Sylvain Tillon est un alumni d’emlyon au parcours entrepreneurial riche et inspirant. Sur la base d’un projet de création d’entreprise initié lors d’un cours dispensé par l’école, il fait ses premiers pas d’entrepreneur durant ses études en fondant Lucyf’hair, une société de conception et de distribution de bijoux pour cheveux. Grisé par cette première expérience d’entrepreneur, il co-fonde quelques années plus tard Sydo (agence de conseil en pédagogie qui met en place des solutions innovantes pour donner envie d’apprendre, comprendre et mieux mémoriser) puis Tilkee (plateforme qui aide au quotidien les commerciaux et marketeurs à détecter, analyser et comprendre les signaux d’intérêt de leurs prospects). En avril 2020, il fonde Le Bahut, une école lyonnaise innovante dont la mission est de former les Digital Learning Manager et de les rendre capables de concevoir des modules de formation complets, du recueil du besoin à la réalisation technique des outils en passant par la vulgarisation des contenus, le graphisme ou encore la gestion de projet. Pour Le M, il se livre sur ses expériences et délivre quelques précieux conseils aux étudiants tentés par l’entrepreneuriat.
Propos recueillis par Houssam Nobbigh
Bonjour Sylvain, comment t’es-tu lancé en tant qu’entrepreneur ?
En arrivant à emlyon, j’envisageais de faire 10 ans de conseils pour engranger de l’expérience pour, in fine, monter mon entreprise un jour. Mais en 1ère année du Programme Grande Ecole, j’ai suivi le cours de PCE (ndlr : projet de création d’entreprise), dirigé par Régis Goujet. Ce cours m’a énormément plu, j’ai beaucoup appris et cela m’a motivé pour monter ma première entreprise. Le projet initié lors de ce cours deviendra par la suite réalité au travers de la société Lucyf’Hair. Je pensais pourtant ne pas être fait pour être entrepreneur, mes parents ne venant pas de ce milieu, je n’y connaissais pas grand-chose.
Ton premier projet fut donc Lucyf’Hair, alors même que tu étais encore étudiant. Comment as-tu pu concilier tes cours et le développement du projet ?
J’ai adapté mon programme d’électifs pour ne suivre qu’une journée de cours par semaine pour pouvoir consacrer du temps à mon projet. J’ai cependant mis 7 ans à être diplômé au lieu des 3 ans et demi habituels. Ce qui était intéressant était que je pouvais confronter les cours avec ce que j’observais dans le réel au sein de mon entreprise. Je me souviens d’une phrase que l’on m’a dite à l’époque : “Sylvain, tu n’as pas fait emlyon mais tu as fait l’em Lucyf’Hair” (Chantal Poty, alors responsable programme ESC). J’ai autant appris dans ma société qu’à emlyon, mais c’est grâce à l’école car celle-ci m’a donné l’occasion de pouvoir créer mon projet en parallèle, durant mes études.
Est-ce compliqué de se lancer en tant qu’étudiant ?
Je n’ai pas réellement eu de difficulté. En tant qu’étudiant j’ai réussi à faire avec ce que j’avais. Bien sûr, je n’ai pas fait de grosses levées de fonds au tout début, j’ai dû faire des prêts bancaires, mais je ne me suis pas dit que ça allait être difficile. La naïveté m’a permis de faire beaucoup avec très peu.
Après Lucyf’Hair, tu as lancé un autre projet : Sydo. Peux-tu nous en dire plus ?
J’adore écrire ! Vers la fin du projet Lucyf’Hair, j’avais commencé à écrire sur mon aventure entrepreneuriale. J’avais par ailleurs développé un blog pour en parler. Un ami m’a alors proposé d’éditer une bande dessinée sur l’entrepreneuriat : j’ai trouvé l’idée complètement folle, mais j’ai fini par accepter. J’ai alors commencé à écrire pour la BD, sur l’aspect pédagogique. Le projet a très bien fonctionné puisqu’il y a eu une distribution de plus de 200 000 exemplaires en version imprimée, ainsi que plus de 1 million de téléchargements.
Ensuite, j’ai participé au cours de Régis Goujet s’intitulant “Analyse et diagnostic des projets entrepreneuriaux” (ndlr : le cours est aujourd’hui intitulé “Création d’entreprise à potentiel de développement”, un des cours les plus intéressant de l’école, selon moi. A la fin du cours j’avais quelques points d’amélioration en tête et je pensais potentiellement pouvoir aider. J’ai alors fait des recommandations sur l’aspect pédagogique à Régis. Régis est revenu par moi et m’a dit : “C’est intéressant ce que tu me proposes, écoutes, si tu en ressens l’envie au prochain semestre je te laisse gérer le cours. Tu vas m’écrire le Syllabus, trouver les intervenants et mettre le cours en place, je reste bien entendu là en soutien si tu as besoin.” Voilà comment je me suis retrouvé professeur à emlyon à 25 ans, alors que je n’étais pas encore diplômé.
C’est d’ailleurs quelques mois plus tard que j’ai planté ma première société. Mon moral était au plus bas, je ne savais pas quoi faire de ma vie. J’ai finalement cherché du travail dans de grosses entreprises après avoir effectué des entretiens, et on m’a fait des propositions d’emploi. J’avais le choix entre “être indépendant, dans mon coin, mais donner des cours et écrire des livres” et “être consultant pour Capgemini au 25ème étage d’une tour à la Défense”. Je me suis alors dit qu’il valait mieux que je sois tranquille, dans mon coin, mais faire quelque chose qui me plaît, dont je suis fier et qui me permet de progresser, de me lever chaque matin avec le sourire. C’est comme ça qu’est née Sydo, une entreprise qui me permet de donner des cours et d’écrire des livres pour moi et pour d’autres. Dès lors, je me disais que du moment que j’arrivais à me payer 1500-2000€ net par mois, j’étais satisfait. D’ailleurs, dès les premiers jours j’ai pu me payer et obtenir des résultats car ce fut mon objectif premier. Mon second objectif était d’agrandir l’entreprise pour arriver à n’avoir besoin de travailler que 3 à 3,5 jours par semaine pour l’entreprise afin de pouvoir mener d’autres projets non financés. Aujourd’hui, Sydo est une petite entreprise avec une grosse vingtaine de salariés où nous nous faisons plaisir et où nous aimons tous travailler ensemble. Je peux d’ailleurs dire que Sydo m’a permis de m’en sortir après l’échec de ma première entreprise. J’ai toutefois commencé à m’ennuyer un peu avec le projet Sydo…
Qu’as-tu fait ensuite ?
Un ami a développé pour moi -ce qui deviendra par la suite Tilkee- une plateforme qui permet d’héberger les propositions commerciales des commerciaux afin de les aider à comprendre les points d’intérêts de leurs prospects. Le projet m’a beaucoup plu et je l’ai pitché à des amis entrepreneurs et à d’autres entreprises qui étaient alors prêtes à payer alors que je n’avais pas encore développé le produit !
J’ai pitché le projet au BlendWebMix, un grand salon de start-up à Lyon. J’ai fini deuxième du concours avec comme support un PowerPoint et un prototype très peu abouti. A la fin du concours, des investisseurs sont venus vers moi pour m’encourager à aller plus loin et me dire qu’ils étaient prêts à investir dans mon projet. La condition était que je devais être impliqué à 100% dans mon projet pour pouvoir être financé, je devais donc quitter Sydo et embaucher une équipe pour développer le projet. J’ai accepté.
Mon aventure Tilkee a débuté en juillet 2014, j’ai commencé par embaucher des développeurs et me suis aussi projeté à l’international : l’entreprise avait pour objectif de croître et de se développer rapidement, contrairement à Sydo.
As-tu éprouvé plus de difficultés qu’auparavant dans le processus de vente ?
Oui, vendre du service consiste à vendre du temps, et le temps c’est précieux. Valoriser un produit est plus difficile, il faut que ça rapporte beaucoup au client pour pouvoir le vendre cher. C’est complètement fou. Aujourd’hui, pour une conférence de 1h -bien préparée, bien travaillée-, des clients seraient prêts à me payer 2000€… et pour eux ce n’est pas si cher que ça ! En revanche, vendre 2000€ d’abonnement sur 1 an, c’est un chemin semé d’embuches : d’innombrables rendez-vous, de propositions et des négociations. Le rapport au produit est très complexe et tant que le produit n’est pas vu comme indispensable, il est difficile de le vendre cher.
Tout cela pour dire que mon aventure était très difficile au sein de Tilkee mais aussi très enrichissante. Mon aventure a duré 5 ans au bout desquels j’ai été en désaccord avec les ambitions de mes investisseurs, j’ai donc dû quitter l’entreprise, du jour au lendemain.
“L’échec est inhérent à l’entrepreneuriat et encore plus à l’innovation, plus ton produit est innovant et plus tu as de chance de te planter.”
Après toutes ces expériences, tu as écrit un livre “100 conseils pratiques pour couler sa boîte”, peux-tu nous donner 3 conseils à NE PAS appliquer ?
1er mauvais conseil:
“Reste concentré sur la production et embauche un commercial pour faire le reste.”
Il faut savoir que lorsqu’on débute un projet entrepreneurial , il n’y a pas de meilleur vendeur que le fondateur lui-même. Pourquoi ? Parce qu’il vit le projet avec passion. Il peut, de plus, recueillir énormément de retours et identifier des points à améliorer ou à développer. Aller directement au contact des clients en tant que commercial permet de diriger son entreprise directement vers le besoin réel du client. Aujourd’hui, beaucoup d’entrepreneurs pensent à cette question trop tard dans leurs process et une solution déjà créée est difficile à faire pivoter. Le vrai conseil est donc : n’attend pas pour aller chercher directement toi-même les vrais clients !
2ème mauvais conseil:
“Pense avant tout à lever des fonds, si tu y arrives c’est une vraie preuve que ta boîte a du potentiel.”
Tout dépend du fondateur, ce n’est pas si vrai que cela. Certes, trouver des fonds donne plus de chances de réussir que des boîtes qui n’en ont pas : on a de l’argent et on est accompagné. Mais le risque est de ne pas assez chercher à gagner de l’argent en vendant, étant donné que l’on dispose de fonds sur le compte de la boîte. On peut facilement tomber dans ce piège en se disant qu’on finira bien par trouver comment gagner de l’argent “plus tard”, or ce plus tard devient vite “trop tard”.
3ème mauvais conseil:
“Participe à tous les concours du monde, cela va te donner de la visibilité.”
Cela fait du bien de gagner des concours, de pitcher face à des jurys. Mais il faut garder en tête que ce public n’est pas ton client et que même si tu gagnes, tu n’auras qu’une entrée d’argent ponctuelle, contrairement à un potentiel client. Il vaut mieux passer son temps à démarcher des clients plutôt que de démarcher des concours. Les seuls qui vont avoir un impact sur ta boîte, ce sont les clients et non pas les jurys.
Te souviens-tu d’un événement qui t’a marqué et qui t’a rendu fier ?
Je me souviens du jour où j’ai aperçu une jeune fille dans le métro avec mes bijoux pour cheveux Lucyf’Hair -mon premier projet. C’était bien la première fois que je voyais une inconnue porter mes bijoux dans la rue. Je me suis dit à moi-même qu’il y avait des individus intéressés par mon produit et prêts à le porter dans la vie de tous les jours.
As-tu des conseils à donner à des étudiants qui souhaitent développer leurs projets ?
L’échec est inhérent à l’entrepreneuriat et encore plus à l’innovation, plus ton produit est innovant et plus tu as de chances de te planter. Un échec est certes une expérience douloureuse psychologiquement et financièrement. Je ne souhaite pas cette expérience aux entrepreneurs étudiants, on en ressort souvent blessé avec quelques cicatrices. Mais encaisser les échecs devient plus facile au fil du temps. C’est comme ça que j’apprends, j’ai besoin de faire des erreurs. J’ai tendance à tomber, souvent, je préfère voir par moi-même plutôt que l’on me dise quoi faire. De mon côté, j’ai aussi eu la chance de réussir au moins un des projets sur les 12 que j’ai lancés. C’est très important de réussir pour gagner en confiance et préserver une sécurité qui n’est pas évidente lorsqu’on commence à entreprendre. Enfin, si vous souhaitez lancer vos projets, lancez-vous maintenant, tant que vous êtes étudiants et que vous n’avez pas de charges énormes sur les épaules !