel et de ses manipulations. Il s’agit d’enjeux évidemment importants dans une démocratie, où les avis et les opinions se forment en fonction de la perception de la réalité et des faits. Et on sait aujourd’hui, qu’une grande partie des bras de fer internationaux entre les grandes puissances et également entre les partis politiques à un niveau plus local se jouent autour des batailles de récits. Prenez par exemple le concept de Sharp Power, que je trouve très intéressant et très éclairant : on a longtemps eu un modèle de puissance géopolitique celui du Soft Power, en d’autres termes comment essayer de se rendre désirable en tant que modèle de société aux autres pays. Aujourd’hui on attribue à l’Iran, à la Chine et à la Russie tout particulièrement le statut de Sharp Power, des pays qui ne cherchent pas spécialement à se faire désirer, mais qui essayent de semer la zizanie informationnelle chez les pays considérés comme rivaux ou stratégiques.
Le M : Et cette zizanie, par quels canaux passe-t-elle ? Quels sont ces canaux informationnels ? Les réseaux sociaux ?
W. Audureau : Alors aujourd’hui, oui, ce sont les réseaux sociaux, mais pas de manière exclusive. Vous allez avoir également des relais via des personnalités publiques qui peuvent avoir des sympathies sincères ou intéressées pour des puissances étrangères, ou pour des partis politiques, ou pour des mouvements. Je parle beaucoup de la Russie, mais on peut décliner la question différemment, par exemple, si on s’intéresse aux mouvements anti-vax. Donc oui, les réseaux sociaux, évidemment, puisque ça a quand même été le sixième pouvoir des années 2010. Ce sera très intéressant de voir comment ça va évoluer, parce qu’aujourd’hui, ça chemine quand même vers moins d’importance qu’auparavant. En tout cas, pour certains réseaux sociaux qui ont eu pignon sur rue, comme Facebook, ou Twitter.
Après, la désinformation en tant que telle, elle n’est pas neuve. Ce qu’ont changé les réseaux sociaux, c’est surtout la vitesse et les algorithmes, d’une certaine manière. Ce qui facilite, accentue les stratagèmes, participe aussi à l’effet d’enfermement dans un subduit informationnel, qui existe souvent naturellement, parce qu’il y a beaucoup de biais cognitifs, parfaitement humains. La technologie n’a rien inventé, mais elle a accentué et accéléré.
Le M : Justement, dans cette prolifération d’informations, qui faut-il craindre ? Plutôt les réseaux sociaux, comme vous l’avez dit, ou alors les êtres humains qui façonnent les algorithmes, les applications etc. ? Et comment endigue-t-on cette épidémie ?
W. Audureau : C’est certain qu’il va y avoir un moment où vous mettez en place un outil qui est cassé ou qui est vulnérable. C’est la première brique du problème. Ce n’est pas toujours évident. Le cas de Twitter est fascinant. On sait que c’est une boîte qui, pour des raisons essentiellement financières, a un chiffre d’affaires absolument ridicule, a fortiori quand on le met en relation avec l’importance que ce réseau social a eu dans le débat public. Or il n’a jamais eu les moyens de modérer à hauteur de son importance. Il s’agit d’un premier biais qui est structurel.
Puis aujourd’hui, on a un biais qui est purement politique, à savoir un propriétaire, Elon Musk, qui a décidé purement et simplement de ne rien modérer. Ça fait des économies, en plus, il est d’accord avec le chaos. Après, c’est une énorme question de savoir comment endiguer cette épidémie. J’aimerais avoir la réponse. Ce n’est pas simple.
Le M : Si on sanctionne les individus, peut-être que ce sera considéré comme liberticide. Nous sommes tellement habitués désormais à avoir un appareil entre nos mains et à faire ce que l’on veut avec.
W. Audureau : Il faudrait également cibler un petit peu de quel genre de fausses informations on parle. Parce que, encore une fois, c’est très vaste. Ça prend plein de formes différentes. Mais je pense qu’il y a un enjeu d’éducation qui est vraiment extrêmement important. Je fais un petit peu d’éducation aux médias et à l’information avec l’association Entre les Lignes. On intervient dans les collèges et les lycées, et je pense qu’il faut que ce soit un cours.
À partir du moment où on donne un téléphone aux gens, on leur dit que vous pouvez poster vos propres informations, de fait, on leur dit que vous êtes désormais journaliste amateur. Et en fait, on ne peut pas lutter contre ça. C’est par ailleurs un vrai outil d’empowerment. En tout cas, il y a un geste très citoyen dedans. Il ne faut absolument pas aller contre ça. Un grand philosophe a dit un jour « Un grand pouvoir implique de grandes responsabilités » (rires). Cela me paraît aujourd’hui assez irresponsable de donner des téléphones à des gens, a fortiori des pré-adolescents, sans leur donner le bon emploi. Il faut donner des cours de journalisme. À savoir de la déontologie, de la vérification d’informations, etc. Je pense que c’est essentiel. Ca ne suffirait pas, mais ce serait un premier point.
Le M : Est-ce qu’on ne peut pas avoir cet espoir qu’au bout d’un moment, les gens vont prendre du recul et essayer d’avoir une vision plus globale sur les choses ? Moins de gens prendront les choses au pied de la lettre, si je puis dire.
W. Audureau : Il y a tellement d’enjeux. La première raison pour laquelle quelqu’un, en général, relaie une théorie du complot ou une fausse information… Très souvent, ce n’est pas parce qu’elle s’est fait avoir. C’est parce qu’elle a envie d’y croire. On ne peut pas dire tout ça.
On ne peut pas lutter contre le fait que quand vous allez relayer une théorie d’extrême droite, en fait, vous avez des motivations xénophobes, vous n’avez pas vraiment de raison de vérifier que vous êtes en train de relayer du bidon et que vous vous êtes fait avoir. Parce qu’en fait, vous êtes dans une démarche militante. Et c’est pour ça aussi que les fake news sont aujourd’hui de plus en plus élaborées.
On donne des chiffres pour que les gens y croient. Et en fait, ce n’est pas tellement qu’ils ont envie de croire, mais ils croient que c’est la vérité. Il y a cette espèce de mème sur Internet qui me fait beaucoup rire. Je trouve qu’il y a un très bon laboratoire pour étudier les mécanismes de désinformation. Ce sont les rumeurs sur le mercato au foot.
C’est vraiment génial parce que ce sont des cas d’école. Il n’y a jamais eu de mort derrière, du moins pas à ma connaissance, mais c’est vraiment fabuleux parce qu’on est sur des rumeurs avec des acteurs qui les instrumentalisent, qui les utilisent, qui les monétisent parfois. C’est un réduit de tout l’écosystème de fausses informations. Et les gens qui derrière sont vraiment prompts à relayer ou commenter. « Ah là là, Mbappé qui va signer à Lyon. » Et moi, il y a cette phrase qui me fait beaucoup rire, qui est assez typique de communauté des amateurs de mercato, qui est « Cette information me plaît, donc elle est vraie ». C’est dit. Au moins, c’est dit avec humour. Et au moins, c’est quelqu’un qui a déjà conscience de la première partie du problème. Quand il y a une motivation militante, c’est difficile d’aller contre.
On est dans un environnement qui est saturé d’informations. Donc ça n’aide pas. Moi, j’ai de la chance. Je suis payé pour, à n’importe quel moment, appuyer sur le bouton pause en plein milieu d’un documentaire pour dire « Wow, qu’est-ce qu’il me raconte ? Est-ce que c’est vrai, ça ? » Qui a le temps de faire ça ? Qui en a envie ? Et puis, il y a la troisième chose. Je suis tout à fait d’accord avec vous lorsque vous parlez de la question de la technologie, des responsabilités derrière des créateurs : on ne sait jamais exactement quels sont les algorithmes, comment ils fonctionnent, en plus, ils sont tous twistés en permanence.
Mais je pense que c’est très important de les déconstruire au minimum et que les gens ne soient pas dans une espèce d’admiration béate devant la technologie. Avoir conscience que, sur n’importe quelle plateforme, YouTube, Spotify, etc., il y a un algorithme qui se nourrit de nos interactions. Est-ce que les gens ont conscience de ce biais de confirmation ? Il faut toujours avoir en tête que, quand on est seul avec une plateforme, on n’est jamais seul. On est au moins deux dans la salle. Il y a un « soi » et l’algorithme qui essaie de comprendre ce qu’on aime pour nous le resservir en boucle. Il faut à la fois prendre ce qu’on est venu chercher – vidéo d’information, un réel drôle, que sais-je – et en même temps se dire qu’on est en train de programmer ce qu’on va voir le lendemain.
“C’est urgent que les gens se rendent compte que l’IA, ce n’est pas magique. C’est du concentré de savoir humain, mais dans le savoir humain, il y a aussi des erreurs humaines.”
On parlait de ChatGPT… Celui-ci est vertigineux car il a un aplomb hors normes ! Seul Idriss Aberkane en a autant ; il est difficile de déceler une fausse information, erronée sur ChatGPT car ChatGPT affirme de façon péremptoire toutes les informations qu’il donne. Par exemple, essayons un petit jeu : on demande à ChatGPT de faire notre propre biographie. Le résultat obtenu est à la fois fascinant et ironiquement drôle ! En effet, si les quelques premières lignes semblent à peu près correctes, ChatGPT affirme par la suite des informations complètement exagérées.

Le M : Passons à présent sur quelques questions portant sur le jeu-vidéo, puisque vous êtes aussi un érudit sur ce sujet. Pensez-vous que demain, ces derniers auront une mission sociétale, en tant qu’outils pédagogiques ?
W. Audureau : Il n’y a pas de réponse simple et il est toujours difficile de prévoir l’avenir, qui est forcément incertain. Néanmoins, si l’on se réfère à l’historique des jeux éducatifs, ils ont toujours existé ! Il y a en effet eu des « vagues » avec notamment des jeux littéraires dans les années 1980 (Adibou). Ces jeux informatiques étaient complexes et avaient un niveau d’érudition et de sophistication très importants. On peut notamment citer les premiers jeux vidéo ludiques de la grande autrice Muriel Tramis, à la fin des années 1980, avec des jeux vidéo sur l’esclavage en Martinique !
Ces jeux étaient incroyables tant par le design, qu’au niveau de l’écriture, notamment grâce à Patrick Chamoiseau. Ensuite, dès les années 2000, il y a eu la vague des ‘serious games’ avec cette idée que les jeux pouvaient être utiles. L’idée que le jeu puisse apporter une valeur éducative, sociétale positive a toujours existé. Mais en même temps, cette idée a toujours été marginale car les jeux ont une valeur en soit, en tant que tels et non forcément pour être ‘utiles’.
Par exemple, dans le cadre du cinéma ou la littérature, ces domaines n’ont pas eu la volonté au départ d’avoir une portée sociétale mais de fait, ils en ont bel et bien une. Les jeux vidéo sont des produits de leur temps et s’inscrivent dans des considérations actuelles. Par exemple, les questions féministes et de représentation des minorités ont été embrassées par l’industrie du jeu vidéo.
Cela a commencé aux Etats-Unis, puis au Canada et ensuite en France, tout en faisant avant tout des jeux des objets de divertissement. Les jeux vidéo ne font donc pas exception et sont traversés par des problématiques qui touchent la société dans son ensemble. Cette industrie est plus jeune que l’industrie créative et est donc très en contact avec des enjeux actuels ! Donc, à mon avis, l’industrie du jeu vidéo est plus à la pointe que d’autres industries plus puissantes comme celle du cinéma.

Le M : Ne pourrait-on donc pas faire du jeu vidéo un véritable outil pédagogique pour transmettre des informations importantes et éduquer ?
W. Audureau : Pour faire du jeu vidéo un véritable outil de pédagogie, il faudrait que le jeu soit bien fait et donne envie aux joueurs. En effet, un jeu est avant tout un objet de divertissement qui doit être plaisant dans son utilisation.
De plus, les enfants sentent et savent vite si un jeu est un simple jeu ou s’il y a derrière un enjeu purement pédagogique. Essayez de faire jouer un enfant au jeu “Civilisation”, le constat est clair !
Cela permet d’avoir quelques notions historiques et géographiques mais l’enfant n’est pas dupe ! Et encore, dans ce cas précis, le jeu est bien conçu, l’enfant prend donc du plaisir à jouer mais cela n’est pas simple. Dans une certaine mesure, des jeux tels que Assassin’s Creed sont une première porte d’entrée pour avoir accès à des périodes historiques.
De plus, cela permet d’aller creuser afin d’en savoir plus sur une période historique donnée. Un bon exemple est Assassin’s Creed Odyssey et Assassin’s Creed Origins qui a lieu en Grèce ! Cela renseigne sur l’architecture pour lutter contre certaines idées reçues comme l’idée fausse que les pyramides étaient blanches. Il y a donc la volonté de reconstituer une Egypte plus fidèle que ce que l’on peut voir actuellement.
Cela permet aussi de couper les stéréotypes à la base, dès le départ pour ne pas laisser le temps au joueur d’avoir une fausse idée. Cela est donc plus pertinent que ChatGPT ou MidJourney, qui vont regrouper pleins de stéréotypes, de clichés pour représenter une période donnée, composé d’anachronismes où Ramsès II serre la main à Kheops.