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Le regard de Nathalie Péchalat sur sa carrière et sur l’actualité du patinage artistique. Interview.

Lorsqu’elle était Sportive de Haut Niveau en danse sur glace, Nathalie Péchalat s’est construit, avec son partenaire Fabian Bourzat, un palmarès remarquable (double championne d’Europe, double médaillée aux championnats du monde, 3 fois olympienne). Après avoir mis un terme à sa carrière en 2014, à l’issue des Championnats du monde de patinage artistique au Japon, elle revêt plusieurs casquettes : consultante, coach/chorégraphe de patinage ou encore conférencière. En 2020, elle est élue présidente de la Fédération Française des Sports de Glace, poste qu’elle occupe jusqu’en 2022. Son action a porté sur l’éthique, le juridique, la durabilité, le développement des 12 disciplines et la performance sportive. Aujourd’hui Présidente déléguée du Club France Paris 2024 au sein du Comité National Olympique et Sportif Français (CNOSF) et membre de son conseil d’administration, elle œuvre pour le sport français. Pour Le M, retour sur son parcours de sportive de haut niveau et ses activités de reconversion suivi d’un échange autour de la question du doute et de l’actualité du patinage artistique.

Propos recueillis par William Andrivon et Vincent Loeuillet,

Partie 1 : Une carrière de sportive de haut niveau

Le M : Bonjour Nathalie, vous avez commencé le patinage très tôt (7 ans), avec vos deux sœurs, et à seulement 7 ans et demi vous intégrez un parcours « sport-étude ». Qu’est-ce qui explique cette précocité à devenir championne très jeune ?

Nathalie Péchalat : Lorsque j’ai commencé le patinage, je n’avais pas du tout la volonté de devenir une championne. J’ai commencé le patinage car ma maman aimait le patinage. Nous avons commencé le sport-étude ensemble, avec mes 2 sœurs. Nos parents nous on mises toutes les 3 en sport-étude par souci d’organisation. De cette manière, à 7h nous étions sur la glace puis nous étions prises en charge, nous allions ensuite à l’école et nous retournions à la patinoire l’après-midi. Ils pouvaient ainsi travailler et avoir une amplitude horaire plus large. Il y avait aussi la passion du patinage pour mes sœurs et moi. Nous nous éclations, nous n’étions ni contraintes ni forcées, nous ne faisions pas cela dans une optique de performance, au début. Cela nous permettait de passer de bonnes journées, de nous éclater et de retrouver les copines. Néanmoins le patinage artistique est un sport à maturité précoce où l’on atteint notre meilleur niveau assez jeune.

En 2000 vous rencontrez celui qui deviendra votre partenaire et avec qui vous remporterez les Championnats d’Europe en 2011, Fabian Bourzat. En entrepreneuriat comme en patinage, il faut choisir le bon associé ou le bon partenaire, comment se fait ce choix ?

Au patinage, les filles ne choisissent pas vraiment leur partenaire. Peu de garçons pratiquent le patinage par rapport aux filles, ce qui fait que ce sont plutôt eux qui font leur marché. Ils passent une sorte d’audition avec plusieurs filles puis les coachs décident des meilleures combinaisons. Je connaissais déjà Fabian parce que c’était mon concurrent avant d’être mon partenaire. Les coachs ont ensuite décidé de nous réunir pour former un nouveau duo. A l’adolescence il y a beaucoup de changements, au niveau de la motivation, certains veulent se concentrer sur les études, d’autres prennent du poids, d’autres grandissent plus ou moins ce qui implique de revoir les couples. C’est un passage classique en patinage. Les coachs chapotent cela.

Malgré votre carrière sportive de haut niveau, vous avez suivi des études en parallèle (notamment à l’Université Claude Bernard, à emlyon et à l’Académie des Finances de Moscou), pourquoi cela était-il important pour vous ?

J’y étais en réalité habituée depuis toute petite parce que mes parents me disaient que le sport devait rester un hobby. Ce qu’il fallait, c’était avoir un métier avant de penser au sport, surtout pour un sport à maturité précoce où les carrières se terminent à 30 ans et où l’on ne gagne pas des millions, ce n’est pas le foot (rires). L’idée était d’avoir un bagage de connaissances et compétences pour pouvoir exercer un métier. Mes parents ont toujours insisté là-dessus en me rappelant que si je ne passais pas les étapes en patinage ou que je ne progressais pas, je serais obligée d’arrêter de patiner. Si je ne pouvais pas faire les deux de front, c’est le sport qui passerait à la trappe. Quand j’ai passé le concours d’emlyon, en AST et que j’ai été reçue, mes parents m’ont appelée pour me dire qu’ils n’étaient plus inquiets pour moi et que c’était désormais à moi de gérer mon avenir. Ils m’ont en quelque sorte donné ma liberté. Cela coïncide avec le moment où je leur ai dit que j’arrivais à être indépendante financièrement grâce au sport et qu’ils pouvaient me faire confiance. 

La tendance à la formation académique des sportifs de haut niveau semble se développer (pendant les carrières ou après), est-elle nécessaire ? 

Je trouve cela primordial, mais l’éducation sous tous les angles est primordiale. Lorsqu’un sportif tire sur la corde jusqu’à 50 ans en faisant des démonstrations ou des spectacles, cela en devient vertigineux. Profitons de notre jeunesse pour mêler passions, qu’elles soient sportives ou artistiques, et études. Nous avons franchement la capacité de le faire, ça n’est pas surhumain. Beaucoup de sportifs de haut niveau travaillent à côté de leur sport. C’est une question d’organisation et de priorités. D’autant plus lorsque l’on est enfant. Se lever tôt le matin et faire plusieurs activités est la norme. J’ai été habituée dès mon plus jeune âge à faire les deux. Lorsque j’ai intégré emlyon, on me demandait comment j’arrivais à mêler sport et études. C’est parce que je ne connaissais pas autre chose, c’était normal et habituel pour moi. D’autre part, je n’aime pas la perte de temps alors je me suis dit que je ferai autre chose de ma vie, que je prendrai tout ce qu’il y aurait à prendre. La double formation est une chance que l’on a en France et que l’on n’a pas forcément dans d’autres pays tels que la Russie ou la Chine. Et même aux Etats-Unis, malgré le côté universitaire et les bourses. Dans ces pays, pour certains sports, le patinage en particulier qui est un sport très élitiste, les enfants ne sont non pas déscolarisés mais désociabilisés car ils font des études par correspondance, à distance. Quand ils vont se former, une scission va se créer : l’on n’est plus dans la vraie vie. Ce qu’il y a de bien au-delà de la formation éducative en elle-même, c’est que l’on garde les pieds sur terre, on relativise nos résultats sportifs, on s’intègre dans la société, on côtoie des gens qui ont une autre vie, un autre fonctionnement et tout cela contribue à l’ouverture d’esprit et permet aussi de développer un réseau, de mieux se connaître, de savoir ce que l’on veut faire ou non, etc.

Nathalie Péchalat et Fabien Bourzat / AFP.

Le patinage artistique est très lié à la danse, vous pratiquiez d’ailleurs la danse sur Glace (5 fois championne de France). Vous devez choisir des thèmes, des mouvements et figures, des costumes, et des musiques. Aimiez-vous ces phases de création et quelles sont les qualités requises pour choisir la formule qui va taper dans l’œil des jurés ?

Lorsque l’on est jeune, c’est généralement l’entraîneur qui décide ou les parents qui peuvent aussi intervenir. L’idée, surtout en France, est de s’appuyer sur sa personnalité ou ses envies pour trouver les thèmes qui correspondent et décliner le programme avec la musique, l’histoire racontée, les personnages, les costumes etc. C’est aussi une question de culture. En France, nous sommes très branchés créativité et il est très important pour nous, patineurs, d’exprimer notre côté artistique. Dans d’autres pays, on retrouve une approche différente, un peu plus marketée, c’est-à-dire que les patineurs vont se baser sur ce que les juges aiment afin de mettre l’accent sur certains éléments. Ce sont des stratèges, surtout les Américains ou les Russes. Il est vrai que les Américains et les Russes font aussi cela pour sortir de leurs conditions sociales, souvent pour contribuer à la famille, ils répondent à une demande. En France, grâce justement au modèle associatif et à la possibilité de faire une double formation, le patinage se pratique généralement par passion. L’important pour nous sportifs est d’arriver à s’exprimer. Finalement que ça plaise ou non, on a compris que si on y mettait nos tripes, si ça nous ressemblait et si notre sujet était travaillé, nous n’aurions pas de regret quel que soit le résultat. 

“Durant toute ma vie, lorsque j’ouvrais les yeux, j’étais déjà en retard.”

Quel a été le meilleur moment de votre carrière ?

Je dirais les championnats du monde en 2012 parce qu’ils ont eu lieu à Nice, à la maison, et parce que le contexte était particulier. Je m’étais cassé le nez 10 jours avant, j’étais au plus mal et je ne pensais pas qu’il serait possible que l’on en sorte avec une médaille de bronze, notre première médaille mondiale qui plus est. C’était vraiment marquant et j’ai le souvenir que lorsque nous patinions nous ne pouvions plus entendre la musique tellement il y avait de bruit dans les gradins notamment parce que des échafaudages temporaires avaient été installés. Lorsque le public s’est mis à taper des pieds, on n’entendait plus rien ! C’était sympa de se dire que l’on s’appuyait non plus sur notre bande son mais sur le rythme du public, nous sommes entrés en communion avec le public. C’était très émouvant et j’ai ressenti de superbes émotions. 

Partie 2 : La retraite sportive et la vie après le sport de haut niveau

En 2014, vous prenez votre retraite sportive à la suite des championnats du Monde. Comment avez-vous vécu ce moment ? 

Nous avions vraiment anticipé ce moment. Nous savions depuis 4 ans avec Fabian que l’on ferait une dernière olympiade et que l’on s’arrêterait alors il n’y avait pas d’effet de surprise comme cela peut se produire après une blessure ou après un super résultat et que l’on se dit : « je ne peux pas faire mieux alors il vaut mieux que j’arrête maintenant ». Honnêtement, pendant les 6 mois qui ont suivi, la sensation était très forte. A chaque fois que j’ouvrais les yeux le matin, je me disais : « qu’est-ce que c’est cool » (rires). Durant toute ma vie, lorsque j’ouvrais les yeux, j’étais déjà en retard. Non pas parce que j’avais du mal à bouger du lit, juste parce que si l’on stagne, les autres passent devant et donc mathématiquement, on dégringole. C’est une perpétuelle course contre la montre, une course contre soi-même, une course contre les autres. Ouvrir les yeux sans ce stress, sans avoir à calculer le plan de ma journée pour arriver à tout faire rentrer et à progresser était très agréable. J’en garde un excellent souvenir.

Après votre carrière vous revêtez plusieurs casquettes : consultante, coach/chorégraphe de patinage ou encore conférencière. Et en mars 2020 vous succédez à Didier Gailhaguet, – qui a régné sur le patinage français pendant des années, contraint de démissionner, en février 2020, à cause du scandale sexuel qui a touché la fédération – au poste de Présidente de la Fédération Française de sport sur glace. Vous avez occupé cette fonction jusqu’à juin 2022. Que retenez-vous de ces deux années, alors que vous étiez la première femme à occuper ce poste ?

J’en retiens le positif ! Le contexte était lourd : un scandale de violences sexuelles et j’arrivais en plein milieu d’un mandat, c’est-à-dire que tous les élus du bureau exécutif appartenaient à la fédération depuis 2018. Je devais composer avec les forces en présence mais ça n’est pas dans ma nature de me faire une montagne d’inquiétudes avant de savoir de quoi il retourne. J’étais alors très optimiste, très positive et j’ai très bien été accueillie par tout le bureau exécutif. 

“Il faut avoir conscience que le doute n’est pas une faiblesse, c’est tout l’inverse.”

Ce que je retiens, c’est surtout que l’on a priorisé l’intérêt commun. Il était important pour moi que tout le monde se mobilise pour avancer dans le bon sens de manière justifiée et justifiable sur le plan éthique notamment. Sur le plan juridique, nous sommes devenus la première fédération à faire voter la limitation de mandats. C’étaient nos priorités, et ça s’est fait très rapidement. Nous sommes devenus exemplaires dans le monde sportif alors que la FFSG (Fédération Française de Sports sur Glace, ndlr) était plutôt une mauvaise élève sur ces dossiers. Pendant deux ans, il s’est passé de nombreuses choses. Il y a eu la médaille d’or aux Jeux Olympiques de Pékin de Gabriella et Guillaume (Gabriella Papadakis et Guillaume Cizeron, champions olympiques et du monde de danse sur glace, ndlr). C’était un truc de malade au vu de tout que l’on a eu à traverser et j’inclus évidemment la crise sanitaire qui nous a contraints à annuler des événements mais aussi la crise économique qui nous a amputés de certains sponsors. Malgré tout, ils ont remporté cette médaille d’or et ont fait briller la FFSG. Pourtant ça n’était pas gagné parce qu’ils n’étaient pas au mieux un an et demi avant le début de la compétition. 

Gabriella ¨Papadakis et Guillaume Cizeron lors du programme de danse rythmique, le 12 décembre 2022 aux Jeux Olympiques / Getty Images.

C’était compliqué mais nous avons réussi à trouver des sponsors, des fonds privés qui nous ont fait confiance parce que nous avions prouvé que nous étions rigoureux et fiables notamment sur l’éthique. Le travail collectif a été faramineux. Il y a eu l’organisation du championnat du monde fin mars 2022. Nous ne sommes pas une Fédération qui externalise l’organisation de l’événement alors tout cela s’est géré en interne avec une petite équipe de 8 salariés. Tout s’est super bien passé tout en instillant cela dans l’époque actuelle. Nous avons organisé un évènement éco-responsable en étant le premier championnat du monde à ne pas avoir de bouteilles en plastique. Cela peut paraître anodin mais tout est protocolaire et demande de batailler pour faire différemment. 

“Les bénéfices du doute”, Marabout, par Nathalie Péchalat / Amazon.

Il y a aussi un projet d’envergure qui a été lancé sur le plan européen pour la lutte contre les violences sexuelles dans les sports de glace en mettant plusieurs pays dans la boucle, une université, des associations. Enfin, la restructuration. Parce qu’en même temps que la gestion de crise il a fallu faire de la gestion de changement. Changement d’équipe notamment ce qui signifie former de nouvelles personnes, faire en sorte que chacun puisse trouver sa place, que les missions soient claires pour tout le monde pour que l’on arrive à avancer tous ensemble. J’ai énormément appris, cela m’a passionnée, il fallait être sur tous les fronts et les défis étaient grands. C’est peut-être cette envie de relever les défis qui m’a tant plu.

Depuis juin 2021 vous êtes membre du conseil d’administration du comité national Olympique et Sportif Français, quelles sont les missions de ce comité ?

Le CNOSF est lié à tout mouvement sportif, il doit représenter l’ensemble des fédérations qu’elles soient olympiques, non olympiques, délégataires, affinitaires afin de porter notre voix aux instances supérieures telles que la direction des sports ou le ministère des sports même si les Fédérations ont des liens directs avec ces instances. Il participe à l’organisation des événements, je pense évidemment aux jeux olympiques et paralympiques mais aussi aux jeux méditerranéens, aux jeux de la jeunesse, et tant d’autres. Il doit fédérer et faire vivre un dialogue entre les fédérations parce qu’un certain nombre de problématiques sont partagées et peuvent être résolues de manière transverse.

Le rôle du Conseil d’administration du CNOSF dont je suis membre est en quelque sorte celui d’un conseil de surveillance. Nous sommes tenus au courant des avancées, nous pouvons aussi être amenés à prendre un dossier en particulier pour renforcer l’exécutif, etc.  

Partie 3 : Le doute et l’actualité du patinage artistique

Dans votre livre « Les bénéfices du doute » paru aux éditions Marabout, vous expliquez qu’un partenaire autre que Fabian Bourzat vous a accompagné durant votre carrière : le doute ou plutôt Monsieur doute que vous rencontrez à l’adolescence. Vous l’avez d’abord « rejeté, détesté, puis accepté, assumé, pour finalement l’accueillir avec bienveillance ». Le doute est-il un ennemi ou un allié ? 

Un allié, clairement. Même si au départ, ça commençait mal. À mes débuts, le doute était quelque chose que je subissais. Il arrivait quand bon lui semblait, c’est-àdire qu’il n’était pas du tout cadré ni maîtrisé, ce qui le rendait effrayant. Dès lors qu’il pointait le bout de son nez, je n’avais qu’une envie : qu’il s’en aille. C’est pour cela que j’aime bien l’humaniser, car c’est vraiment une relation semblable à celle entre humains. Nous avons quelqu’un qui ne nous ressemble pas et qui vient quand ça lui chante nous dire comment les choses devraient se passer. On se sent forcément attaqué dans notre périmètre. On a besoin de s’apprivoiser pour arriver à se comprendre et à travailler ensemble. Lorsque j’ai pris conscience de cela, je me suis dit qu’il était hors de question que je me laisse embêter, ça ne serait pas lui qui dicterait ce que je ressentirais. 

“Dans une organisation collective, arriver à dire “je ne peux pas ou je ne sais pas” est une force incroyable.”

C’est le propre du sportif de haut niveau que d’arriver à anticiper les problèmes pour que les quelques secondes ou quelques minutes de performance, voire les heures si je prends le marathon par exemple, soient le plus cadrées possible avec le moins de surprises. Et cela même pour les sports à réactivité comme le tennis où les joueurs automatisent tellement leur façon de jouer qu’ils n’ont pas à subir la survenue d’éléments extérieurs. Cela permet que le maximum de choses soient anticipées, que l’on n’ait plus à les contrer et que l’on puisse s’adapter, être agile. 

On peut l’apprivoiser ?

Oui et on doit, surtout !

En entreprise, les équipes peuvent aussi être confrontées au doute, comment transformer ce qui est souvent perçu comme une faiblesse en force, comment en tirer profit ?  

Il faut avoir conscience que le doute n’est pas une faiblesse, c’est tout l’inverse. Il faut même ne pas hésiter à le communiquer au sein d’une équipe, c’est d’ailleurs une marque de confiance extraordinaire. Communiquer son doute, c’est créer du lien social, c’est une marque de considération de l’autre et cela permet de créer une relation de confiance. Je vois le doute comme un outil. Se pose ensuite la question du « qui » et du « quel moment ». Plus une échéance est proche, plus le doute doit s’estomper. Il faut être capable de l’apprivoiser pour le convoquer au bon moment, à titre personnel, et utiliser les mêmes règles au sein d’une équipe. Pour prendre l’exemple du sport, qu’un directeur des équipes de France annonce à des patineurs la veille d’une compétition qu’il n’est pas sûr qu’un porté ou une pirouette atteignent le niveau maximal est néfaste et inutile. En revanche, s’il leur dit 48h avant et que l’entraîneur est capable de trouver une solution, de prendre de la distance et la bonne décision dans le court terme, alors cela peut se révéler positif. Sinon, ce n’est pas le moment, c’est quelque chose à faire après la compétition ou bien avant. Il n’y a pas de recette magique, c’est une question de bon sens, de discernement. Le timing peut varier en fonction de la personne à laquelle on s’adresse. Avec de l’expérience, on découvre ce que l’on peut faire ou non, ce que l’on doit faire ou non, à qui s’adresser et à quel moment.

C’est assurément une force et cela sauve l’équipe. Si l’on arrive à mettre le doigt dessus, mettre un mot dessus, au sein de l’équipe alors on est à même d’aller chercher de l’entraide, du soutien et c’est de cette façon que le groupe va trouver des solutions et se renforcer. Ensuite, il faut toujours privilégier la réponse au « comment » qui est tourné vers la solution, au « pourquoi ». Nous sommes si individualistes, que l’on s’empêche de s’exprimer par peur des retombées. Il est nécessaire d’exprimer ses doutes car justement on va pouvoir m’aider, pallier mon manque, revoir mes missions, s’organiser différemment et in fine trouver des solutions. Dans une organisation collective, arriver à dire « je ne peux pas ou je ne sais pas » est une force incroyable parce que cela apporte beaucoup de lucidité et l’on arrive dès lors à trouver des solutions.

À la suite des accusations de Sarah Abitbol concernant les viols qu’elle a subis de son entraîneur et les révélations qui ont secoué la Fédération des sports de glace, vous avez co-écrit une tribune pour dire stop aux violences sexuelles dans le sport. Depuis, le gouvernement a-t-il agit ? 

Depuis l’impulsion de la ministre Roxana Maracineanu puis Amélie Oudéa-Castéra qui continue sur la même voie, il y a clairement une prise de conscience. Toutefois la responsabilité incombe aussi au monde sportif, à chaque Fédération, à chaque entité, de mettre en place des mesures qui sont nécessaires. Lorsque j’étais à la FFSG, nous sommes devenus exemplaires sur le sujet. Aujourd’hui je n’en suis plus la garante… Certains clubs ou Fédérations disent : « Nous n’avons pas ça chez nous ». Je n’y crois pas un instant.

Il y a une nécessité de formation des encadrants, de sensibilisation des pratiquants. Lorsque des faits sont révélés, il faut mettre en place un véritable process. Le jugement médiatique m’insupporte au plus haut point. Il faut un process pour que l’on puisse traiter le sujet et voir si les faits sont avérés ou non. Évidemment une fédération ne peut pas se substituer à la justice mais que chacun puisse, dans le cadre de ses responsabilités faire ce qu’il faut me paraît être le minimum. Ce qui m’insupporte au plus haut point sont les tribunaux médiatiques et les jugements ultra rapides basés sur des critères qui sortent de je ne sais où. L’idée est de sanctionner ce qui doit être sanctionné, d’outiller et de former tous ceux qui ne se sont pas rendu compte que l’époque avait changé et qui reproduisent les modèles du coach qu’ils avaient étant gamins, dans les années 70. Car évidemment, ça n’était pas le top au niveau de la pédagogie. Il faut leur expliquer que l’époque a changé, qu’ils peuvent faire certaines choses et d’autres non. Il faut essayer, d’une manière positive, de faire prendre conscience aux gens que certaines choses sont inacceptables.

À commencer par les enfants. Le problème étant que les enfants ne sont pas conscients de ce qui est normal ou anormal. Ils sont dans le bain depuis tout petit et c’est pour eux la norme. Il faut pouvoir leur dire que dans le cadre de leur pratique sportive certaines choses ne sont pas normales. Cela est en marche, il y a une prise de conscience mais il faut que tous les maillons de la chaîne soient d’accord pour accepter de reconnaître ce problème sans que cela soit stigmatisant. Le handball l’a très bien fait en communiquant efficacement, ils ont su reconnaître le problème. Grâce à cela, ils ont gagné un nombre important de licenciés parce que les parents étaient rassurés. En prenant conscience et en reconnaissant le problème, on peut progresser. C’est encore une fois à la vigilance de tous. 

La patineuse artistique Kamila Valerievna Valieva.

V : Est-ce aux sportifs de faire bouger les choses ?

Oui bien sûr, on n’est jamais trop nombreux surtout si ce sont des sportifs médiatisés et écoutés pour pouvoir relayer le message. Il est évident qu’un président qui prend la parole aura moins d’impact qu’un sportif de haut niveau très connu tel que Teddy Riner. Les sportifs doivent-ils sortir de leur performance sportive ? Je crois que oui, cela dépend sous quelle forme mais il ne faut pas prendre le sportif que pour une paire de jambes non plus, il a le droit de l’ouvrir. D’autant que sur des sujets si consensuels, il n’y a pas trop de prises de risques.

On se souvient d’une affaire qui a marqué les derniers Jeux olympiques d’hiver de Pékin : la descente aux enfers de la jeune patineuse russe Kamila Valieva. L’athlète âgée de 15 ans, donnée favorite du concours individuel dames, avait totalement craqué face à des soupçons de dopage, relançant le débat sur l’âge minimum des patineurs et patineuses autorisés en compétition. Cet âge va être progressivement relevé à 17 ans, a annoncé en juin dernier la Fédération internationale. Que pensez-vous de cette décision ?

Je suis contente car je l’ai votée en juin dernier avec la Fédération internationale. Plusieurs sujets se cachent derrière cette décision. Cela met en responsabilité les entraîneurs, les parents, les patineurs. Relever la limite d’âge est très bien et nous en avons beaucoup discuté. Le patinage est un sport à maturité précoce, cette décision va nous priver de grandes championnes de 13 ou 14 ans. Certes, mais aujourd’hui on demande aux patineurs et patineuses non pas d’être des petits prodiges des quadruples sauts mais aussi d’avoir une maturité artistique, de pouvoir s’installer dans le monde des sportifs. C’est une bonne décision car elle donne du poids à d’autres aspects que l’aspect technique pur et dur, c’est-à-dire qu’elle permet de rééquilibrer les choses. C’est cela qui va construire des grands champions qui durent et non pas des jeunes de 13 ans qui se succèdent. Ces dernières années, le seul exemple d’une patineuse qui a patiné à plus de 30 ans est Carolina Kostner. Elle ne joue pas sur le fait d’avoir un corps d’enfant et d’être toute fluette et qui arrive à faire des acrobaties de dingue, mais elle s’appuie sur d’autres qualités. Cela permet d’enrichir notre discipline.

“Certains clubs ou fédérations disent: “Nous n’avons pas ça chez nous”. Je n’y crois pas un instant.”

Depuis le début de la guerre en Ukraine, les sportifs russes deviennent indésirables dans certaines compétitions sportives. Les sportifs doivent-ils être pénalisés par les agissements de leur chef d’Etat ?

Chacun doit prendre les responsabilités qui lui incombent dans le périmètre qui lui est dédié. Dans le mouvement sportif, nous avons cette possibilité d’interdire la présence de certains athlètes, lorsque l’on a de bonnes raisons de le faire. Nous avons organisé le championnat du monde en France et je ne me voyais pas accueillir des athlètes représentant la Russie. J’ai dit à la Fédération internationale : « c’est à vous de prendre la décision mais si vous ne la prenez pas, je sais qu’en tant que comité d’organisation je peux le faire et je n’hésiterai pas à le faire ». Je ne supporterais pas d’accueillir des sportifs Russes comme si de rien n’étaient alors que les Ukrainiens sont chez eux sur le front.

Le sport est très politique, quoi qu’on en dise… Nous avons une responsabilité. Il faut prendre des décisions. Cette décision n’est pas liée à un sportif russe, à titre individuel. Des Russes concourent aujourd’hui en France lors de compétitions où ils patinent individuellement et non pas sous la bannière russe. Ils sont d’ailleurs parfois installés en France de manière définitive ou temporaire, ils ne représentent pas leur pays. C’est toute la différence. On ne fait pas de l’anti -Russe mais nous sommes obligés de faire de l’anti -Russie et ne pas accepter qu’une équipe nationale russe puisse concourir.