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L’économie du rap

« Si tu m’parles oseille, j’suis toujours à l’affut ». Cette punchline du rappeur Lacrim dans A.W.A résume bien l’avidité de l’industrie du rap qui prend une place croissante dans l’industrie musicale depuis vingt ans. Dans un rapport de 2017, le SNEP (le Syndicat national de l’édition phonographique), soulignait qu’en France le hip hop compte 86 morceaux dans le top 200, contre 70 pour l’ensemble du rock, de la pop et de la variété. Le rap semble bel et bien avoir pris le pouvoir. Zoom sur l’économie de ce genre musical qui a explosé dans les années 1990.

Par Radia Guerfi, Amalric Lagie, Guillaume Lejeune – Transaction emlyon 2021

Le rappeur, véritable entrepreneur

« Souhaite-nous santé, bonheur, le reste on l’achètera » rappe Booba dans son couplet sur Ca va aller. Le thème de l’argent est omniprésent dans les textes de beaucoup de rappeurs et ce n’est pas surprenant puisque processus de création d’un titre ou d’un album, des premières lignes d’écriture à la commercialisation, s’apparente à un bien ou un service. En effet, afin de s’assurer des revenus, le rappeur suit une véritable démarche d’entrepreneur, en passant par la conception, le financement, le lancement, le développement et la promotion de son produit.

Avec chacune de ces étapes, les coûts pour l’artiste peuvent rapidement grimper.

La première étape consiste à investir pour être vu plus tard et cela passe par des séances en studio pour la réalisation d’une maquette. La plupart des rappeurs, mis à part certaines pointures du secteur, ne disposent pas de leur propre studio. Il faut alors s’offrir les services d’un studio. Citons ainsi le studio Grandeville à Montreuil ou le Studio Bleu rue Saint-Denis à Paris qui proposent des prestations dont les tarifs varient de dix à une centaine d’euros l’heure.

Une fois le prototype réalisé, reste à convaincre le public et les possibles partenaires du potentiel du titre. De cela peut dépendre grandement la suite de la carrière de l’artiste. L’un des meilleurs moyens de se faire remarquer et d’avoir une rentrée d’argent via la monétisation reste les vues sur YouTube (environ 1 euro pour 1 000 vues). Le rappeur normand Orelsan a ainsi vu sa carrière véritablement décoller avec son single Changement en 2008. On distingue alors deux types de rappeurs : ceux que les maisons de disques décident d’accompagner, à l’image d’un Business Angel soutenant une startup, et les autres. Les premiers, repérés et signés par une maison de disques, n’auront plus à se soucier du financement et de la gestion de leur carrière (collecte des droits d’auteurs, promotion, organisation de leurs tournées, …). Les seconds ne pourront compter que sur eux-mêmes pour donner du sens à leur carrière. Notons que certains rappeurs font le choix de ne pas signer dans une maison de disques afin de conserver leur indépendance et donner libre court à leur créativité sans se plier à des exigences extérieures. Le rappeur star marseillais Jul a ainsi fondé son propre label D’or et de Platine, et a signé en parallèle un contrat de distribution avec Believe (initialement avec Musicast, racheté depuis par Believe). Believe ne s’occupe que de mettre le CD dans les bacs, laissant le rappeur seul maître à bord de son navire.

Les sources de revenus traditionnelles

La source traditionnelle des revenus dans le rap, outre la billetterie des concerts,  provient des contrats signés entre les artistes et les labels. Selon la forme du contrat, l’artiste touchera une partie plus ou moins importante des revenus générés par sa musique (streaming, ventes, edition, …)

Voici les 3 grands types de contrats qui peuvent permettre à l’artiste d’être rémunéré : 

  • Le contrat 360 / contrat d’artiste : dans un contrat 360, toutes les étapes liées à la production de la musique sont prises en charge par le label, de la direction artistique, à l’enregistrement, en passant par la distribution et l’édition. Dans ces cas-là, l’artiste n’a aucune dépense et touche en moyenne 10% des revenus de sa musique. 
  • Le contrat de licence : dans ce type de contrat, la création musicale et la direction artistique sont exclues des missions du label. Le rôle du label est de commercialiser l’album et de le mettre en vente. Dans ces cas-là, l’artiste touchera en moyenne entre 16% et 30% des revenus de sa musique. 
  • Le contrat d’édition : dans ce dernier type de contrat, le label a pour mission de placer la musique éditée par l’artiste dans les bons endroits pour générer des revenus. 

Avec l’avènement du numérique, les artistes sont de moins en moins dépendants des grosses structures ou des radios, et de nouvelles sources de financement ont fait leur apparition. 

Le tsunami qu’a provoqué le streaming en est un exemple parfait. Certains titres, grâce aux playlists et à leur replay-value, affichent rapidement des chiffres astronomiques, à tel point que les accusations d’achats de streams sont devenues monnaie courante chez les rappeurs. Mais le streaming constitue-t-il vraiment une part importante des revenus des rappeurs ? 

En réalité, pas tellement. Si l’on en croit une étude menée par Statistica, il faudrait entre 59 et 1 612 écoutes premium selon les plateformes de streaming pour qu’un euro soit reversé à l’artiste. Les rappeurs ont dû donc trouver d’autres sources de rémunération. 

Les sources de revenus modernes plus diversifiées

Et le moins que l’on puisse dire c’est que les rappeurs ont à leur disposition une multitude de possibilités de financement que certains se font un plaisir d’exploiter à outrance. Ici, on parlera principalement de types de revenus : les showcases et les collaborations avec des marques. 

C’est bien connu dans l’univers du rap, les showcases constituent un moyen facile et rapide de se faire de l’argent. L’économie du showcase peut rapidement prendre une place importante dans les revenus des artistes urbains puisque les tarifs peuvent vite flamber. Accessible au petit artiste en pleine croissance et en recherche de notoriété (ce fut le cas par exemple de Laylow ou de Koba la D à leurs débuts), que l’on peut payer jusqu’à 2 000 euros. Ce chiffre peut grimper jusqu’à des dizaines de milliers d’euros (pour une prestation qui ne dépasse généralement pas les 30 minutes !) pour des artistes de renom tels que Vald, PNL ou Ninho. Une rémunération qui va directement dans la poche des artistes puisqu’il n’y a pas de prestataires intermédiaires à payer (équipes techniques, scénographes, salle de spectacle etc.) contrairement aux concerts par exemple. 

Les collaborations avec les marques sont une nouvelle source de revenus supplémentaire pour les rappeurs. En effet, le rap étant le genre musical le plus écouté par la jeunesse, les entreprises ont vu dans les rappeurs une occasion de toucher un public vaste et diversifié. Ces collaborations peuvent prendre la forme de placement de produits dans les clips ou carrément l’incarnation de la marque en elle-même par le rappeur. A ce titre, on peut bien évidemment citer Lacoste qui a été représenté par les rappeurs Moha La Squale et Roméo Elvis avant que ces collaborations ne prennent fin l’année dernière pour des affaires judiciaires qu’il n’est plus utile de rappeler. S.Pri est également en contrat d’exclusivité avec Adidas depuis quelques années – raison pour laquelle, lorsqu’il porte du streetwear, vous ne le verrez qu’avec des vêtements aux rayures blanches – ou encore Alonzo et Puma. Des affinités qui dépassent même le prêt-à-porter puisque la haute couture commence également à faire de l’œil au rap. Le premier exemple qui nous vient en tête est évidemment l’association entre PNL et Off-White, la marque de luxe créée par Virgil Abloh, à l’origine d’une collection dont on a pu apercevoir certaines pièces dans le clip Au DD. Le rap a donc de quoi faire un joli pied de nez à ce monde de la mode qui le dénigrait il y a encore quelques années.

Vous l’aurez compris, les sources de revenus mises à disposition des rappeurs sont multiples et de plus en plus variées. Néanmoins, elles restent soumises à la condition de notoriété et sont donc peu accessibles aux nouveaux arrivants.