Il était une fois, sous le règne de Charles V le Sage, un valeureux ménestrel qui se prénommait Aimeryc (pour préserver la respectabilité et l’anonymat de ce poète fort célèbre, son prénom a été modifié). Ce jeune homme était doté de multiples qualités : la première de celles-ci était un don inégalé pour jongler avec les mots. Depuis toujours, il ne cessait les boutades, les jeux de mots et les calembours. La deuxième de ses nombreuses facultés était une maîtrise parfaite des images et des logiciels associés – l’usage de Canva étant cependant fort peu utile au beau milieu du Moyen Age. Pour exercer sa passion, il avait rejoint la troupe de Versificateurs Esthètes Ragaillardis Bien Acrobates, Tempêtueux Et Majestueux (les conditions de son intégration à cette ligue étaient ma foi fort sulfureuses, mais ceci est une toute autre histoire). Pour des raisons plus ou moins claires, mais surtout moins claires, cela lui avait valu le surnom de ménestrel. Aimeryc trouvait cependant ce qualificatif un peu surfait. Même pas un petit adjectif à se mettre sous la dent ? Le membre de la ligue des VERBATEM se voulait grandiose, prodige, ou même alchimiste ; mais jamais, au grand jamais, il ne voulait se retrouver sans épithète.
Cependant, pour acquérir un titre auréolé de gloire … encore fallait-il le mériter ! Il se devait d’aller affronter de nouveaux défis, de poursuivre de nouvelles quêtes. Ainsi, il se décida d’aller voir la grande et vénérable sorcière du château, également nommée “Sorcière Du Château”. Son domaine était perdu dans les bois, très profondément enfoui entre les grottes, les étangs et les mares pestilentielles. Seuls les plus preux osaient s’aventurer jusque là. N’écoutant que son épée, l’esthète en manque d’épithète prit son fameux pull jaune et s’engouffra dans la forêt… Plus il s’avançait, plus il se sentait perdu et désorienté. Néanmoins, il persista et finit par atteindre un endroit sombre, sale et monumental : la demeure de la magicienne ! Arrivé au pied de la bâtisse, il ne put en trouver l’entrée. Il tenta bien de trouver un accès par le jardin ; quelle ne fut pas sa surprise de se retrouver coincé dans un labyrinthe végétal ! Dans ce dédale sans début ni fin, il finit par lancer : “Sorcière, Sorcière, où es-tu ?”. Aucune réponse. Alors, il répéta de nouveau : “Sorcière, Sorcière, où te caches-tu ?”. Cette fois, au bout du deuxième appel, la sorcière eût pitié et répondit à ses plaintes. La vieille sage mit en mouvement son auguste fessier, se munit de sa cape majestueuse et se décida à aller voir le jeune ménestrel. Passablement irritée, elle était prête à lui jouer un mauvais tour …
« Bonjour mon petit », lui répondit-elle en maugréant. « Que me veux-tu, si ce n’est venir déranger ma paisible quiétude ? » Confronté à un tel personnage (et bien qu’il soit venu la déranger), le jeune versificateur se trouvait fort désemparé ! « Eh bien … je souhaitais remplir des quêtes… et donc, je me disais que… peut-être … vous pourriez me donner des objectifs à réaliser ? Et puis … en échange … peut être pourriez vous… m’accorder… quelques pouvoirs ? Cela me permettrait … de gagner … un surnom digne de ce nom ! » bredouilla-t-il gauchement. “Décline moi tes expériences chevaleresques et extra-chevaleresques” fut la réponse de la vieille femme : telle une Respectable Humaine, elle le fit se mettre à nu sur tout ce qu’il avait fait jusque là, n’épargnant aucun détail de sa courte carrière de versificateur.
Il lui présenta ses multiples dons et talents ; la magicienne marqua un temps de silence le temps d’évaluer la situation. D’une part, elle pouvait lui ordonner de filer immédiatement, avant de ne lui faire payer son audace d’avoir osé venir déranger sa tranquillité pour de telles broutilles. D’autre part, pourquoi ne pas confier une tâche nouvelle à cette surprenante petite tâche jaune, qui ne demandait qu’à être testée ? A son grand âge, elle ne savait si elle souhaitait se lancer dans un nouveau projet avec ce jeune homme sorti de nulle part… Par on ne sait quel hasard de la vie (c’est-à-dire l’ennui), la magicienne décida d’opter pour la seconde option…
“Telle sera ta mission” lui présenta-t-elle “Toutes les semaines, ta tâche sera de m’écrire un poème en alexandrins, de deux quatrains et deux tercets” – elle ne demanda pas un sonnet, qui n’existait pas encore à cette époque. “Si tu réalises adéquatement ton nouveau devoir, alors on t’appellera Aimeryc le Scandaleux ! Pourquoi ce nom, me demanderas-tu ? Parce que, pour t’aider dans ton labeur, tu auras un don surpuissant … Tu découvriras sans même les chercher les secrets les mieux enfouis des gens que tu rencontreras ! Mais gare à toi si tu ne remplis pas ce contrat.” Quoi, comment, qu’entendait-il ? Aimeryc était fou de bonheur ! Ménestrel scandaleux, roi du potin, prince de l’histoire croustillante ? Mais c’était ce dont il avait TOU-JOURS rêvé ! Même dans ses rêves les plus fous, il n’aurait osé imaginer un tel don.
Ainsi, Aimeryc le Scandaleux traversa les contrées, dévoilant sur son passage des secrets inavouables et faisant le bonheur des potineurs de tous horizons. Grâce à son pouvoir, il put s’attirer les plus grands services et attentions du royaume ; qui lui déplaisait se retrouvait couvert de boue, suite au dévoilement de ses actes les plus sombres. Il reçut gloire, deniers et bonheur ; et dès que son goût changeait, il repartait de zéro dans une nouvelle contrée. La manœuvre était simple : changer d’endroit, faire pression sur des mécènes aux poches pleines et dépenser à foison les écus de son prochain. Sa verve ne cessait, son pécule grossissait.
Les mois passèrent … que dis-je, les années ! Au début, Aimeryc respectait à point nommé son accord avec la Sorcière Du Château ; toutes les semaines, un poème sulfureux lui était adressé, toujours aussi polisson. Mais au bout de trois décennies de poèmes, eh bien, ses capacités littéraires s’étaient asséchées. Sa prose était de moins en moins bonne ; ses vers, n’en parlons pas. À ce train là, la vieille femme finit par se lasser. Une tâche si simple, et le jeune loustic ne pouvait s’en charger ?
Dès lors, désabusée, la magicienne lui coupa les vers et Aimeryc le Scandaleux fut départi de son pouvoir. Et même plus ! D’abord, plus personne ne le croyait, même sur les plus futiles broutilles ; ensuite, il ne put plus du tout écrire, son talent naturel s’en étant allé ; enfin, les scandales finirent par l’éclabousser. Pour toujours, le ménestrel (qui n’était maintenant plus si jeune), dût demeurer silencieux. Il tenta bien d’émettre quelques phrases mais, à chaque fois, patatra, cela lui retomba sur le nez.
Par conséquent, cette histoire pourrait avoir plusieurs morales. La première serait qu’il ne faut pas aller s’aventurer seul dans les bois pour aller retrouver une inconnue qui ne souhaite pas vous voir ; cela s’avère rarement positif. Deuxièmement : quand vous vous engagez à écrire des poèmes … écrivez les s’il-vous-plaît.
Adèle Cliqueteux, Early Writer 2022.