La start-up a su profiter de la prise de conscience environnementale de la population et de l’attractivité des vêtements à bas-coûts pour gagner sa place sur un marché fortement concurrentiel. Le tout en arborant une nouvelle conception du marché de la mode.
Par Jean-Christophe Cagnon et Nathan Pinet, ancien membres du NOISE
« Tu ne le portes plus ? Vends-le ! »
Pour beaucoup désormais, ce slogan est devenu familier. Et pour cause… Lancé en 2018, ce dernier est à l’image de Vinted : en plein essor.
Tout commence en 2008, en plein cœur de la crise financière mondiale, lorsque Mildat Mitkute et Justas Janauskas lancent Vinted : une application permettant à ses utilisateurs de vendre leurs vêtements. Vous l’aurez deviné au vu des noms de ses créateurs, il ne s’agit pas d’une énième start-up californienne lancée sur le marché. Créée à Vilnius, capitale de la Lituanie, la start-up met du temps à sortir du foyer national et à se développer à l’étranger. Elle ne sera lancée en France qu’en 2013 et encore aujourd’hui n’est présente que dans 11 pays, tous européens, à l’exception des États-Unis. En dépit de cette relativement faible internationalisation, la start-up évolue rapidement et enregistre une croissance spectaculaire. En France, elle attire désormais 1.5 million d’utilisateurs quotidiens.
Comment ça fonctionne ?
À l’instar de Leboncoin, les utilisateurs de la plateforme, appelés « Vinties » peuvent soit vendre soit acheter des éléments de leur dressing. L’innovation de l’application est le fait qu’acheteurs comme vendeurs puissent converser et surtout négocier le prix d’achat/de vente du vêtement en question. Une fois la transaction effectuée, l’argent est stocké par Vinted jusqu’à bonne réception du colis. Lorsque l’acheteur le reçoit et juge que celui-ci est dans l’état souhaité, l’argent de l’acheteur stocké par l’application est alors reversé au vendeur qui peut verser cette somme sur son compte bancaire ou acheter sur l’application. Grâce à d’importantes campagnes de publicité dans l’Hexagone que ce soit à la télévision ou sur le display, la France est devenue le premier marché de la plate-forme. C’est notamment Camille Cerf, miss France 2015 qui s’est faite ambassadrice de l’application qui a permis à l’application de se faire connaître du grand public.
Un impact écologique positif
La particularité première de cette application réside dans sa facilité d’utilisation et la possibilité de négocier les prix initialement affichés par le vendeur.
En effet, comme le résume parfaitement le slogan, au lieu de jeter leurs vêtements, les Vinties les vendent à moindre coût, permettant d’éviter ce qui constitue une grande source de gaspillage, certes moins médiatisée que le gaspillage alimentaire mais pourtant pas moins réelle. Grâce à Vinted, de nombreux vêtements dormant dans les placards se voient offrir une seconde vie, permettant par la même occasion de limiter de nouveaux achats et donc la consommation de ressources. Acheteurs (en payant à moindre coût) comme vendeurs (qui découvrent une nouvelle source de revenus) y trouvent leur compte. En somme, un partenariat gagnant-gagnant.
Selon l’Institut français de la mode, les ventes d’articles neufs sont en baisse depuis 10 ans dans l’Hexagone. Un résultat lié à la recherche de plus en plus systématique de bas coûts des acheteurs mais également leur inquiétude croissante vis-à-vis de l’impact climatique de la production de vêtements. Sans en faire leur raison principale, la démarche de consommer moins leur donne « bonne conscience » et facilite ainsi de nouveaux achats en ligne. Ces paramètres expliquent l’essor des achats d’occasion dont a parfaitement su profiter Vinted. En effet le marché de la seconde main est évalué à 1 milliard d’euros en France en 2018 et un tiers des consommateurs affirment désormais avoir déjà acheté des vêtements d’occasion sur internet. Ainsi, un business model viable couplé à une lutte contre le gaspillage.
“La popularité des enseignes de fast-fashion et telle que l’industrie textile est encouragée à produire toujours plus de vêtements de moins en moins portés.”
En effet, l’industrie textile est une des industries les plus polluantes. Selon un rapport de la Fondation Ellen MacArthur de 2018, le bilan carbone des textiles est de 1,2 milliard de tonnes équivalent CO2 dans le monde en 2015, soit 2 % du budget carbone mondial et bien plus que les rejets carbonés du fret maritime et de l’aviation commerciale réunis. Cet impact significatif de l’industrie textile est d’autant plus préoccupant qu’il pourrait être évité. En effet, les enseignes qu’on pourrait assimiler à la “fast-fashion”, c’est-à-dire les enseignes cherchant à diminuer un maximum les prix et à encourager les clients à renouveler leur garde-robe sans cesse vendent des articles qui ne seront portés que quelques fois avant d’être jetés. La popularité de ces enseignes et telle que l’industrie textile est encouragée à produire toujours plus de vêtements de moins en moins portés.
Le business model
Gratuite, l’application fait payer aux acheteurs les frais de livraison et les frais de protection acheteurs de 5% et de 70 centimes par paiement. Tous les jours, plus de 400 000 articles sont ajoutés en France sur la plate-forme en France. Vinted vise principalement les jeunes utilisateurs dont les achats vestimentaires se renouvellent plus souvent. Et pour cause, 60% des utilisateurs sont âgés entre 18 et 29 ans. Et si une majorité d’entre eux sont encore des femmes, parmis les 23 000 nouveaux utilisateurs quotidiens en France, on compte de plus en plus d’hommes.
En 2016, la nouvelle direction a opéré un changement de stratégie en modifiant le principe du paiement des frais de port. Désormais, ce sont les acheteurs qui les paient, non plus les vendeurs. Au cours de la même année, l’entreprise connaît une croissance de 392% en France, date de son véritable décollage dans l’Hexagone. Si les sommes colossales dépensées dans les campagnes publicitaires ne sont pas encore amorties par les bénéfices comme le reconnaît M. Plantenga, actuel PDG de Vinted, en avouant que le site n’est pas encore « profitable », le chiffre d’affaires de Vinted a atteint 37 millions d’euros en 2021 en France, Espagne et Belgique (à titre de comparaison, VideDressing sur la même année a un chiffre d’affaire de 4 millions d’euros et Leboncoin 258 millions). Certes, loin de compenser la levée de fond de 60 millions d’euros opérée en 2018.
La crise du Covid-19 a dopé les ventes de l’entreprise : le nombre de membres de Vinted en France est passé de 11 millions début 2020 à 12 millions fin mai. Soit une croissance de 9 %, en pleine période de crise. Les plateformes comme Vinted proposant un service en ligne d’achat et/ou de revente font partie des grands gagnants de cette crise car ne nécessitent pas de point de vente physique (l’exemple d’Amazon est un bon exemple).
Les défauts
Néanmoins, l’application n’est pas sans défauts et doit faire face à de récents problèmes mettant en cause sa fiabilité aux yeux de certains utilisateurs. Comme le mettait déjà en lumière un article du Parisien, les faiblesses du service après-vente et le manque de personnels de l’application en cas de litige commercial commencent à exaspérer ses utilisateurs. En effet, il est possible pour l’acheteur de signaler un article reçu de contrefaçon, bloquant alors le compte du vendeur. Partant d’une bonne intention (assurer l’authenticité des marques mises en avant et éviter les fraudes liées à la contrefaçon), cette option peut laisser place à des dérives. Un acheteur peut se servir de l’alerte, parfois sans fondement. Or en plus de bloquer le porte-monnaie Vinted du vendeur, ces signalements intempestifs l’empêchent de récupérer les bénéfices de ses transactions précédentes (même si elles n’ont pas été signalées). Á l’inverse, l’acheteur, en signalant le produit se voit remboursé de son achat. Plus encore, ces signalements pour contrefaçon peuvent aussi être utilisés par d’autres vendeurs pour évincer un concurrent qui proposerait le même vêtement ou le même accessoire de mode. On l’a donc compris, les risques d’arnaques existent sur Vinted et tendent même à se développer au même rythme que la croissance de l’entreprise.
Le second problème, est la difficulté de contacter le personnel de Vinted, limité par rapport au nombre d’utilisateurs (150 employés pour 21 millions d’utilisateurs dans le monde). Ce problème est lié au premier déjà évoqué : au bout de deux signalements de contrefaçon, le compte vinted du vendeur est « bloqué définitivement » et ce dernier ne peut alors plus transférer son argent vers son compte bancaire. Á ce moment, le vendeur peut demander une réexamination du signalement, en fournissant des photos de l’article et des factures, prouvant l’origine du produit. Or la lenteur de la réponse de l’application paralyse les actions des Vinties, qui durant ce temps d’attente de réponse (au dela de 15 jours souvent) ne peuvent plus se connecter, acheter ou vendre quoique que ce soit sur l’application.
Pour toutes ces raisons, Vinted n’a pas encore atteint sa maturité et comme le laisse entrevoir sa croissance toujours importante, ses évolutions sont encore en devenir. Néanmoins, l’objectif de son PDG Thomas Plantenga est clair : parvenir à concurrencer Leboncoin dans le domaine de la friperie. Toujours est-il que ce genre de start-up, sans être parfait montre les opportunités économiques amenées par la prise de conscience environnementale : sans en faire sa vocation première, l’application parvient au double objectif de lutter utilement contre le gaspillage et de faire vivre plus de salariés. Un modèle d’entreprise durable ?