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Interview d’Aurélie Jourde : responsable marketing du Centre Pompidou

Travailler dans une grande institution muséale après une école de commerce ? C’est possible ! Aurélie Jourde, responsable marketing du Centre Pompidou, revient sur son parcours et sur les nombreux défis qui attendent cette belle institution.

“La curiosité est la première étincelle”

Bonjour Aurélie, pouvez-vous commencer par vous présenter ?

Je travaille au Centre Pompidou, où je suis chargée du pôle Marketing. Je suis également une ancienne élève d’emlyon business school, promotion 2007. Lorsque j’ai intégré l’école, je souhaitais déjà travailler dans la culture, ce qui s’éloignait des cursus classiques de finance, conseil, etc. Néanmoins, à l’époque, je n’avais encore aucun bagage culturel académique et classique, même si j’ai toujours été sensible à l’art. À force de persévérance, j’ai pu réaliser mes différents stages dans le domaine culturel : que ce soit dans une maison de vente aux enchères ou dans une maison d’édition. J’ai ainsi pu réaliser mon deuxième stage chez Christie’s. Cette expérience fut très formatrice car j’ai pu déceler précisément ce que je cherchais en travaillant dans le domaine de la culture : mettre l’art à portée du plus grand nombre. Je me suis alors rapprochée d’une maison d’édition, les éditions Atlas, pour travailler dans cette optique de partage et de pédagogie. Je me suis ensuite lancée dans la vie active, avec l’idée de pouvoir travailler un jour dans une grande institution muséale.

Centre Pompidou, architectes Renzo Piano et Richard Rogers, photo © Berengo Gardin, Gianni

Pouvez-vous décrire votre poste au sein du Centre Pompidou ?

En tant que responsable du pôle marketing, je coordonne les actions de développement sur nos différents publics. Notre but est de faire venir un public plus nombreux et plus diversifié avec des attentes fortes sur certaines cibles prioritaires, par exemple les publics éloignés de la culture.Je dois aussi avoir en tête le développement de nos ressources propres dans l’élaboration de nos stratégies mais pas seulement… Je trouve particulièrement intéressant que nous ne considérions pas uniquement notre réussite sur un indicateur quantitatif, type chiffre d’affaires, mais également sur des indicateurs qualitatifs. Nous souhaitons développer notre impact réel. Je peux ainsi résumer mon poste comme la définition de cibles, l’identification des opportunités puis le développement et la mise en œuvre de projets. Le tout me passionne !

Sur quels projets en particulier travaillez-vous actuellement ?

À court terme, un projet symboliquement important est de continuer à toucher le public scolaire du Centre, malgré sa fermeture temporaire, en envoyant nos conférenciers dans les salles de classe franciliennes. En effet, au-delà de la fermeture pour des raisons sanitaires, les perspectives de reprise sont sombres pour le monde scolaire du fait du niveau d’alerte du plan Vigipirate. Nous devons donc développer de nouvelles stratégies. À moyen terme, nous travaillons également sur la préparation de notre réouverture, avec toute une programmation pour la célébrer comme il se doit ! Enfin, la future fermeture du Centre Pompidou pour travaux pendant 3 ans, en tant que lieu emblématique qui présente la collection, va représenter un défi de taille pour toute l’équipe. Comment faire vivre nos activités et l’ “esprit” du Centre en dehors du bâtiment ? Comment adapter nos offres d’adhésions ? Nous avons plein d’idées, ce challenge s’annonce exaltant !

Comment jugez-vous l’apport de votre formation commerciale dans votre parcours professionnel ?

L’école de commerce et la classe préparatoire nous apprennent à structurer notre méthode de travail, avoir un sens d’analyse pratique, et hiérarchiser les priorités, qui sont des compétences très appréciées dans ce secteur. Par exemple, dans la conquête des différents publics pour le Centre Pompidou, nous devons fournir un travail précis, méthodique et sur-mesure. De plus, un élément que m’a particulièrement apporté emlyon business school, est un esprit entrepreneurial. J’ai particulièrement apprécié le cours “Projet Création d’Entreprise”. Au quotidien cela m’a permis de développer un esprit d’initiative certain. L’esprit d’initiative est une composante essentielle dans le secteur culturel où, parfois, certains process ne sont pas encore bien définis : il faut pouvoir identifier les besoins, les difficultés et proposer une manière de fonctionner cible qui aille à tous tout en permettant au projet d’aboutir rapidement . La vie associative m’a également beaucoup appris sur ce point, et également en termes de management. J’étais notamment vice-présidente du mandat 2003 du Bureau des Élèves, et j’avais mis en place “les lundis culturels”. Dans la même idée, travailler sur la création du Guide de l’Expat’ était une première vraie expérience professionnelle concrète, qui m’a été utile lors de mes entretiens de stage par la suite. Cette possibilité de monter des projets très ambitieux est une opportunité unique pour s’armer en amont de son entrée dans la vie professionnelle. Par la suite, j’ai pu mettre à profit l’enseignement de l’école en développant des compétences marketing solides dans des entreprises privées. C’est une force de faire ses armes dans ce secteur car il permet ensuite d’apporter une véritable expertise au public. Ce domaine à l’origine difficile d’accès est de plus en plus réceptif aux profils issus d’école de commerce.   

Je suis convaincue qu’il y a un véritable pont à faire entre la formation en école de commerce, et ce que peut apporter le domaine culturel. Je pense notamment à l’aspect créatif que peuvent apporter les artistes au monde professionnel. Dans cette optique, le Centre Pompidou a lancé en 2018 l’École Pro, qui a pour but de proposer des formations professionnelles inspirées du processus créatif, et leur apporter des clefs pour innover dans leur domaine.

Henri Matisse, « La Blouse roumaine », 1940. Centre Pompidou, Musée national d’art moderne. Don de l’artiste à l’État, 1953 © Succession H. Matisse Photo © Centre Pompidou, Mnam-Cci / G. Meguerditchian / Dist. RMN-GP

Que conseillez-vous aux étudiants qui souhaiteraient également s’orienter dans cette voie professionnelle ?

Je vous conseillerai d’être déterminé, et de vous créer un réseau : ne soyez pas timide ! Il est important de contacter des professionnels et de réaliser des stages dans ce secteur afin d’affiner votre projet. Cela vous permettra également de comprendre ce qui vous motive tous les jours pour travailler. Êtes-vous motivé par votre appétence pour l’art ? Par le prestige d’un établissement ? Par la créativité qui infuse ce domaine ? Répondre à ces questions vous permettra de construire petit à petit votre parcours professionnel. Commencer à travailler dans le privé est également une bonne idée, afin de pouvoir construire un profil très rationnel, très organisé, pour ensuite le faire valoir dans la sphère culturelle publique.

De plus, il faut que votre cv montre votre intérêt concret pour la culture. Il est indispensable de montrer dans vos expériences académiques, professionnelles ou associatives que l’art et la culture vous intéressent.

Travailler dans la culture demande humilité, patience et passion. Ce dernier point est particulièrement intéressant d’un point de vue managériale :  la dimension d’affect peut-être plus importante qu’ailleurs et se révéler un puissant moteur qu’une poudrière ! Comparée à d’autres secteurs professionnels, la frontière entre vie privée et vie professionnelle peut-être plus floue : travailler dans ce domaine mobilise son cerveau mais également son cœur.

Pénélope Bagieu © MOOC Elles font l’art, Centre Pompidou 2021

Quel est l’impact actuel du coronavirus sur votre activité et quelles sont les initiatives menées pour faire preuve de résilience ?

Je pense que la crise du coronavirus peut être une opportunité pour les institutions culturelles. La pandémie a des conséquences terribles sur le secteur culturel (surtout les salles de spectacles ou le cinéma), néanmoins, elle représente une injonction à nous adapter qui peut  être saisie comme une chance. Désormais, l’organisation du Centre Pompidou est plus digitalisée, afin de permettre à un maximum d’agents de travailler à distance. Cela n’était pas du tout le cas avant la pandémie, la « culture du papier » était par exemple encore très présente. Par rapport au public, cela nous a permis de faire preuve d’initiative, et donc de préparer la future fermeture du Centre Pompidou pour ses grands travaux. Lors du deuxième confinement, nous avons lancé un nouveau site internet, pour rendre accessibles nos inépuisables ressources numériques : reportages, interviews, visites spectacles, et même un Magazine complet avec des articles inédits ! Plus qu’un site, c’est un véritable outil transverse qui nous aide à mettre en valeur les différentes ressources que nous souhaitions partager depuis plusieurs années. Malgré les difficultés à voyager actuelles, nous gardons en tête l’enjeux de porter le rayonnement du Centre au-delà de nos frontières.Ainsi,en partenariat avec le site Alibaba, nous avons réalisé un live stream de 2h pour atteindre notre public chinois. Enfin, j’ai été agréablement surprise de constater récemment que la consommation culturelle des Français avait augmenté pendant le confinement, alors qu’avant cela, les études montraient que les politiques culturelles échouaient à créer une véritable diversité des publics. Ce changement a été permis par le numérique, et cela nous a appris à quel point ce dernier pouvait être un outil d’engagement puissant. Nous avons maintenant des clefs pour mettre le public encore plus au centre de nos stratégies de développement. Cela nous permettra également de communiquer de manière plus efficace sur nos différentes dimensions. En effet, le Centre Pompidou cultive sa pluridisciplinarité en ne proposant pas uniquement des expositions muséales, mais également des spectacles, de la danse, du cinéma, des débats, etc. Nous avons maintenant davantage d’ outils en main pour mettre en valeur notre identité multiple, dans le but d’intriguer, d’interpeller les jeunes et les publics les plus éloignés : la curiosité est la première étincelle !

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