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Black Mirror, anatomie d’une série subversive (2/7) : La stratégie du choc  

NB : Dans le cadre de sa rubrique « Point de Vue », Le M ouvre ses colonnes aux étudiants d’emlyon. Ils peuvent ainsi exprimer une opinion, une humeur, une conviction, en toute subjectivité, au travers d’articles. Le M propose aux étudiants de les accompagner dans la rédaction en leur apportant de précieux conseils, faisant d’eux de meilleurs rédacteurs. Les propos tenus dans cette rubrique n’engagent que leurs  auteurs.

Par Alexandre Fournet,

Nous analyserons d’abord la manière dont Black Mirror entend créer un choc subvertissant les codes moraux et sociaux des spectateurs, à travers plusieurs effets formels dont nous ferons ici la liste.

LE DILEMME MORAL

Une image qui en a marqué plus d’un… (National Anthem)

Tout était lancé dès le premier épisode, qui fait selon moi figure de manifeste : vos repères moraux seront inévitablement brouillés à l’issue de cet épisode. Et quel épisode ! Cet épisode pilote restera l’une des plus grandes réussites de Black Mirror selon moi. Et il annonce également, à sa manière, une déception ; aucun des épisodes suivants ne saura reproduire cet état de choc et d’hébétude amené par celui-ci. Cet épisode a pu, pour beaucoup, être un choc tel qu’il a également pu trier certains spectateurs ; certains n’ont pas continué l’aventure Black Mirror en raison de ce seul épisode (vérifié empiriquement sur des proches). Revenons ainsi, si vous le voulez bien, sur l’acte fondateur de Black Mirror, l’an 0 de Black Mirror : National Anthem

National Anthem pourrait se résumer très simplement : comment un premier ministre anglais se voit imposer un chantage à la sextape porcine devant des millions d’anglais en échange de la vie sauve d’une princesse anglaise. C’est tout. De ce postulat va découler ensuite plusieurs conséquences que l’on pourra analyser, mais il convient d’abord de revenir sur ce dilemme originel. Deux questions se posent : est-il plausible ? et, si oui, un premier ministre aurait-il pu faire ce qu’il finit par faire – c’est-à-dire, sodomiser le cochon ? Aux deux réponses je répondrai oui. Le plausible est rendu possible par le crédible, mais également par le postulat de la fiction. Une fiction, même lorsqu’elle se veut réaliste, ce n’est jamais : non mais ça, ça n’arriverait jamais dans la vraie vie… Ce serait plutôt : si cela arrive dans la vraie vie, comment cela se déroulerait-il ? Et, selon moi, tout le brio de l’épisode découle de la crédibilité de l’écriture. Si jamais il devait arriver un tel événement, à savoir qu’un artiste enlève une princesse anglaise dans le but de créer une performance immonde d’un premier ministre, il est probable que cela se passe de cette manière. En tout cas, il existe une possibilité pour que cela se passe ainsi.

Quand les sondages décident de ton avenir (National Anthem)

Nous touchons du doigt la subversivité de Black Mirror. Tout l’épisode consiste à se mettre à la place de ce ministre : qu’aurions-nous fait à sa place ? Mais pourquoi est-ce si difficile de trancher ? Parce que le dilemme moral trouvé par l’écriture est lui-même subversif pardi ! Que faire entre condamner une princesse à la mort et sodomiser un cochon devant des millions de gens ? Posé là théoriquement, ce dilemme pourrait déjà être difficile à trancher moralement. Il y a deux charges explosives des deux côtés de la balance, que personne ne voudrait trancher dans la vraie vie – permettant d’ailleurs une catharsis, sur le mode « What if », de la notion grecque d’Aristote permettant à nous spectateurs de nous purger de nos affects tristes. Mais l’écriture ne s’arrête pas là ; dès les premières secondes de l’épisode, le ministre, comme nous aurions tous fait, déclare d’emblée qu’il ne sodomisera pas le cochon. Il n’en sera pas question, nous dit-il ; il tâchera plutôt de tout faire pour trouver le criminel avant que l’exécution de la princesse n’ait lieu. Encore une fois, le dilemme initial subvertit la machine dès les premières secondes, puisque le ministre évacue directement la question au vu, d’une part, de l’indécence de la proposition, mais aussi, au fur et à mesure qu’il se pose la question, des conséquences – compréhensibles – que cela pourrait avoir pour son image et sa dignité. L’écriture envoie ainsi balader la morale, puisque, plus l’épisode avance et plus le ministre sent qu’il n’arrivera pas à arrêter le criminel, et plus il se pose des questions sur les conséquences que cela pourrait avoir dans sa vie sociale : voilà une belle subversion morale, où la considération sociale passe devant la réflexion morale. Mais voilà ; l’écriture ne s’arrête pas là. Une autre inconnue s’installe dans l’équation, au fur et à mesure que l’épisode avance ; l’avis de la population. En effet, le chantage ayant fuité dans la presse, la population anglaise est au courant de l’affaire et s’exprime par médias interposés dans des enquêtes d’opinion. Et force est de constater que c’est cet avis, favorable à la sodomie du cochon pour sauver la princesse et, peut-être, assister à un événement historique, qui fera basculer le ministre sur sa décision finale. Voyant que sa carrière serait finie s’il laissait mourir la princesse, il finit par sodomiser le cochon, contre son gré et malgré son avis personnel, après moult débats et pressions de la part de ses conseillers. 

Sodomiser ou ne pas sodomiser, telle est la question (National Anthem)

J’ai essayé de défricher ici le sac de nœuds complexe moralement de National Anthem, qui me permet sans risquer de fâcher beaucoup de monde de dire qu’il comporte une éminente charge subversive. D’abord parce qu’il pourrait potentiellement donner à une sombre âme l’idée d’exécuter le même chantage ; mais surtout, parce qu’il vient ainsi brouiller nos repères moraux par une situation plus complexe qu’il n’y paraît. En effet, sodomiser un cochon est un acte indécent et immoral en soi, tout le monde en conviendra : mais, lorsque l’on met dans la balance la vie d’une personne innocente ainsi que les pressions d’une société prêt à vous discréditer si vous ne cédez pas, la situation devient éminemment plus complexe et difficile. D’om la subversion : la morale devient moins évidente. Cette écriture basée sur des choix moraux compliqués trouve une fade variante dans Bandersnatch, dont l’interactivité ne permet en fait jamais d’explorer une quelconque subversion morale, mais également, plus récemment, dans Demon 79, où un démon demande à une jeune Indienne de tuer trois personnes avant que l’apocalypse n’advienne – faisant d’ailleurs écho assez bizarrement au dernier film de M. Night Shyamalan, Knock at the Cabin… Il y a évidemment en jeu une subversion des codes moraux à l’œuvre dans cet épisode assez divertissant, qui n’arrive jamais à trouver une forme intéressante en raison de sa charge « woke », pour le meilleur et pour le pire – mais nous y reviendrons dans la dernière saison.

Pour généraliser plus globalement, on peut dire qu’une écriture, dès l’instant où elle nous met en face de choix moraux complexes, subvertit nos codes en nous poussant à la réflexion. La subversion n’implique pas forcément de renoncer à nos à priori moraux (sodomiser un cochon est mal) ; seulement, la richesse d’une écriture est de réussir à tordre cet aspect jusqu’à ce qu’il paraisse plus complexe qu’à première vue.

LE TWIST

S’il est un élément d’écriture subversif sur lequel je ne pouvais pas faire l’impasse pour parler de Black Mirror, c’est bien évidemment le twist. Le twist apparaît bizarrement, dans l’esprit populaire, comme une tactique d’écriture foncièrement subversive – et il peut l’être bien évidemment. Il existe par exemple un twist assez remarquable dans la série Fleabag de Phoebe Waller-Bridge, mini-série injustement méconnue en France. Dans cette mini-série, nous suivons de très près – puisque le personnage incarné par Phoebe Waller-Bridge, qui a également écrit la mini-série, brise régulièrement le quatrième mur pour interpeler directement le spectateur – le personnage de Fleabag, prise dans une vie qui part à la dérive à la suite de coups du sort – sa meilleure amie est morte – et malentendus inopportuns. Si le personnage suscite d’abord une empathie naturelle face au déchaînement du monde qui vient sans cesse lui rappeler d’arrêter de rêver, c’est sans compter le twist final qui nous fait comprendre que la mort de sa meilleure amie lui est indirectement imputable, puisqu’elle a couché avec le petit copain de celle-ci, ce qui a provoqué indirectement l’accident de sa mort. Le twist vient ainsi révéler toute l’irresponsabilité du personnage, que la saison 2 aidera à faire grandir pour lui faire se rendre compte des angles morts de sa propre personnalité.

Un brisage de 4ème mur pour le moins inoubliable (Fleabag)

Si je suis passé par ce chemin qui semble ne pas avoir de rapport direct à Black Mirror, c’est pour démontrer le fait qu’un bon twist est un twist qui fait sens. Je veux revenir ici sur deux twists majeurs de Black Mirror. Le premier concerne Fifteen Million merits, et « mérite » (sans mauvais jeu de mots) toute notre attention. Dans cet épisode, on nous présente une société organisée par classes sociales dont la monnaie est le « mérite », obtenu au moyen de l’énergie dépensée sur des vélos de salles de sport, alimentant l’énergie du système dans sa globalité. Bing, un personnage qui a hérité de la fortune de son frère, rencontre Abi Khan et se lie d’amitié avec elle. Éprouvant un peu plus que de l’amitié à son encontre, il décide alors de lui payer le ticket pour participer à une émission type The Voice, permettant aux élus qualifiés de changer de vie et de ne plus vivre dans les conditions misérables des autres citoyens. Arrivée à l’audition, Abi Khan chante de sa voix angélique et convainc la foule. Puis, retournement de situation : les jurys n’ont pas prévu de carrière musicale pour Abi. La seule carrière qu’ils peuvent lui promettre se situe dans le porno. Rapprochant ainsi les émissions de télécrochet à une pure prostitution télévisuelle, critiquant la société du spectacle en pervertissant la pureté originelle d’Abi, pointant du doigt le sexisme à l’œuvre en faisant des jurys mâles des proxénètes en puissance face à une jury féminine qui n’ose exprimer son désaccord – même si elle le voudrait, le twist agit à de multiples niveaux et vient en plus s’additionner d’un dilemme moral pour Abi : doit-elle accepter la proposition et devenir une star du X ou bien rester dans sa condition misérable à pédaler dans les vélos électriques pour le restant de ses jours ? Le choix d’Abi (ainsi que plus tard, celui de Bing) de s’émanciper quitte à se corrompre est finalement la partie la moins intéressante ; le fait est que le twist nous prend au piège au moment où nous commençons à entrevoir une porte de sortie pour ce personnage. Révélant la cruauté du système, le twist subvertit le récit – et, par la même occasion, en proposant ce dilemme moral auquel ne s’était préparée Abi Khan, subvertit moralement ce personnage.

Un visage d’ange coincé dans la fange (Fifteen Million Merits)

Je défendrai également le twist remarquable d’un épisode un peu plus sous-coté : Men Against Fire. Dans cet épisode, des militaires doivent éliminer des déchets, sortes d’humanoïdes monstrueux qui déciment la population. Ici, le twist réside dans le fait que ces monstres sont des créations visuelles proposés par les implants présents dans les rétines des militaires, servant ainsi à déshumaniser les véritables êtres humains par les militaires pour leur faciliter la tâche au moment de presser la détente. Il s’avère que cette manipulation visuelle est en réalité un programme militaire permettant d’éliminer la population la plus génétiquement faible afin de supprimer les handicaps, maladies, etc. rappelant furieusement les trouvailles littéraires d’Aldous Huxley. Le twist fonctionne ici car, d’un scénario zombie on passe brutalement à une critique de l’eugénisme rendu possible par le brouillage et l’instrumentalisation visuelle des militaires, devenus des machines à tuer sans considération pour la vie d’autrui. Véritablement effrayant, le twist permet de subvertir notre rapport aux forces armées, d’abord bienveillantes car aidant les populations soi-disant « dépecées » par les « déchets », puis horriblement iniques et sadiques dans leur manière de saccager des humaines aux génomes jugés plus faibles que la moyenne.

Mais je veux revenir ici sur l’un des épisodes les plus appréciés de Black Mirror, et qui fonctionne pourtant sur l’un des pires twists qu’il m’ait été donné de voir. Je veux parler de Shut up and dance, dont le twist, selon moi, ne fonctionne pas – et White Bear n’arrive pas non plus à gérer cette idée. Dans cet épisode devenu culte, Kenny, un personnage adolescent étrange, se voit imposé un chantage à la vidéo de masturbation récupérée par un groupe de hackers sur son propre ordinateur. Le chantage est simple : fais ce qu’on te dit, où on fera fuiter la vidéo. Le personnage se voit ainsi trimballer dans tout l’épisode jusqu’à sa résolution finale ou, humilié, détruit, violenté et ensanglanté, la vidéo finit, dans une humiliation ultime, quand même par sortir ; nous comprenons alors que cette vidéo de masturbation était problématique en raison non pas de la masturbation en elle-même, mais de son objet, à savoir du contenu pédopornographique. Le personnage pour lequel nous avons pu avoir de l’empathie depuis le départ finit donc par devenir méprisable, et voilà le spectateur pris au piège dans son rapport à la fiction – sachant que le personnage a eu des échanges cordiaux avec un enfant en début d’épisode…

Allo maman ? C’est pour te dire que mon twist n’est pas dingue ! (Shut up and dance)

En fait, le problème est que le twist résulte ici d’une occultation volontaire et artificielle par l’écriture de cette part sombre du personnage, qui réduit le twist à un coup d’épée dans l’eau. Là où les twists de Men against fire ou Fifteen Million Merits suivaient la découverte du monde horrible par les personnages, ici le twist ne sert qu’à nous maintenir dans le flou jusqu’à la révélation finale. Il eut, selon moi, été plus judicieux d’être confrontés directement à la bassesse de ce personnage dès le départ, pour nous questionner sur la moralité de ces hackers justiciers. Car en réalité, ce sont finalement les hackers de l’ombre qui perdent la partie des spectateurs : le spectateur ne retiendra de l’épisode que la monstruosité de ce personnage, amplifiée par la révélation au dernier moment de la nature du contenu pornographique qu’il regardait. Or, il eut été plus intéressant d’axer l’épisode sur la subversion morale de ces hackers, en insistant sur la question dès le départ et en sachant que Kenny avait des penchants pédophiles depuis le début : faire justice soi-même sur un pédophile en puissance grâce au numérique, est-ce mal ? Au lieu de quoi, cette question subversive ne parvient jamais à prendre en ampleur en raison du choix de faire ce twist inopérant dans la subversion.

LE COUP D’ECLAT

Le grain de sable dans la machine, David contre Goliath, le dernier chant du cygne d’un personnage se rebellant contre le système : voilà qui, sur le papier, n’est pas très subversif. Ou alors, cette subversion semble être vue et revue dans tous les sens du terme. 

Et pourtant, la fiction a également ce pouvoir : donner la parole aux petits. A ceux qu’on n’entend pas, aux histoires individuelles. Il y a évidemment la critique globale, aux macroanalyses ; et puis, il y a la parole des perdants. Ici, il serait intéressant de revenir sur les plus grands coups d’éclats de Black Mirror, portés par trois performances d’acteurs ahurissantes. A noter que ces performances d’acteurs s’adressent souvent directement aux spectateurs eux-mêmes, comme si l’écriture visait directement à subvertir non pas, cette fois-ci, leurs codes moraux, mais leur apathie face à l’acceptation d’un monde inique et cruel. Ces personnages s’adressent souvent à une foule, ou au moins à un public, comme on le verra plus bas. Dans une telle effusion d’émotions et de colère, une catharsis s’opère dans le même temps chez le spectateur.

C’était pas chic & choc, le thème du mariage ? (Nosedive)

Il s’agit d’abord de Lacie, interprétée par l’incroyable Bryce Dallas Howard dans l’épisode Nosedive. La grande perdante du monde organisée selon des notes individuelles type Uber Eats données par les individus entre eux selon la bonne conduite de leurs concitoyens, c’est elle qui voit son monde peu à peu s’écrouler devant elle. D’abord grande gagnante, son maquillage finira par couler dans un monologue final invraisemblable qui, malgré son manque d’originalité, finira par pointer les zones d’ombre et d’hypocrisie face à un monde tellement retenu socialement qu’il n’arrive même pas à empêcher la trouble-fête de quitter le mariage qu’elle vient d’interrompre. Finalement perdante du monde pastel organisé par le classement inter-social promu par l’idéologie libérale, la saleté de Bryce Dallas Howard permet d’enrayer un petit peu dans la fiction et de subvertir le monde qui semble advenir malgré nous et contre notre plein gré, en interpellant directement les convives du mariage ultra-consensuel de la fausse amie de Lacie – autrement dit, en nous interpellant nous, en nous regardant même presque face caméra.

Je ne peux parler de performance d’acteur sans mentionner l’incroyable Daniel Kalluya dans Fifteen Million Merits. Son éclatement à la fin de Fifteen Million Merits mérite d’être noté, quand il se rebelle contre les juges d’avoir corrompu celle qu’il aimait en lui proposant une carrière dans le X.

Bien avant Get Out, Daniel Kaluyya avait déjà envie d’en découdre (Fifteen Million Merits)

 Son discours vient confronter notre passivité face au système en place, mais bizarrement, la subversion éclate un cran plus tard. Bing s’est vu lui aussi proposer une carrière hors des salles de vélos produisant de l’électricité à la suite de son discours de colère émancipatrice, mais cette fois-ci dans le Stream, devenant une sorte d’Andrew Tate fictionnel. Il répète les mêmes mots qui lui ont permis de s’émanciper, mais cette fois-ci en asservissant les autres, c’est-à-dire en se faisant passer pour un rebelle du système alors qu’il y est parfaitement intégré. Ce qui ne manque pas de nous faire réfléchir, soit dit en passant, à la nature même de Black Mirror : peut-on s’émanciper en regardant une série critiquant les nouvelles technologies, elle-même diffusée sur une plateforme technologique potentiellement aliénante ? Voici l’un des moments les plus subversifs de Black Mirror, faisant porter le doute sur un contenu (critique d’un système ou nouvelles technologies) qui n’a de sens que si l’on comprend que la critique peut être retournée contre le contenant (en regardant Black Mirror sur un écran, je m’émancipe moins que si je fermais mon ordinateur pour aller lire ou boire un café avec un ami par exemple). De même, un Andrew Tate fictionnel qui promet l’émancipation de la consommation à grands renforts de contenus payants semble paradoxal avec l’idée même de l’émancipation ; à méditer…

Bi(n)g Brother is watching you… (Fifteen Million Merits)

Enfin, j’ai une petite tendresse pour un épisode un peu plus sous-coté de Black Mirror. Il s’agit de Smithereens. Après avoir perdu sa femme dans un accident de voiture à cause de son addiction au téléphone, un personnage prend en otage un stagiaire pour faire éclater sa colère face au grand magnat technologique qui en est le PDG. Le postulat est à la fois grotesque, absurde et presque puérile ; il n’en reste pas moins qu’il permet de nommer les grands manitous qui continuent à provoquer notre addiction aux téléphones portable très savamment et consciemment – même Facebook a avoué faire en sorte de retenir ses usagers sur sa plateforme, et nous nous rappelons de l’incroyable déclaration du PDG de Netflix lui-même, Reed Hastings, dont le principal concurrent était le « sommeil »… La performance d’Andrew Scott ramasse toute la souffrance individuelle et le désordre mental créé par un téléphone, et permet de se libérer en pointant du doigt le coupable ; oui, il y a une responsabilité à l’addiction d’un téléphone portable, et le créateur de cette technologie en est en partie responsable. 

Se confier au téléphone… alors que celui-ci a tué l’être le plus cher de ta vie (Smithereens)

Coups d’éclats qui atteignent directement le spectateur, qui reçoit ces effusions émotionnelles en plein cœur.

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Voilà pour la première partie de la manière dont Black Mirror permet de subvertir les codes moraux et sociaux d’une société par cette stratégie du choc. Mais la fiction, en se concentrant sur l’intime, peut également modifier notre régime de perceptions et de représentations.