Du 20 novembre au 18 décembre 2022 se tiendra la 22ème édition de la plus prestigieuse et de la plus suivie des compétitions de football, la Coupe du Monde. Le Mondial se tiendra cette année au Qatar, sur fond de scandales écologiques et humains. A l’approche de la compétition, de nombreux appels au boycott ont émergé d’associations, de supporters ou encore d’observateurs inquiets pour l’environnement et dénonçant les conditions de travail des ouvriers engagés sur les chantiers de construction des stades. La pratique du boycott n’est pas nouvelle et partage une histoire singulière avec le sport. Pour autant, cette stratégie de protestation est-elle vraiment efficace ?
Par Thomas Picchiarini,
Le Boycott, une pratique loin d’être nouvelle
En 1880, afin d’obtenir de meilleures conditions de travail, un groupe de fermiers et ouvriers de l’Ouest irlandais décide d’instaurer un blocus total sur leur riche propriétaire. Et le processus va loin, jusqu’à sacrifier une récolte ! On va même jusqu’à refuser de lui adresser la parole ou de lui offrir la moindre interaction sociale. L’homme en question, Charles Cunningham Boycott, à défaut d’obtenir le prix de la personnalité préférée du village, offrira son nom à l’histoire pour avoir subi l’une des stratégies de protestation les plus plébiscitées des décennies à venir : le boycott.
Évidemment, la pratique avait déjà été employée dans divers contextes sans être nommée de la sorte. Dans l’Antiquité, l’on retrouve par exemple une manifestation du boycott dans la célèbre comédie d’Aristophane Lysistrata : la mise en scène d’une “grève du sexe” des femmes grecques pour mettre un terme à la guerre du Péloponnèse dont leurs maris ne semblent pas vouloir décrocher.
Si le boycott est aujourd’hui employé dans des contextes variés (élections, échanges commerciaux, œuvres, entreprises, etc) il trouve un écho tout particulier dans le monde du sport, ce depuis plusieurs décennies.
Sport et boycott à travers les âges
Les plus grandes compétitions ne sont pas épargnées, au contraire, et Jeux Olympiques comme Coupes du Monde font régulièrement la rencontre pénible de ce procédé. Les modalités et motivations du boycott varient largement selon les éditions mais il est à noter une flagrante récurrence du phénomène, en raison des scandales qui accompagnent ces évènements planétaires.
En 1976 par exemple, 22 nations décident de n’envoyer aucune délégation aux Jeux Olympiques de Montréal pour protester contre la participation de la Nouvelle-Zélande. Le pays avait été épinglé peu de temps auparavant pour avoir envoyé en tournée son équipe de rugby en Afrique du Sud, nation dénoncée universellement à l’époque pour sa pratique de l’Apartheid.
En 1980, les États-Unis décident de jeter un nouveau froid à la guerre en refusant de participer aux Jeux Olympiques de Moscou, soi-disant pour critiquer l’invasion de l’Afghanistan. Soixante-cinq pays suivent alors ce mouvement. La réponse ne tarde pas puisque dès les jeux de 1984, l’Union Soviétique accompagnée de 13 nations du bloc de l’Est décline l’invitation aux jeux de Los Angeles.
Récemment, les exemples fourmillent. En 2014, ce sont les Jeux olympiques d’hiver de Sotchi qui passent sous le feu des critiques. Choisie à la surprise générale devant Salzbourg ou Pyeongchang, la station balnéaire de Sotchi n’avait pourtant rien du candidat idéal tant dans ses infrastructures que par son climat méditerranéen. A l’arrivée, le bilan est calamiteux. Les travaux coûteront quatre fois plus cher que prévu pour atteindre des dépenses colossales de 37 milliards d’euros, soit plus que tous les autres jeux d’hiver précédents réunis. A cette catastrophe économique s’ajoute un désastre écologique puisqu’un demi-million de mètres de neige auront dû être stockés pour rendre les épreuves possibles. Enfin, un scandale lié à la promulgation en Russie d’une loi punissant la “propagande homosexuelle devant mineurs” vient parachever le chef d’œuvre. Rien ne semble aller à Sotchi et peu à peu, une partie du public ainsi que des personnalités politiques annoncent boycotter l’événement.
La Coupe du Monde de Football 2022 sous le feu des critiques
Même si ces quelques exemples portent déjà à bâtir une réflexion autour du boycott dans le sport, c’est bien l’actualité qui nous fait franchir le pas. Que l’on aime suivre le football ou non, il est difficile d’échapper aux polémiques concernant la coupe du Monde au Qatar qui a débuté le 20 novembre 2022.
“A trois mois de l’évènement on s’offusque qu’il puisse avoir lieu, lui qui est déjà attribué au Qatar depuis le 2 décembre 2010.”
En cause, un double scandale écologique et humain. Il est notamment reproché au Qatar la mort de plus de 6500 ouvriers depuis le début des travaux. Ce nombre avancé par The Guardian est néanmoins à remettre dans un contexte spécifique et est en réalité probablement plus faible. De son côté, l’Organisation Internationale du Travail annonce 50 travailleurs décédés sur l’année 2020 ainsi que 500 blessures graves et 37 500 blessés légers ou modérés, sans pour autant pouvoir extrapoler ce chiffre sur une période plus large.
En outre, l’empreinte carbone dantesque liée à la construction de 8 stades climatisés en plein désert fait grincer des dents, d’autant plus pour un pays qui ne compte que 2,9 millions d’habitants. Il est d’ailleurs déjà prévu pour plusieurs de ces stades comme le Ras Abou Aboud qu’ils soient démontés après la fin de la Coupe du Monde. D’autres resteront sans doute inutilisés après l’événement. Enfin, le timing inhabituel de cette édition ainsi que la position du pays hôte quant aux droits de la communauté LGBT (pour rappel, les relations sexuelles entre individus du même sexe sont punissables d’emprisonnement au Qatar) sont les dernières gouttes qui font déborder le vase de la tolérance populaire.
Au cours des trois derniers mois précédant l’événement, l’indignation a graduellement progressé et s’est muée en un boycott répandu. Selon l’ONG Amnesty International 48% des Français annoncent qu’ils ne suivront pas la Coupe du Monde au Qatar. De même, les plus grandes villes du pays (Paris, Marseille, Reims, Rennes, Lilles, Bordeaux, etc) ont rejoint le mouvement en choisissant de ne pas diffuser sur écran géant les matchs de cette édition.
On l’a bien compris, le mécontentement est fort et la volonté de le montrer l’est encore plus. Si bien sûr on n’accepte pas cette organisation on n’accepte encore moins d’y être associé. On tire une grande vertu à s’opposer héroïquement à cette coupe meurtrière et son pays hôte diabolique. A trois mois de l’événement on s’offusque qu’il puisse avoir lieu, lui qui est déjà attribué au Qatar depuis le 2 décembre 2010. Le mot est brandi et pullule dans tous les médias : boycott !
La réponse par le boycott, naturelle au vu de l’histoire du sport, est-elle pour autant efficace ?
En s’inspirant des exemples cités plus haut, une réponse claire émerge : Boycotter c’est beau, mais ça ne sert à rien.
Malgré toute la bonne volonté du monde et parfois le renfort de dizaines de pays, aucun des mouvements les plus célèbres n’ont réellement eu d’impact. La Nouvelle-Zélande s’est finalement bien rendue aux JO de Montréal et l’Apartheid a continué la décennie qui suivit. La guerre perpétrée par l’Union Soviétique en Afghanistan s’est poursuivie encore neuf années après les Jeux de 1980 à Moscou, qui se sont d’ailleurs bien tenus. De même, quatre ans plus tard, malgré le boycott des Jeux de Los Angeles par la plupart des pays du bloc de l’est, le capitalisme ne s’est pas effondré et les médailles ont été correctement distribuées. Enfin, on a bien fini par descendre les pistes de Sotchi et payer la facture colossale des travaux, sans évidemment que la liberté d’expression LGBT en Russie ne progresse.
Si personne n’était naïf au point de croire que boycotter la coupe du monde au Qatar, même massivement, à deux mois de son début aurait pu mettre un terme à cette folie humaine et écologique, on a pu entendre que ce mouvement préparerait l’avenir. Comment y croire lorsque l’on voit depuis des décennies déjà des éditions boudées, des scandales mondiaux, des désastres divers mais que continuent à régner les attributions absurdes.
Plutôt que de punir et culpabiliser les spectateurs ou d’interdire à des athlètes la participation à un événement pour lequel ils se sont préparés toute leur vie, il est urgent de se pencher sur les comités d’attribution de ces compétitions. Ces structures internationales, en assumant la responsabilité de choisir, doivent aussi assumer les conséquences de leurs choix. Les sanctions doivent être proportionnées à la hauteur des désastres qu’ils génèrent.
Il ne nous reste plus qu’à espérer qu’à défaut d’avoir empêché une nouvelle tragédie humaine et écologique, le boycott ait pour une fois posé une pression sur les futures décisions d’attribution. Même si une pointe de pessimisme et un petit tour dans l’histoire laissent à croire que l’issue est aussi probable qu’une victoire de l’Italie lors de ce Mondial 2022.