Que faire quand on est stagiaire en entreprise et que l’on est confronté ou témoin de sexisme ? Pour répondre à cette question, Verbat’em est allé interroger Camille, une des fondatrices de Balance Ton Stage.
Par Marie Bailly rédactrice chez Verbat’em
Peux-tu tout d’abord te présenter ?
Camille (C) : J’ai 23 ans et je suis la cofondatrice de Balance ton stage, que j’ai créé avec deux amis d’emlyon, Agathe et Simon, qui sont comme moi, en dernière année.
C’est quoi Balance Ton Stage ?
C : C’est au départ une initiative étudiante, créée en janvier 2020, et qui est aujourd’hui devenue une association. Elle vise principalement à sensibiliser, former et libérer la parole des étudiants et des étudiantes sur le thème du sexisme en entreprise et plus particulièrement lors des périodes de stage et d’alternance. Tous les étudiants peuvent être concernés, même si bien sûr, les femmes sont plus souvent et plus durement touchées. Notre action passe par un compte Instagram où nous postons des extraits de témoignages et par notre guide Le petit manuel du sexisme en entreprise et comment le combattre. Ce dernier propose des définitions juridiques, des analyses pour identifier, repérer et se protéger du sexisme, et des témoignages sous forme de verbatim. Ça permet de s’identifier plus facilement, de comprendre ce que traversent les victimes ou les témoins. Nous menons aussi des actions avec des écoles et des entreprises comme par exemple Metro.
Quelles sont les raisons qui t’ont poussées à porter ce projet ?
C : Tous les trois, nous avons été témoins et victimes de sexisme ordinaire durant notre premier stage en entreprise. J’étais aux Etats-Unis, dans une petite structure avec Agathe. Là-bas, nous avons été confrontées à des blagues ou à des petites remarques sexistes, envers des clientes, des partenaires comme : “Je sais pas ce qu’elle a en ce moment cette cliente. Elle est chiante. Elle doit être mal baisée“. Ça se traduisait également dans le comportement de notre manager et de certains clients. Un jour, j’ai eu un conflit légèrement violent verbalement parlant avec mon manager à ce sujet, et ça a été suffisamment grave pour qu’à partir de là, je vive assez mal mon stage. J’étais très en colère. Je ne pouvais pas garder ça pour moi et j’en ai parlé à d’autres étudiants d’emlyon, surtout à des étudiantes. Je me suis vite rendu compte que je n’étais pas du tout la seule dans ce cas. Ça a été un choc pour nous. Il fallait vraiment faire quelque chose. C’est pourquoi en 2e année, nous avons lancé des enquêtes auprès des étudiants pour mesurer ce phénomène de sexisme en entreprise. Je voulais transformer cette colère que j’avais en quelque chose de positif.
En quoi faire de Balance Ton Stage un Maker’s Project a pu aider à concrétiser le projet ?
C : Ca nous a été très utile : nous avons eu une coach, une professeure d’emlyon nommée Caroline Sorèze. Elle a joué un rôle de mentor : elle nous a donné de très bons conseils mais surtout elle nous a aidée à avoir confiance en nous, à nous sentir légitime sur notre sujet et à ne pas nous limiter dans nos projets.
Balance Ton Stage a eu énormément de succès. Comment ça s’est passé ?
C : Le Maker’s Projet s’arrêtait au manuel. Ensuite, pour le diffuser et le promouvoir auprès des étudiants d’emlyon, nous avons décidé de créer un compte Instagram en août. Nous pensions toucher cent personnes maximum. Au début, nous avons mis des extraits de témoignages un peu choc, puis, en septembre, nous avons diffusé le manuel. Ensuite, les Echos ont sorti un article sur Balance Ton Stage, ce qui lui a donné une immense ampleur médiatique : nous avons fait des dizaines d’interviews, écrites et filmées, Balance Ton Stage a même été le top tweet pendant 24h en France. Nous avons gagné en visibilité en dehors d’emlyon, auprès d’autres cursus, et surtout, nous avons commencé à recevoir tous les jours des dizaines de témoignages par message privé.
Comment analyses-tu votre succès auprès des étudiants ?
C : Face à l’ampleur du phénomène, nous avons compris que nous avions soulevé un vrai problème, celui du sexisme en entreprise et plus particulièrement en stage. Le stagiaire a souvent un statut plus précaire en entreprise. Il est donc plus exposé aux discriminations et c’est plus dur d’en parler. C’est pourquoi selon moi, en créant un mouvement de libération de la parole, nous avons répondu à une vraie demande des étudiants et ça a beaucoup contribué à notre succès.
Peux-tu nous parler de vos partenariats avec différentes entreprises ?
C : Ça a débuté quand nous avons été contactés par Anne-Laure Thomas, Directrice Diversité Equité et inclusion chez L’Oréal. Elle nous a proposé de rejoindre #StOpE, une initiative visant à faire reculer le sexisme ordinaire au travail, et où adhèrent de plus en plus de sociétés. Ca nous a permis de présenter Balance Ton Stage à des entreprises du CAC 40 par exemple. Par la suite, nous avons été contactés par certaines d’entre elles pour des formations à destination de leurs stagiaires.
Quel impact a eu votre action à l’EM ?
C : Je pense que ça a accéléré les changements en cours. Nous avons eu beaucoup de réunions avec la Corpo (ndlr : le Conseil de Corporation des étudiantes et étudiants d’emlyon) et les responsables RSE d’emlyon pour leur expliquer le problème et proposer des solutions. C’est souvent compliqué de mettre en place quelque chose de nouveau dans une école, mais plusieurs choses ont été faites et d’autres sont en cours. Nous sommes intervenus à emlyon au printemps dernier sous la forme d’un atelier de sensibilisation et de formation. Nous allons refaire une session en mars. Grâce à nous, emlyon a aussi rejoint l’initiative #StOpE. Nous avons fait plusieurs proposition comme réviser les conventions de stage pour ajouter une clause sur la tolérance zéro de l’école vis-à-vis des organismes d’accueil concernant le sexisme envers les stagiaires ou envoyer un questionnaire de suivi aux étudiants pendant et après les stages pour savoir s’ils ont été victimes de discrimination. En effet, très peu en ont parlé à l’école, par ignorance ou par peur de mettre en danger leur stage et leur diplôme.
Tu arrives bientôt en fin d’études. Comment envisages-tu le futur de Balance Ton Stage ?
C : Nous nous posons la question très souvent ! En effet, Balance Ton Stage nous demande énormément de temps : actuellement c’est 15-20h par semaine et ça a été jusqu’à 30h. C’est un combat permanent, avec tellement de chantiers à mener. Nous avons toutes les semaines de nouveaux projets ou de nouveaux partenariats. Le problème c’est qu’Agathe et moi entrons en stage début 2022, et nous allons ralentir un peu le rythme. Nous nous demandons également si nous n’allons pas créer notre bureau de conseil et de formation sur le sexisme en entreprise. C’est un projet qui se construit de jour en jour.
Quels conseils pourrais-tu donner aux étudiants, notamment à ceux qui partent en stage pour la première fois ?
C : Ce n’est pas parce que l’on est stagiaire, que l’on doit tout accepter et potentiellement devenir victime ou témoin de sexisme. Il faut savoir se protéger, savoir dire non aussi. Je conseille également de lire notre guide. Pourquoi ? Pour savoir ce qu’est le sexisme et comment il se manifeste, à quelle type de siituation on peut être confronté. Parfois, il est tellement intériorisé que la personne ne se rend pas compte qu’elle en est victime ou en est témoin. Or, le sexisme est partout dans la société. De plus, même si un témoin peut ne pas se sentir prêt à agir sur le moment, il peut toujours apporter un soutien moral à la victime par la suite. Cela signifie : lui dire qu’il la croit, qu’elle n’est pas coupable et qu’il peut l’aider à signaler les faits si elle le souhaite. Une victime doit savoir qu’elle peut agir, se faire aider et qu’elle n’est pas seule. Elle peut en parler à son entourage, à son école ou à des associations.