Professeure de marketing à emlyon business school et entrepreneur, Alice Riou a un profil très varié. C’est entre autre sa connaissance du marketing opérationnel qui lui permet d’avancer sereinement dans ses projets. Retour sur son parcours.
Est-ce que vous pourriez vous présenter ?
Alors je suis une femme avec un profil « slasheur » au niveau professionnel. Je suis professeure à emlyon en full time depuis 15 ans dans la team marketing. En plus, je suis gérante d’une agence de randonnée pédestre uniquement digitale et qui existe depuis 17 ans. Je suis chercheur à Paris Dauphine dans un centre de recherche qui s’intéresse à l’innovation pédagogique et aux différents formats digitaux pour se former. Et vous pouvez rajouter un slash « mother », puisque j’ai deux enfants.
Est-ce que vous pourriez décrire votre parcours professionnel ?
Le plus intéressant c’est que je vous parle de mon activité de création d’entreprise. Sinon j’avais travaillé dans la grande consommation avec une marque d’insecticide et ensuite une marque de cosmétique mais ce n’est pas le plus récent. Je préfère vous parler du marketing opérationnel que je fais actuellement à Pedestria. Donc, Pedestria c’est une agence de randonnée pédestre spécialisée dans les circuits en liberté. Plutôt pour les gens de 60 à 70 ans, en France et en Espagne. On a la particularité d’être assez innovant en marketing opérationnel justement.
Comment vous définiriez le marketing opérationnel ?
C’est l’ensemble des tâches qui consistent à donner vie au « blabla » stratégique qu’on a imaginé, aux grands principes et théories qu’on a élaborés pour se distinguer de la concurrence. Nous, à Pedestria, nous avons un slogan qui est « tous les chemins mènent à l’homme ». Ce n’est pas seulement une marque, il faut que ça transpire au travers d’éléments très concrets. Pour moi, le marketing opérationnel c’est une mise en pratique au quotidien et des corrections répétées pour atteindre un discours qu’on a écrit en marketing stratégique.
En quoi consiste le marketing opérationnel pour le développement de votre entreprise Pedestria ?
Ça consiste à s’occuper de toute l’offre et à construire des randonnées en allant soit sur le terrain en faisant des recherches sur le net soit en construisant des parcours avec des applications. Ça, c’est la construction de l’offre qui s’accompagne aussi de la recherche de prestataires. On rencontre beaucoup de gens : il faut nouer des contacts avec les hôteliers, les restaurateurs, les conférenciers, des œnologues, des masseurs, qui s’alignent à la prestation que nous souhaitons donner à notre public, qui peut être différente de leur public à eux. Le marketing opérationnel consiste aussi à s’intéresser au prix de la concurrence. Deux fois par an, je fais de la veille. Je vais sur les sites de la concurrence avec mes assistantes, je relève leurs prix. Nos concurrents pratiquent ce qu’on a vu en cours, le yield management, c’est-à-dire que les prix fluctuent. Nous, on a des prix fixés. Connaître les prix des concurrents, ça me permet de m’adapter au désir des consommateurs, à mes propres préférences en termes de marge et de coûts. Le marketing opérationnel c’est aussi communiquer sur les réseaux sociaux. C’est là que mes trois métiers de « slasheuse » se télescopent. Pendant que je suis en conférence en tant que chercheur ou professeure, je ne publie rien. Donc j’ai essayé de développer une polyvalence. Dès que j’ai une information en rapport avec la randonnée, je publie. On s’aperçoit que ça devrait être un métier en soi. De même, quand on reçoit des commentaires, on essaie de répondre au maximum. Le marketing opérationnel, c’est aussi savoir entretenir le lien avec le consommateur.
On peut donc définir le marketing opérationnel simplement avec les 4P : price, promotion, place, product. Promotion, c’est par exemple distribuer des brochures une semaine juste avant Noël. Quand on travaille avec des prestataires extérieurs, il faut aussi apprendre à gérer les contraintes. Quand un hôtel ferme alors qu’il était clef, ça met tout à mal. Le marketing opérationnel c’est « le sel de la vie » dans le sens où il y a des imprévus, des rencontres, des contrariétés de toutes sortes… Il se distingue du marketing stratégique, pour lequel on a simplement l’impression de maîtriser. Quand on réfléchit de manière très abstraite, on n’a pas besoin de faire autant de choses. On peut faire appel à des consultants… On rencontre moins de personnes. Le marketing opérationnel, dans le sens où il amène à rencontrer beaucoup de gens, se rapproche du marketing des services.
Le marketing opérationnel est-il différent en fonction des entreprises ?
Il y a des entreprises qui font seulement de l’achat-revente. Ils n’ont pas la partie conception, à proprement parler, du produit, même s’ils doivent le sélectionner. Ils produisent une sélection mais pas un packaging, par exemple. Pour les étudiants, il peut être intéressant de se demander si l’entreprise qu’ils recherchent fabrique un produit ou si elle ne fait que de l’achat revente. Une entreprise qui fait de l’achat revente ne reprend pas tous les principes du marketing opérationnel. On a la partie « promotion », « place », « price » mais il manque le principe essentiel du « product ». Un directeur de magasin chez Zara reçoit tel quel le produit que lui a envoyé le siège social, différencié pays par pays. Mais il découvre ce qui est dans le carton, il n’a même pas sélectionné le produit. C’est quand même une production intellectuelle en soi de produire un catalogue par exemple, mais on ne touche pas au produit, qui fait pourtant partie des 4P.
Quelles seraient les qualités exigées pour travailler dans le marketing opérationnel ?
La plus grande qualité, c’est d’être un traducteur. Il faut comprendre les enjeux de tous ses interlocuteurs. Il faut avoir une négociation fine, savoir quel argument annoncer à quelle partie. Je pense par exemple à mon imprimeur. Il faut que je lui dise que je suis une entreprise qui grossit et que s’il travaille bien avec moi, il aura plus de brochures à faire l’année prochaine. Que si ça se passe bien, je pourrais peut-être envisager de lui demander de faire des cartes de visite… Lui, il n’en a rien à faire de savoir que j’ai développé une application ou je ne sais quoi. Si on parle d’une chambre d’hôte qui voudrait augmenter ses prix, je vais utiliser d’autres arguments en disant que dans mon application, on vente son hébergement, que ça m’embêterait de ne plus pouvoir vanter ses services sur les réseaux sociaux. Donc, il faut utiliser pour chaque personne des arguments différents. Le plus intéressant, c’est quand on arrive à savoir ce qui importe le plus pour la personne à qui on s’adresse. Pour la personne qui gère la chambre d’hôte, est-ce que ce qui compte c’est que toutes les chambres soient remplies ? Qu’elle est que des personnes triées sur le volet ? Qu’elle ne veut que des couples ? Est-ce que la personne aime sa tranquilité ou sa marge ? Est-ce qu’elle a des difficultés financières ? Je trouve que la qualité la plus importante, c’est l’écoute. Que me dit cette personne ? Qu’est-ce que ça veut dire ?
Le marketing opérationnel, ça nécessite aussi une certaine appétence pour les chiffres ! Pour pouvoir comprendre de quoi on parle dans les réunions lorsqu’on nous parle de statistiques et pour être capable de négocier. « On a perdu 3%. » ce n’est pas la même chose que « on a perdu 3 points de parts de marché. ».
Traduction, diplomatie, appétence pour les statistiques, les probabilités.
Souvent les étudiants se disent qu’ils vont faire du marketing pour éviter les mathématiques mais c’est faux, en marketing opérationnel, du moins. Mais c’est assez sympa !
Selon vous quel parcours est nécessaire pour travailler comme cadre dans le marketing opérationnel ?
L’important c’est d’avoir fait des stages dans ce milieu-là. Généralement, vous ne verrez pas marqué « marketing opérationnel » dans les fiches de stage. Ça se subdivise en plein de petits bouts : « marketing retail », celui qui nous met en lien avec les distributeurs, le « key account management », « digital analysis ». Tout parcours finit par être bon à prendre pour celui qui veut une carrière dans le marketing opérationnel. Parce que ça nécessite d’être à l’écoute de toutes ses subdivisions. C’est un des rares métiers pour lequel on peut bifurquer tard et s’en rapprocher. Si on veut être dans la finance des marchés internationaux, au contraire, il vaut mieux faire tous ses stages là-dedans. Le marketing opérationnel ne l’exige pas. On peut faire d’abord un stage de commercial, puis un autre de marketing opérationnel dans une TPE. Le secteur n’est pas nécessairement figé dès le départ. Il n’est pas requis d’avoir fait absolument tous ses stages dans l’alimentaire pour travailler dans l’alimentaire. Il faut mieux savoir quel métier on veut faire et ne pas savoir le secteur que l’inverse. Il y a un secteur qui déroge à la règle : c’est celui du luxe. Il y a tellement d’étudiants qui rêvent de la beauté des produits qu’il faut se spécialiser. Dans l’automobile, il y a peu de place également.
Dans le cadre d’emlyon, est-ce qu’il y a des électifs que les étudiants peuvent choisir pour travailler dans le marketing opérationnel ?
Oui, beaucoup. Il y a « New product development », « Retail marketing », « Conduire des operations marketing » et puis tous les cours autour des études de marché « consumer behavior ». Il y a des cours dans les achats. Il y a un sacré paquet d’électifs. Ce qui est très utile aussi, c’est les cours de négociations. Un cours de droit également, mais il est obligatoire il me semble. Mais c’est toujours important de comprendre la façon dont pense un juriste. emlyon dans le PGE, vous prépare à switcher rapidement de métiers, d’enjeux, de KPI’s, de manières de s’exprimer. Vous pouvez comprendre les points de vue de l’ensemble des interlocuteurs des entreprises. Alors que les parcours en fac ou en master spécialisé ne sont pas des polyglottes, ils ne parlent qu’une langue dont ils sont techniciens et experts. Vous, vous devez faire s’entendre ces experts pour que la Tour de Babel accouche d’une offre et d’un produit. Sans polyglotte, il est dur de s’entendre. Les étudiants sont souvent frustrés de se rendre compte qu’ils ne deviendront pas spécialisés réellement. Mais ce n’est pas l’objectif. J’entends souvent des étudiants dire « on est spécialistes de tout, donc de rien ». Moi, je leur dis « exactement ! » mais c’est une spécialité de savoir parler à tous le monde, c’est très recherché. Quelqu’un qui travaille en marketing opérationnel doit bien comprendre le langage de ses collaborateurs.
Est-ce que vous pourriez donner une idée des évolutions de carrière et salaires possibles dans le marketing opérationnel ?
Le salaire pour les gens qui sont en première sont entre 39k et 42k par an pour 50 heures de travail par semaine. Selon l’entreprise où on va, il y a de très bons avantages en nature, ou pas. Il y a des entreprises qui vont vous former pendant 6 mois, d’autres 3 jours. Certaines qui vont exiger des déplacements, la maîtrise d’une langue particulière… Dans une TPE on est plus sur du 36k – 37k mais on est plus sur du 40 voire 45 heures. Dans une maison de luxe on est plus à 35k et il faut y consacrer sa vie et ses amours. Mais je parle du début de carrière. En fin de carrière, c’est différent. Chez Procter et Gamble, par exemple, cela tourne autour de 38k ou 39k, brut.
Quand on débute, quel est notre fonction en général ?
Assistant chef de produit, assistant retailer… Mais chaque entreprise a son appellation propre. C’est extrêmement compliqué de savoir de quoi on parle dans les offres d’emplois. Il est important de faire des entretiens pour avoir une idée d’un poste. Il faut contacter des personnes de l’entreprise pour se renseigner. Il faut se méfier des appellations qui varient d’une entreprise à l’autre.