Une vague d’ordonnances s’abat sur la France, article du président de Quid Juris

Une vague d’ordonnances s’abat sur la France

Enfin elles sont arrivées ! Après un été houleux, les ordonnances portant sur la réforme du Code du Travail ont été publiées le jeudi 31 août. 5 ordonnances pour 159 pages, voilà qui promet un peu de lecture. Mais comme nous savons qu’entre les HH et les SAT votre temps est compté, nous avons pensé à vous petits moussaillons.

Pour rappel, les ordonnances ont été présentées en Conseil des Ministres le 22 septembre, pour être adoptées, puis publiées au Journal officiel. Autrement dit, elles sont déjà entrées en vigueur et ce dès le lendemain de leur publication, mais elles devront faire l’objet d’une loi de ratification pour être pérennisées (dans les 3 mois de leur publication). Le gouvernement a par ailleurs annoncé une entrée en vigueur au plus tard le 1er janvier 2018.

Tous les drapeaux semblent donc être au vert pour l’avancée des réformes mais pourtant un léger souffle gronde dans la rue. Moustache au vent, Philippe Martinez, le leader de la CGT, continue d’appeler à la mobilisation et harangue les autres responsables syndicaux plutôt discret à l’instar de la CFDT et de FO, habituellement plus combatif. Principal reproche adressé à ces ordonnances : « la loi ne sera plus la même pour tout le monde » notamment en raison des nouveaux rapports de force entre les accords de branche et les accords d’entreprise.

 

Petit tour d’horizon pour bien comprendre.

La loi du 20 août 2008 avait marqué une avancée majeure dans la réforme de la négociation collective en consacrant la primauté de la négociation d’entreprise sur la négociation de branche dans 6 domaines relatifs à la durée du travail. Cela signifie que les entreprises ont le pouvoir de négocier avec leurs syndicats dans leur entreprise en s’affranchissant des règles de la branche, donc de des règles de toutes les entreprises du secteur.

La loi Travail de 2016 allait encore plus loin en fixant 15 domaines (heures supplémentaires, travail de nuit etc.) où l’accord d’entreprise prime sur l’accord de branche. Tout cela avec quand même quelques limites. L’accord d’entreprise ne peut en aucun cas comporter de clauses dérogeant à celles des accords de branche dans six domaines visant à définir les garanties économiques et sociales : salaires minima ; classification etc. En somme, impossible que demain une entreprise décide de ne plus appliquer le SMIC et négocie un salaire de 5€ de l’heure.

La 1ere ordonnance de cet été suit ce mouvement et fixe 3 blocs pour déterminer les articulations entre les accords de branche et les accords d’entreprise :

– les sujets pour lesquels la branche a une compétence exclusive (l’accord de branche prévaut sur l’accord d’entreprise)

-les sujets pour lesquels la branche peut rendre ses dispositions impératives (l’accord de branche prévaudra sur l’accord d’entreprise conclu postérieurement, sauf si l’accord d’entreprise assure des garanties au moins équivalentes)

-les sujets sur lesquels les accords d’entreprise primeront sur l’accord de branche.

 

 

Ce projet est néanmoins perçu de manière différente en fonction de la taille de l’entreprise.

Si les plus grandes d’entre elles se félicitent de la place nouvelle accordée à l’accord d’entreprise, les plus petites craignent ce qu’elles perçoivent comme une menace à la régulation de la concurrence que garantissaient les accords de branche. Une grosse entreprise aura tout intérêt à prévoir des accords d’entreprise très favorables aux salariés pour casser le recrutement chez la concurrence des plus petites structures.

Les syndicats quant à eux s’alarment du déséquilibre entre les rapports de force qui existent au sein de la négociation d’entreprise et pointent la menace du chantage à l’emploi qui pourrait s’y exercer.

La volonté affichée de revoir le périmètre de primauté de l’accord de branche ou l’accord d’entreprise s’inscrit au cœur d’un double mouvement. D’abord réduire le nombre de branches de 700 à 200 d’ici 2019. Le gouvernement vise particulièrement près de 200 branches considérées comme inactives ou disposant d’un très faible nombre d’adhérents. Ensuite, de renforcer le dialogue social au sein des entreprises. En renforçant le rôle de la branche dans sa fonction de régulation économique et sociale le gouvernement entend proposer davantage de capacité d’initiative à l’accord d’entreprise dans les autres domaines.

Voyons désormais si la rue saura faire changer de cap au Gouvernement.

 

Amaury LIBAUD, président de Quid Juris