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Le point philo : la démocratie est-elle finie ?

Les démocraties occidentales sont-elles Athéniennes ?

Le modèle de la démocratie occidentale a été initié à Athènes durant l’antiquité au VIIème siècle av JC. Ce système est perçu aujourd’hui comme idéal, est-ce bien raisonnable ?

A Athènes, la démocratie fonctionnait sous le régime de deux assemblées : l’une de 500 citoyens tirés au hasard (la Boulê), renouvelée chaque année, et l’Ecclésia qui regroupe l’ensemble des citoyens d’Athènes.

Contrairement à nos « démocraties » actuelles, chaque citoyen était libre de s’exprimer et de proposer des lois sur l’Agora ; de nos jours, seuls les élus représentent les intérêts du peuple et votent la loi. Certains y voient un dévoiement de la démocratie parce qu’elle est restrictive, tandis que d’autres, sur un autre registre, dénoncent une professionnalisation de la vie politique.

Au fait, vous vous souvenez que les citoyens d’Athènes ne représentaient que 10% de la population ? Les autres (les enfants, les métèques, les esclaves et les femmes) travaillaient et n’avaient pas de droits politiques. La démocratie directe n’est-elle qu’un mythe ou bien une quête d’actualité ?

 

La situation actuelle des démocraties

Nichés dans notre cocon social-démocrate de l’état providence, nous sommes au top des nations dans quasiment tous les domaines économiques, scientifiques ou sociaux : nous croyons donc en nous et en nos stades démocratiques universels voire intemporels. En sera-t-il toujours ainsi ? Je pense qu’un petit tour d’horizon s’impose.

Il n’y a pas que des démocraties en Europe : 12 pays européens possèdent un système monarchique, qu’ils s’agissent de petits pays (Luxembourg, Monaco) ou des géants économiques (Angleterre, Espagne, Suède, Belgique).

Selon une étude de l’UNESCO (*) depuis 10 ans, les taux de liberté dans les pays ne cessent de baisser :72 pays ont enregistré une régression de la démocratie en 2016, c’est-à-dire le double des pays où la démocratie a progressé.

Si la moitié de la population du monde vit dans une certaine forme de démocratie, seule une minorité de la population mondiale– 4,5% – vivraient en pleine démocratie. Ce chiffre est en recul depuis 2015, lorsque les États-Unis ont été dégradés d’état de « démocratie pleine et entière » à celui d’une « démocratie imparfaite ». Paradoxalement, cette dégradation fait suite à l’utilisation du Patriot Act par Barack Obama, voté par G. W. Bush (**).

Quand la démocratie tourne le dos à l’Habeas Corpus pour recourir à la torture des terroristes, est-ce encore la démocratie ? Aujourd’hui, selon l’UNESCO, environ 2,6 milliards de personnes dont une bonne part vivent en Chine, sont soumises à un régime autoritaire. Alors, les bisounours, on se réveille ?

 

La déception des printemps arabes

L’origine des printemps arabes de 2010 n’est pas une quête absolue de la représentation démocratique, c’est aussi l’alliance de l’armée et du peuple face aux tenants du pouvoir, les pays du Maghreb viennent de terminer leur transition démographique, les jeunes sont nombreux mais peu représentés dans des institutions vieillies. Avec Facebook et twitter, ils enclenchent un mouvement de contestation, qui aboutissent parfois, en Egypte, en Tunisie et en Libye. En Syrie et au moyen orient, c’est l’augmentation du prix des denrées alimentaires en 2011 qui met le feu aux poudres dans la région du « croissant fertile ». En février 2011, le prix mondial du blé avait ainsi progressé de près de 70% en un an, celui du maïs de 90% et celui du soja de 45% (selon OXFAM).

Quels résultats ? En Egypte, les premières élections permettent l’accès au pouvoir des Frères musulmans avant que l’armée ne reprennent le contrôle du pays. La Libye est encore en guerre civile et la Syrie éclatée est le théâtre d’opérations militaires civiles, religieuses, russes, kurdes et même turques. L’Algérie reste un pays contrôlé par le parti majoritaire et l’armée, tandis que le Maroc reste une monarchie absolue.

Mais tous ces échecs ne sont pas définitifs, ce ne sont que le début d’un processus de démocratisation long et difficile.

L’expression de « Printemps arabe » fait référence au « Printemps des peuples » de 1848. A l’époque, la France, l’Autriche, l’Italie l’Allemagne et la Pologne connaissent des révolutions ou des révoltes, dont certaines sont violemment réprimées, ces révolutions néanmoins modifient profondément les institutions : le roi de France est déchu, à la seconde République succède Napoléon III, l’Allemagne se prépare à grandir autour de la Prusse, des régions entières veulent devenir indépendantes (Hongrie, Serbie, et Roumanie).

Les printemps arabes sont plus probablement le début d’un mouvement qui conduira, on l’espère, à la démocratie. Mais que sera la démocratie du XXIème siècle ?

 

La démocraties face aux NTIC

Selon Platon, la taille idéale d’une démocratie aurait été de 400 individus ? Ce nombre aurait permis à chacun de débattre sur les idées. Ce système aurait même formé une « démocratie totale » dans laquelle chacun aurait pu exprimer son point de vue et être écouté.

La population mondiale est passée de 45 millions dans l’antiquité et atteint aujourd’hui plus de 7,63 Milliards d’êtres humains. Cette augmentation ne pouvait pas être sans incidence sur l’organisation du pouvoir et notamment de la démocratie. De même que les moyens de communication sont passés des simples messagers, de la communication interpersonnelle, aux mass Media, la démocratie a dû évoluer d’une démocratie villageoise à une démocratie représentative. On ne se parle plus sous les préaux dans les villages, on parle devant un micro en communication de masse ou derrière Twitter sur un smartphone.

Aujourd’hui, nous croyons, à tort ou à raison, que les réseaux de télévision, les réseaux radiophoniques et les réseaux sociaux, renforcent la démocratie en révélant les scandales, en exposant les politiciens et les systèmes en place.

Alors, une « smart democracy », une démocratie des réseaux sociaux, est-elle possible ? Pouvoir faire un référendum en ligne et à tout moment, comme sur l’Agora d’Athènes, semble a priori une brillante idée.

Mais la démocratie a besoin de gros moyens pour faire parler le peuple de façon équitable : pour une démocratie immédiate des réseaux, les citoyens devraient posséder chacun un smartphone ou un ordinateur ? Mais quels citoyens ? Seul 51% de la population mondiale possède un accès à internet à l’heure actuelle et ce ne sont que 83% des français qui possèdent une connexion internet. Alors comment rendre légitime un scrutin si le suffrage n’est pas universel ?

Si la démocratie des réseaux devenait possible, serait-elle souhaitable pour autant ? La rapidité des techniques de communication nous permettrait peut-être de répondre instantanément aux problèmes de la société par référendum. Puisqu’il est toujours trop tard en écologie, on pourrait imaginer demain, que dans un élan de bons sentiments écologiques, nous décidions de voter l’interdiction immédiate des phosphates dans l’agriculture, quelles en seraient les conséquences ? L’année suivante, la production de denrées agricoles pourrait s’effondrer et la population mondiale serait peut-être soumise à la disette et même à la famine pour les plus précaires.

Quand on parle de démocratie du futur, on imagine aisément un « citoyen élargi » qui serait un humain connecté dans sa chair à des machines. Pourrait-on rêver d’un système d’algorithmes de vote automatique et obligatoire greffés ?

Face à une telle connexion, le vote serait-il obligatoire, avec quelle sanction ? On pourrait priver un individu de mémoire « transhumaniste », le couper légalement du réseau ? Mais qu’adviendrait-il du libre arbitre, si le citoyen se faisait hacker ? Déjà, les scientifiques du MIT peuvent influencer les décisions simples du cerveaux humains avec des ondes électromagnétiques (***). Dans un référendum, la limite entre « oui » et « non » ne serait qu’un jeu de signaux électriques facilement modifiables sous impulsion électromagnétique. Resterait-on citoyens si nous n’étions plus séduits par la rhétorique des politiques, tout autant que leurs gestes, les passions qu’ils incarnent ?

La démocratie est-elle un but en soi ?

Aujourd’hui, il est souvent reproché au système actuel de mettre en place un nombre insurmontable de filtres entre le simple citoyen et les dirigeants : les sondages, le système représentatif, les administrations, les média.

De l’autre côté de l’atlantique, ce refus du contrôle des réseaux établis a porté Donald Trump au pouvoir. Paradoxalement, sa capacité à communiquer directement avec le peuple (en utilisant Twitter) et à l’incarner en fait le tribun de la plèbe le plus moderne de la démocratie américaine. Est-ce pour autant un progrès de la démocratie ou une victoire exemplaire du « savoir communiquer » en démocratie ?

Du système de la Boulê aux « Checks and balances » et du vote électroniques au transhumanisme, l’évolution de la technique n’est jamais éloignée de la démocratie. Cet équilibre est précaire et instable mais, il doit être préservé car c’est de la liberté individuelle dont il est question au bout du compte. C’est pourquoi malgré sa perpétuelle complexité, la démocratie est, et continue de rester « le pire des systèmes à l’exclusion de tous les autres. » (Winston Churchill)

 

(*) Tendances mondiales en matière de liberté d’expression et de développement des médias : Rapport mondial 2017-2018

(**) The Economist, «Democracy Index 2016», par l’Intelligence Unit.

(***) Homo Deus, Yuval Noah Harrari

 

par Eudelin Rolland