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Les raisons du succès de la marque After Foot avec Gilbert Brisbois, journaliste et animateur vedette de l’émission sur RMC

Le football ne se résume pas au rectangle vert, il est le théâtre de rapports sociaux et économiques tout à fait singuliers. Gilbert Brisbois, journaliste sportif, ne le sait que trop bien. C’est d’ailleurs pour cette raison qu’il a créé l’émission After Foot sur RMC en 2006, qu’il anime encore aujourd’hui. D’abord diffusée uniquement les soirs de matchs, comblant ainsi un vide audiovisuel et le besoin d’expression des supporters et passionnés, l’After s’est installée en quotidienne pour traiter tous les aspects du football. Après 16 ans d’existence, l’After Foot semble avoir trouvé la formule gagnante, la marque se déclinant depuis peu dans un nouveau format, le mook. Lumière sur les raisons du succès de la marque After Foot avec Gilbert Brisbois, animateur de l’After Foot sur RMC et récent co-fondateur d’After Foot La Revue, qui nous offre également son regard sur l’actualité de la Coupe du Monde au Qatar.

Propos recueillis par Thomas Picchiarini et Vincent Loeuillet,

Le M : Bonjour Gilbert, le podcast « L’After Foot » avec plus de 18 millions d’écoutes en Octobre a été le premier podcast de France, comment expliquez-vous le succès de l’After ? 

Gilbert Brisbois : L’After est une émission qui, lorsqu’elle a été créée en 2006, a rempli un vide : il n’y avait pas d’émission d’après match en France. Avant 2006, bien que nous retransmettions sur RMC tous les matchs le soir, le sport s’arrêtait au coup de sifflet final. A l’époque, nous rediffusions l’émission de Brigitte Lahaie, ce n’était pas le même délire (rires). C’était frustrant pour nous, journalistes, parce que nous n’allions pas au bout de la mécanique mais aussi pour les supporters. Une fois les matchs terminés, les spectateurs qui sortaient du stade ou ceux qui regardaient le match devant leur télévision n’avaient personne avec qui partager leurs avis et leurs émotions. Je me suis alors battu pour créer une émission d’après match en m’inspirant des Espagnols, des Portugais ou des Italiens, qui produisaient des émissions d’après match bien installées. En Espagne, il est par exemple fréquent que ces émissions se terminent à 3h du matin avec de superbes audiences. Nous avons alors offert cette tribune aux supporters, qui nous appelaient pour exprimer leur joie ou bien râler sur l’entraîneur ou les joueurs : une sorte de réceptacle à émotions. L’émission s’est ensuite installée dans le paysage comme une référence. Aujourd’hui, beaucoup d’autres ont vu le jour mais nous avons été les premiers à remplir ce vide, ce qui a fait notre succès.

Face à l’émergence de nouvelles émissions d’après-match, comment parvenez-vous à rester la référence ?

L’After s’est basé sur 2 piliers : 1. La connaissance absolue du football, tous les intervenants sont des experts. Nous avons une antériorité, nous avons été pionniers et notre pertinence n’a jamais été mise en défaut. 2. L’opinion, à l’inverse de certaines émissions, les intervenants sont libres, indépendants et ne craignent pas de donner leur avis. Notamment parce que ce ne sont pas des entraîneurs au chômage ou des joueurs qui espèrent retrouver un club et qui ne veulent pas s’engager ni se fâcher avec qui que ce soit. Vous ne retrouverez pas d’émissions aussi engagées que l’After, et c’est ce qui fait notre succès.

“L’After s’est basé sur 2 piliers: 1. La connaissance absolue du football […]. 2. L’opinion […].”

C’est difficile de se renouveler après 16 ans d’émission ?

Absolument pas. Ce qui est fascinant, c’est que le football a toujours plus d’imagination que nous, il y a une actualité permanente. L’actualité du terrain bien sûr mais aussi l’actualité du football comme fait social. Nous abordons les implications entre football et économie ou politique, nous essayons de comprendre ce qui se passe en tribunes. C’est évidemment inépuisable. À titre d’exemple, la Coupe du Monde a été attribuée au Qatar il y a 12 ans, cela fait 12 ans que nous débattons sur le Qatar, et cela continuera certainement après la Coupe du Monde. D’autre part, nous nous réinventons en créant de nouvelles chroniques, en embauchant de nouveaux chroniqueurs, en parlant du foot de manières différentes, en bref en innovant.

Comment préparez-vous les émissions de l’After ?

Il y a 2 types de soirées : les soirées avec match et les soirées sans match. Lors d’un soir de match, nous avons énormément d’auditeurs (soirées ligue des champions avec clubs français par exemple) mais paradoxalement cela nous demande peu de préparation car nous sommes totalement dépendants du match. C’est ce dernier qui détermine notre programme. Les soirées sans match, il s’agît de 4h de talk et cela demande évidemment davantage de préparation, alors que nous faisons moins d’audience. Nous avons une équipe formée depuis des années qui fait un gros travail de préparation notamment via l’organisation de réunions d’anticipation pour choisir les sujets abordés, choisir les invités, etc. Nous arrivons au bureau en milieu d’après-midi et restons jusqu’à la fin de l’émission vers minuit.

Affiche l’After Foot avec Daniel Riolo à gauche et Gilbert Brisbois à droite / RMC.

Vous avez créé l’After sur RMC en 2006, et hormis un court passage sur Europe 1 vous êtes resté fidèle à cette radio, pourquoi cette fidélité alors que vous devez être convoité par de nombreux médias ?

J’ai commencé à travailler pour RMC en 1998 avec de premières piges puis je suis parti couvrir les Jeux Olympique de Sydney et lorsque je suis ensuite rentré en France en 2001, j’ai définitivement été embauché en CDI, avant de créer l’After en 2006. En 2008, au moment où je suis allé sur RTL, Europe1 voulait développer le sport et m’avait fait une offre pour les rejoindre. Mais entre le moment où j’ai signé et le moment où j’ai commencé, il y a eu un changement de direction et d’orientations. Je suis alors revenu sur RMC avec qui j’étais resté en très bons termes. Je me sens très bien ici car nous avons une liberté de ton garantie qui n’existe quasiment nulle part ailleurs. L’After est aujourd’hui le premier podcast de France, une émission de référence dans le foot. On croit toujours que c’est mieux ailleurs mais ça n’est pas le cas. Je suis très heureux parce que faire ce que nous faisons au quotidien, c’est quand même mieux que de travailler pour de vrai (rires). 

Vous avez lancé avec Daniel Riolo After Foot La Revue, un mook ou Revue trimestrielle, ce lancement peut paraître étonnant alors que le format print est considéré par beaucoup comme en perte de vitesse ou plus dans l’ère du temps. Pourquoi l’avoir lancé ?

Nous avons été contactés par une société qui commercialise ce type de produit et qui nous a fait remarquer que nous avions une communauté très forte et que nous pourrions, sur cette base, développer un mook, contraction de « magazine » et « book ». C’est ce qui fonctionne le mieux dans les kiosques, mais un produit pareil sur le football n’existait pas. A l’inverse des magazines ou journaux qui traitent uniquement du ballon, nous voulions aborder les sujets annexes. Nous nous sommes dit : tous les soirs nous avons à peu près 300 000 auditeurs, il y a bien parmi eux 20 000 ou 30 000 passionnés qui aimeraient un produit pareil. C’est une excroissance de l’émission, une suite logique sur un support différent. Cela nous permet d’entrer dans une logique de marque, on ne raisonne plus en émission. L’After foot est devenu une marque : émission de radio, podcasts, revue. C’est une sorte de diversification à l’image de ce que pourrait faire une entreprise lambda. Nous sommes au 7ème numéro, le dernier est sorti le 9 novembre et traite principalement de la Coupe du Monde avec les ingrédients qui ont fait le succès de l’émission : de l’expertise et de l’opinion. C’est en plus un objet sympa, qui se conserve, imagé par un illustrateur de talent. Les lecteurs d’emlyon qui aiment le football peuvent s’abonner sur le site afterfoot.média. 

Cela vous permet de creuser les sujets ?

Oui cela permet de porter un œil différent sur ces sujets et cela permet aussi aux « afteriens » de bénéficier d’une tribune supplémentaire pour s’exprimer. Cela crée aussi une émulation interne. Il n’y a que des avantages. Pour l’instant, nous vendons entre 15 000 et 20 000 exemplaires par numéro sans avoir atteint notre seuil de rentabilité. C’est encore fragile mais nous nous accrochons pour installer de manière pérenne la revue.

Quel est le modèle économique de la revue ?

Le modèle économique repose sur l’achat au numéro, les abonnements et un tout petit peu de publicité. Le principe des mooks est de ne faire que très peu de publicité, nous en avons 3-4 pages maximum. Nous réfléchissons à en ajouter quelques-unes car sur 160 pages cela ne fait pas une grosse différence. Le mook est un produit assez cher, 13,90€, le prix d’un livre, car hormis ces quelques pages de publicité il y a 140 pages de lectures sérieuses et d’illustrations. L’accent est mis sur la qualité.

La Coupe du Monde se déroule au Qatar sur fond de scandales humains et écologiques, fallait-il boycotter ?

J’ai un point de vue de journaliste sur la question. Le journaliste ne boycotte pas, il ne boycotte pas la guerre, il ne boycotte pas les conflits, il ne boycotte pas les problèmes. Justement, son travail est d’enquêter pour savoir ce qu’il se passe. C’est donc tout naturel pour un journaliste de dire non au boycott. Que des politiques ou des supporters se positionnent en faveur du boycott, je peux tout à fait le comprendre. Je suis tout à fait lucide sur ce qu’il se passe au Qatar, sur les problèmes rencontrés, sur le fait que jamais un pays arabe n’a accueilli une Coupe du monde et qu’il n’y a pas de raison non plus que cette zone du monde n’y ait pas droit. L’idée est d’y aller pour raconter ce qui s’y passe en parlant des matchs, de l’émotion et des performances sportives évidemment mais également de l’actualité sociale, et ce grâce à de nombreux reporters. Alors non, nous ne boycottons pas et nous serons au Qatar durant toute la compétition avec des Afters tous les soirs en studio et en direct à partir du 20 novembre.

Une du nouveau numéro d’After Foot La Revue, consacré à la Coupe du Monde au Qatar / afterfoot.media.

Accueillir une Coupe du Monde est un enjeu géopolitique immense, l’attribution intervient bien en amont, comment éviter d’en arriver à une situation comme celle d’aujourd’hui ?

La problématique est la suivante : si nous voulons organiser des grands événements sportifs comme les JO ou la Coupe du Monde de football dans des pays où il n’y a aucun problème lié aux droits de l’homme, à la démocratie ou aux conditions de travail, nous allons rapidement tourner sur 20 à 25 pays seulement. Ça n’est pas la vocation des grands évènements sportifs que d’être concentrés dans quelques pays, alors je trouve logique que toutes les zones du monde puissent prétendre à les accueillir. Que la Coupe du Monde puisse un jour aller en Afrique, ce qui n’a jamais été fait, me réjouit, car le sport est universel. Évidemment, il y a des degrés d’acceptabilité. Sans doute aurait-il fallu au moment de la désignation du Qatar, imposer un cahier des charges au pays car nous savions que la législation du travail y était telle que l’on était proche de l’exploitation pure et simple, à la limite de l’esclavage. En imposant par exemple un engagement sur un salaire minimum ou des conditions de travail décentes pensées collégialement puis accompagnées d’un suivi. Mais ça n’a pas été fait.

“Le football a toujours plus d’imagination que nous, il y a une actualité permanente.”

Ça n’est d’ailleurs pas nouveau dans l’histoire du sport. La Coupe du monde de football a eu lieu en Argentine en 1978 alors que c’était une dictature. Au Mexique, en 1986, des dizaines d’étudiants ont été tués en plein centre de Mexico par des militaires la veille du match d’ouverture. La Coupe du Monde s’est aussi déroulée en Russie en 2018 et on ne peut pas dire que ce soit une grande démocratie. Il en va de même pour les JO qui ont eu lieu à Pékin en 2008 et 2022, à Moscou en 1980 ou à Séoul en 1988. La liste est très longue. Avec le Qatar s’ajoute un non-dit, qui est le rapport à l’islam. C’est une zone à majorité musulmane avec une façon de vivre dictée par la religion ce qui rajoute à la crispation car nous voyons les choses sous le prisme français, avec un rapport à l’islam tordu. Nous sommes tout à fait conscients des problèmes au Qatar mais le pays va peut-être évoluer grâce à la Coupe du monde. C’est en tout cas ce que disent de nombreuses ONG telles qu’Amnesty International qui déclare : « non au boycott, en revanche aidons le Qatar à améliorer la situation des travailleurs, et ils l’ont déjà fait ». Sur une échelle de 1 à 10 nous sommes peut-être à 2 mais il y a eu une évolution.  

“Le journaliste ne boycotte pas, il ne boycotte pas la guerre, il ne boycotte pas les conflits.”

Les joueurs devraient-ils être impliqués dans les processus décisionnaires concernant l’attribution des grandes compétitions ?

Je ne pense pas, pour 2 raisons. Premièrement, les joueurs sont concentrés sur eux-mêmes et leur carrière. C’est leur enjeu au quotidien car une carrière de footballeur peut très vite s’arrêter. Deuxièmement il ne faut pas oublier que les footballeurs sont souvent encore des adolescents, des post-adolescents ou des jeunes adultes qui ne sont pas forcément armés pour parler de ces sujets, soit parce qu’ils n’ont pas envie, soit parce qu’ils n’ont pas la culture générale pour le faire soit parce qu’ils n’ont pas la sémantique ou l’aisance nécessaire. Il ne faut pas être exigeant outre mesure. Remettez-vous dans un contexte où vous aviez 17 ou 18 ans, et que l’on vous demandait une analyse géopolitique sur le Qatar, pas certain qu’elle soit pertinente. Selon moi, c’est aux dirigeants du sport mondial de s’emparer de ces sujets. 

Pour peser dans les relations internationales, les monarchies du Golfe et en particulier le Qatar utilisent le football comme outil de soft power, en France notamment. Est-ce problématique ?

Je comprends la démarche. C’est exactement ce que fait le Qatar, les Émirats Arabes Unis ou l’Arabie Saoudite en asseyant leur position dans le monde grâce au sport. Cela leur coûte certainement moins cher que des armes, et c’est plus « souriant ». A l’échelle du football cela pose un vrai problème parce qu’il y a une distorsion de concurrence énorme : le Qatar est un puit sans fond de pognon qui a toute l’aisance pour acheter qui ils veulent. Evidemment, avec les meilleurs joueurs, on devient mécaniquement les meilleurs. C’est pour cela que Platini a voulu mettre en place le fair-play financier. Les clubs-États sont un vrai problème.

Le fair-play financier a été créé à l’initiative de Michel Platini, lorsqu’il était président de l’UEFA / Sipa.

Ce fair-play financier, c’était une bonne idée ?

Je trouvais que c’était une très bonne idée. Cela permettait de garantir une équité sportive. Aujourd’hui c’est plutôt respecté. En ce moment on parle beaucoup du projet de Super League dont je ne suis pas fan car j’estime que le mérite sportif avec montées et descentes fait le sens du foot. Nous verrons ce qu’il se passe.

“Depuis 1962 aucune équipé n’a gagné 2 fois de suite, c’est très rare.”

Quand cette interview paraîtra, la Coupe du Monde aura déjà débuté, quel est votre pronostic pour l’équipe de France alors que Didier Deschamps vient de dévoiler sa liste ?

A vrai dire je ne suis pas très confiant. Il ne vous a pas échappé que depuis 1962 aucune équipe n’a gagné 2 fois de suite, c’est très rare. Il est difficile pour l’équipe qui gagne de rester au top avec, en plus, le même entraîneur. Le contexte est d’autant plus difficile en 2022, avec une coupe du monde en hiver et des habitudes chamboulées. Je souhaite que l’équipe de France aille loin mais je ne suis pas très optimiste. Je considère que le Brésil est favori, l’Argentine aura aussi une grosse équipe.

“A l’échelle du football cela pose un vrai problème parce qu’il y a une distorsion de concurrence énorme”

En ce qui concerne les nations européennes, c’est toujours compliqué : l’Angleterre, on ne sait jamais trop, l’Allemagne semble un peu moins bien, l’Espagne aussi… Nous pouvons avoir une Coupe du Monde de surprises avec une équipe inattendue qui va loin. Les Équatoriens jouent très bien au football, le Danemark a une belle équipe, pourquoi pas assister à une belle compétition de la part d’une nation africaine.

Vous êtes un grand adepte des courses à pied, notamment dans des pays parfaitement improbables. Gimmick désormais connu entre vous et Daniel Riolo, qu’est-ce qui vous intéresse dans ces pays ?

J’adore utiliser le running comme moyen de découverte. Lorsque j’en ai l’opportunité, j’aime allier sport et voyages. J’ai pu participer à des courses en Corée du Nord, aux chutes Victoria au Zimbabwe, en Irak, aux Etats-Unis ou en Europe. C’est une bonne idée pour votre bureau des sports : qu’ils emmènent tout le monde faire la course en Irak ou en Corée du nord (rires). Pour conclure, mon petit frère a fait emlyon et a monté sa boîte de production à Paris, qui fonctionne très bien, alors bravo à emlyon.