Les Ressources Humaines sont un domaine de manière générale beaucoup ignoré des écoles de commerce. Il offre pourtant de nombreuses opportunités de carrière et une richesse dans la diversité des fonctions qu’il propose : recrutement, accueil et intégration de nouveaux arrivants dans l’équipe, team building, formations… – bref, les RH sont “à la croisée des mondes !”
Pour qui a un esprit un peu stratège, qui aime l’innovation ou encore la gestion de projets inter-entreprise, les RH peuvent être LE domaine où vous vous épanouirez ! En mettant en place des stratégies au sein de l’entreprise, le responsable RH est un peu à l’image du joueur d’échecs qui cherche à déterminer la meilleure tactique pour optimiser le déroulement de son jeu ou, dans le cas du responsable RH, de ses opérations. Et si vous étiez le ou la nouveau/nouvelle Beth Harmon ?
Nous sommes donc partis à la rencontre de Laura Gherabi, jeune diplômée du PGE d’emlyon et aujourd’hui responsable RH chez Mantu, afin d’en découvrir un peu plus sur ce domaine méconnu des étudiants en école de commerce !
Peux-tu commencer par te présenter ?
Je m’appelle Laura Gherabi et j’ai été diplômée d’emlyon en 2020. Je suis rentrée à emlyon après 2 ans de classe préparatoire ECS. J’ai un parcours un peu atypique, car j’ai beaucoup déménagé avant de faire mes études supérieures à Lyon, et je pense que cela a beaucoup influencé ma carrière et ma perception du monde du travail. Dans la mesure où emlyon aime encourager les parcours atypiques, j’ai donc continué sur ma lancée en faisant des stages divers, ce qui m’a amenée à travailler en Ressources Humaines, pour le groupe Mantu – qui s’appelait Amaris jusqu’en 2018 -, ainsi que pour la marque LittleBIGConnection – une start-up lancée en 2013.
Peux-tu revenir un peu plus précisément sur ton parcours, notamment les différents stages qui t’ont amenée jusqu’à Mantu ?
J’ai commencé mon premier stage en juillet 2017 chez BATMAID, une entreprise de services à domicile qu’on peut réserver en ligne, et qui se trouve en Suisse. BATMAID met à disposition une plateforme permettant aux utilisateurs de réserver directement le service de femmes et hommes de ménage. Je reviendrai sur ce stage plus tard, car il a beaucoup influencé mon choix de cours et de carrière, mais globalement j’y faisais beaucoup de services après-vente opérationnels ; par exemple, s’assurer que tout se passe bien entre le moment où la commande est faite par le client et où le service est fourni.
Après ce premier stage, je suis allée chez L’Oréal entre janvier 2019 et juillet 2019 où je faisais des Ressources Humaines, en marque employeur. J’aidais l’entreprise à valoriser L’Oréal en tant que groupe et en tant qu’employeur, plutôt qu’en tant que marque ou produit. J’ai notamment participé à l’organisation du concours Brandstorm, tourné vers les étudiants auprès desquels L’Oréal tente de diffuser son image. J’ai ensuite intégré le Conseil de Corporation d’emlyon, (Ndlr : Association de l’école qui a un rôle de coordination des 34 associations étudiantes du campus, et de médiation avec l’administration).
Puis j’ai été recrutée en VIE (contrat international français) chez Mantu, en juillet 2020.
Peux-tu décrire ton quotidien, les tâches qui reviennent le plus souvent dans le cadre de ton poste RH chez Mantu ?
Il faut bien préciser que j’ai 2 postes. D’une part, je suis RH opérationnelle pour LittleBIGConnection, c’est-à-dire que je m’occupe de tout l’aspect administratif qu’on associe généralement aux Ressources Humaines : la validation de fiches de paie, la vérification des salaires, la surveillance des absences et des congés, l’accueil et l’intégration des nouveaux arrivants dans l’équipe, le recrutement, les démissions ou encore les départs. La question des formations, des modifications de contrats, de promotion ou de mobilité d’un poste à l’autre, relève également de ma compétence. Ces différentes tâches regroupent la partie opérationnelle. Finalement, j’ai mes “petits bébés”, ces 35 personnes que je surveille tous les jours et à qui je suis prête à porter assistance au quotidien.
À côté de cela, mon poste principal est celui de Ressources Humaines stratégique pour les directeurs de Mantu. La RH stratégique est beaucoup plus floue et abstraite. Elle correspond à la mise en place de toutes les stratégies, les initiatives et directives groupe qui vont ensuite être mises en place de manière concrète au sein de l’entreprise : cela correspond aux différents projets, aux changements de façons de faire, ou encore aux différentes manières d’harmoniser les politiques RH dans un même groupe. En opérationnel, je touche à tout ce qui relève du micro ; en stratégie, je touche à ce qui concerne le macro.
Je m’occupe donc des directeurs chez Mantu, c’est-à-dire de toutes les personnes qui sont dirigeantes en business d’une équipe ou qui sont à la tête des fonctions support – comme le Chef des Finances, qu’on appelle le CFO, le responsable du recrutement, le CMO (Chef Marketing Officer) etc. Je vais définir pour elles des politiques d’intégration : par exemple, ce que nous sommes censés faire lorsqu’un directeur arrive, déterminer si nous avons des politiques de rémunération particulières, des bonus, les règles de congés payés pour un directeur… Par ce biais, nous nous rendons compte que nous avons besoin de stratégies différentes pour chaque population. À titre d’exemple, je dois déterminer la manière de surveiller la population des directeurs : quel est le ratio hommes/femmes dans la direction. Ce sont donc des questions beaucoup moins quotidiennes et concrètes, mais plutôt des missions sur le long terme. Si jamais nous nous rendons compte que nous manquons d’hommes dans la population en Asie, nous allons chercher à apporter plus d’hommes. Si nous nous rendons compte que nous avons une population trop jeune aux Etats-Unis, nous allons chercher à recruter des personnes avec plus d’expérience. Finalement, nous avons une notion vraiment stratégique, comme si nous regardions de loin un échiquier et que nous proposions des tactiques pour optimiser le déroulement des opérations. C’est ensuite au responsable RH, donc opérationnel, de dérouler tous ces plans au quotidien.
Donc pour résumer, nous avons deux lignes directrices dans les Ressources Humaines : la RH opérationnelle et stratégique. Est-ce valable partout, pas seulement dans ton poste ?
Oui, c’est ce que j’aurais tendance à dire. Bien sûr, des petites entreprises voudront tout mélanger dans une même fonction. De plus, les Ressources Humaines peuvent être gérées par une seule et même personne pour tout, même le recrutement, alors que chez Mantu par exemple, le recrutement est séparé du département RH et a son propre département. Une même personne pourra ainsi tout faire pour une même entreprise.
Souvent, pour les petites entreprises, les premières nécessités sont les RH opérationnelles. Elles ne peuvent pas travailler si elles n’ont pas de gestion des fiches de paie, de comptabilité ou des cotisations sociales. En revanche, il est possible de se passer du volet des formations et du suivi carrière. En fin de compte, plus l’entreprise est grosse, plus l’on va avoir besoin de stratégie, ce qui est assez logique.
Pourrait-on dire que les fonctions RH dépendent de la taille de l’entreprise ?
Tout à fait ! Et certaines entreprises vont également mettre l’accent sur certains aspects plus que sur d’autres, tel que le teambuilding et tout ce qui a trait à la relation interpersonnelle, qui sont des notions très à la mode aujourd’hui. Chez L’Oréal, une équipe y est dédiée et s’occupe de l’animation de communauté : s’assurer qu’il y ait beaucoup de brassage, créer un sentiment d’appartenance, une culture d’entreprise, etc. Chez Mantu, cet esprit d’animation de communauté est moins présent.
Chaque suivi va être propre au besoin de l’entreprise. Certains départements vont avoir un département de rémunération très important, tandis que d’autres vont s’intéresser à la formation, ou encore au teambuilding.
Est-ce que l’importance accordée aux RH par une entreprise est liée dans une certaine mesure à l’image de marque de l’entreprise, selon toi ?
Personnellement, j’en suis convaincue, même si ce n’est pas le cas de tout le monde. Néanmoins, je dois reconnaître que je suis très biaisée car j’ai travaillé pour L’Oréal en marque employeur. Mais selon moi, le manque de satisfaction des employés vis-à-vis de leur entreprise entraînera un discours de leur part qui ne sera pas forcément très positif lorsqu’ils évoqueront l’entreprise – même s’il ne concerne pas nécessairement la nature du travail, mais plutôt la gestion des équipes. Cela peut donc être très important d’avoir des Ressources Humaines bien gérées pour pouvoir diffuser une image positive.
Cela dit, chez L’Oréal, j’ai eu la chance d’être en Ressources Humaines et, de manière générale, les personnes qui font leur stage dans cette branche de l’entreprise sont très satisfaites. Les personnes en marketing n’ont en revanche pas forcément le même discours, malgré l’investissement en RH par L’Oréal. En effet, la compétition est plus présente, comme c’est le cas généralement dans le marketing du luxe, ce qui crée une ambiance plus agressive. Cela montre qu’une entreprise peut mettre autant de politiques RH qu’elle veut, l’état d’esprit des équipes est in fine lié au traitement du manager de ses équipes.
Pour revenir un peu sur ton choix de carrière, comment as-tu connu le secteur des RH à emlyon, et qu’est-ce qui t’a motivé à rejoindre ce secteur ?
Jusqu’en 2017, j’associais les Ressources Humaines à l’administratif.
Nous revenons alors à mon stage chez BATMAID, qui s’est mal passé à cause d’un stress important généré par le management. Nous étions une start-up de 10 personnes, avec 2 managers. Le stage a alors mal tourné en raison d’une grande pression morale et d’adversité, ce qui a d’ailleurs conduit des salariés à démissionner.
Lorsque mon stage s’est fini, je me suis fait la réflexion suivante : “comment peut-on faire pour éviter cela dans une entreprise” ? Je suis alors arrivée en deuxième année emlyon, et j’ai choisi un des cours, obligatoire à l’époque : Ressources Humaines opérationnelles. Mon professeur nous alors expliqué que les RH regroupent de nombreux thèmes différents. Grâce à ce cours, je me suis rendue compte qu’un millier de métiers auxquels je n’avais jamais songé existaient dans les Ressources Humaines ! C’est ce qui fait que je suis tombée amoureuse des RH et que j’ai voulu creuser un peu plus.
Une fois que j’ai mis le pied dans le département RH à L’Oréal, j’ai pu m’intéresser de très près à ce domaine et à ses différentes fonctions, que je n’imaginais même pas pour certaines ! J’ai par exemple découvert les Sciences Informatiques des RH (SIRH). Ce sont en fait des logiciels d’intégration qui permettent le recrutement et la gestion des candidats dans les entreprises comme L’Oréal qui ont 30 000 candidatures par jour, et qui ont besoin de systèmes de Data science pour suivre ces candidats.
C’est alors qu’à mon retour en septembre 2019 à emlyon, j’ai essayé autant que possible de prendre des cours RH. On a de très bons professeurs et de très bons cours à emlyon, même si ce n’est pas forcément quelque chose qui est proposé d’office.
Concernant la formation proposée à emlyon, que conseillerais-tu aux étudiants qui souhaitent s’orienter dans ce domaine ? En termes d’expérience également, quels sont les parcours à privilégier selon toi ?
Le meilleur moyen de se plonger dans les Ressources Humaines reste de s’intéresser à tout ce qui existe autour, c’est-à-dire les théories du management, tous les cours qui touchent à l’humain, comme “Philosophie et Management” à emlyon, ou encore les cours de marketing dans la mesure où ils touchent à un comportement – celui du consommateur. La finance et la comptabilité peuvent également être utiles, car des départements peuvent y être dédiés en RH. Les RH sont finalement à la croisée des mondes !
Certes, il existe une partie orientée hard skills, avec des connaissances techniques et légales que nous retrouvons dans la partie opérationnelle. Mais il y a également beaucoup d’instinct, de relationnel et de capacité à créer du lien. En sortie d’école, quelqu’un qui n’a pas d’expertise technique particulièrement poussée peut très bien commencer en RH s’il sent qu’il a des qualités de communication assez abouties, telles que la capacité à régler des situations de crise, à réagir vite, à améliorer un process. Beaucoup de choses se font à l’instinct, notamment en ce qui concerne les problématiques interpersonnelles. Prenons l’exemple d’une personne ayant des problèmes de santé et qui a raté plusieurs réunions clients, ce qui a engendré de mauvaises relations avec le manager. Comment devons-nous gérer cela ? D’un côté, la personne est malade, et de l’autre, elle crée des absences régulières et prononcées qui empêchent le travail. C’est à nous de traiter ce genre de questions, et cela s’apprend sur le tas, en demandant conseil, en se renseignant sur ses antécédents, etc. Nous apprenons finalement beaucoup sur le tas, même en opérationnel.
Concernant les stages, je conseillerais plutôt de les faire dans des grands groupes, (L’Oréal, Danone, etc.) car c’est là que se trouvent les fonctions divisées en différents postes RH et qui permettent de mieux comprendre les différents métiers. Dans des petites entreprises, si un responsable RH gère tout, certaines fonctions sont moins valorisées : par exemple, certaines équipes font moins de teambuilding, ou investissent moins dans les mobilités. Pour avoir une meilleure vision des RH, mieux vaut se tourner vers une grande entreprise.
Je conseillerais également d’essayer de faire autant que possible de la RH généraliste au début, donc opérationnelle. Même si la partie RH opérationnelle a un côté plus administratif et rébarbatif que la stratégie, elle reste véritablement une pierre angulaire de toute la Ressource Humaine, et permet de comprendre le métier de RH au quotidien. Cela nous permet ensuite d’être plus pertinent quand nous mettons en place des stratégies et des projets de Ressources Humaines.
Finalement, qu’est-ce qui te plaît le plus dans ce secteur ? Et à l’inverse, qu’est-ce qui te motive moins ?
Je suis motivée par l’idée qu’on peut changer beaucoup de choses dans une entreprise via les RH. Aujourd’hui, je sais que dans n’importe quelle entreprise où je vais, je peux légèrement changer les états d’esprit. Concrètement, dans mon travail, j’ai toujours en tête cette idée que les employés aient un meilleur cadre de vie, et que les mentalités changent. Par exemple, je ne suis pas une grande adepte du présentéisme : je n’aime pas quand les gens font des heures supplémentaires parce qu’ils pensent qu’ils doivent le faire, qu’ils restent plus tard simplement pour dire “regardez je suis encore là”. Donc je serais la première à encourager dans mon équipe le fait de partir quand il est l’heure, de prendre du repos, du recul, de faire attention à ses congés, etc. Je sais aussi que je suis là pour défendre les intérêts d’un employé qui se sent moins bien dans l’entreprise, ou qui se sent en conflit.
À titre d’exemple, nous avons créé chez Mantu un projet d’aide en entreprise pour personnes en difficulté : les personnes qui ont eu un accident de la vie peuvent désormais demander une aide financière chez Mantu, grâce à un fonds d’urgence aidant les personnes en détresse. C’est un accomplissement assez conséquent de pouvoir me dire qu’à la fin de la journée, je fais une petite différence dans l’entreprise, sur la qualité de vie des employés, et sur la façon dont chacun conçoit le travail. Voilà ce qui me motive le plus dans mon travail !
En revanche, le revers de la médaille est qu’il faut savoir se montrer parfois plus sévère, et c’est ce qui me motive un peu moins. Aujourd’hui, j’ai 33 personnes qui travaillent avec moi, et lorsqu’elles seront entre 50 et 70, je ne pourrai plus leur dire qu’ils peuvent venir me voir dès qu’ils ont un petit problème, alors que c’est ce qui me plaît le plus actuellement. Si un employé a dépassé une date butoire pour signaler qu’il n’avait pas été payé tel mois pour ce bonus, s’il a mal rempli un document, alors je ne pourrai rien y faire. Parfois, la trop grande proximité avec ses employés peut être un défaut notable de ce métier, parce qu’il est souvent difficile de savoir mettre une limite entre le personnel, l’interpersonnel et le professionnel. Dans le même temps, nous apprenons à être sévères sans être hypocrites et à poser des règles dès le début !
As-tu une dernière chose à rajouter, un conseil pour les étudiants intéressés par ce domaine ?
Il n’y a pas de parcours particulier dans les RH ! L’avantage de ce secteur, c’est qu’il est constitué de beaucoup de personnes ayant eu des expériences différentes. Cela donne donc beaucoup de liberté sur la formation que nous voulons suivre et cela montre aussi qu’il n’y a pas de parcours défini.
Par ailleurs, j’aime bien conclure en précisant que statistiquement, seulement 1 étudiant sur 10 d’emlyon s’oriente dans les Ressources Humaines, ce taux étant le même dans les autres écoles.
De nombreuses places disponibles dans les RH ne sont donc pas prises, ce qui crée un gros avantage sur le marché du travail ! Il est vrai que c’est un secteur beaucoup ignoré des écoles de commerce, et que beaucoup d’entreprises n’arrivent pas à recruter dans ce secteur parmi les étudiants des écoles du top 5, car il n’y a pas suffisamment de personnes intéressées et diplômées avec cette spécialité.
Je n’ai jamais eu de difficultés à trouver un travail par exemple. D’ailleurs, j’ai eu le luxe d’avoir la décision difficile de choisir entre deux VIE en mars 2020, alors que tout le monde était en train de paniquer face à l’effondrement du marché du travail à cause de la crise du COVID-19. Les personnes que je connais en RH ont eu les mêmes facilité de carrière et évolution que moi !
Par Marie Perney et Gilles Kalfa, journalistes de Verbat’em