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Fonds souverain et énergies renouvelables : le modèle énergétique norvégien

Lundi 11 septembre 2017, le parti de la Première ministre Erna Solberg (Parti conservateur) a été reconduit au pouvoir pour 4 ans. Monarchie constitutionnelle depuis 1814, la Norvège se distingue des démocraties modernes par une des plus anciennes Constitutions en vigueur. Le pays le plus heureux du monde en 2017 (World Happiness Report) est pionnier en matière de social-démocratie et fier de son système de protection sociale, qui découle directement de la redistribution des revenus tirés de l’exploitation du pétrole offshore.

La Norvège continue de véhiculer son double rôle : être à la fois un producteur majeur de pétrole et de gaz et un grand défenseur mondial de l’atténuation du changement climatique. L’Agence d’information sur l’énergie (AIE) estime que la Norvège est le 3e plus important exportateur de gaz naturel après la Russie et le Qatar, et le 15e exportateur de pétrole en 2016. Ainsi, ce pays d’à peine 5,2 millions d’habitants peut être qualifié de « batterie du monde », mais aussi et surtout de « pétromonarchie ». En parallèle, les Norvégiens accordent une grande valeur au développement durable, et prennent la politique climatique très au sérieux. Tour d’horizon d’un pays qui gère « pétroboulimie » et énergies renouvelables via un modèle énergétique unique en Europe.

L’or noir a propulsé la Norvège sur le devant de la scène internationale

À la fin des années 1950, très peu de gens croyaient qu’il y avait de riches gisements de pétrole et de gaz à découvrir sur le plateau continental norvégien. En 1959, l’immense champ de gaz de Groningue aux Pays-Bas a ouvert les yeux sur la possibilité de la présence d’hydrocarbures sous la Mer du Nord. L’ère pétrolière norvégienne a donc débuté il y a environ 50 ans, et certains champs continuent encore d’être exploités, comme Ekofisk, à la pointe sud des eaux norvégiennes, par ConocoPhilipps. La prospection s’est ensuite graduellement étendue vers la mer de Norvège et la mer de Barents.

En 2016, les exportations de pétrole brut et de gaz naturel ont représenté 3 milliards de NOK, soit 42 milliards de dollars (source : Norwegian Petroleum Directorate). Par ailleurs, au cours des 50 années écoulées depuis le début des activités pétrolières norvégiennes, environ 48% des ressources totales récupérables estimées sur le plateau continental ont été produites et vendues. Ainsi, il existe de grandes ressources restantes, et on s’attend à ce que le niveau d’activité sur le plateau norvégien continue d’être élevé pour les 50 années à venir.

Une autre question agite les Parlementaires ainsi que la population norvégienne. Outre la possibilité d’ouvrir l’exploitation des ressources pétrolières au large des îles Lofoten (1,3 milliards de barils en attente d’exploitation, soit une manne d’environ 65 milliards de dollars, selon l’Express, 2017), l’Arctique contient 13% des réserves mondiales de pétrole, et 30% des réserves de gaz (Agence d’information sur l’Energie, 2008). Afin d’y faire valoir ses intérêts,, la Norvège ambitionne de renforcer sa présence militaire et stratégique dans cette région, aux côtés des autres pays frontaliers (Canada, Danemark, Etats-Unis, Russie). Une fonte rapide de la banquise, combinée à la présence importante de ressources énergétique, font de l’Arctique une priorité géopolitique.

La Norvège n’a pas fini d’attirer l’œil sur elle, d’autant qu’elle reste encore le deuxième fournisseur de gaz (ainsi que de pétrole) de l’Europe, et reste le seul pays européen à produire plus d’énergie que ce qu’il n’en consomme, avec un taux de dépendance énergétique de -569,6% (Eurostat, 2016).

Le fonds souverain, clé de la réussite norvégienne ?

L’idée de créer un fonds pétrolier provient du premier ministre Einar Gerhardsen en 1960, qui pose les bases de l’approche norvégienne concernant la gestion responsable des ressources pétrolières, en accord avec les lignes directricesdu Parlement. En 1969, Ekofisk est découvert, et en 1983, le Comité Tempo, présidé par l’ancien gouverneur de la Norges Bank, Hermod Skånland, soumet un rapport proposant la création d’un fonds où le gouvernement peut stocker les recettes pétrolières et ne dépenser que le rendement réel. Le plan consiste à transférer régulièrement le capital des revenus pétroliers (impôts de 78%, droits d’exploitation et participations dans les sociétés privées du secteur) vers le fonds.

Le fonds a été mis en place pour donner au gouvernement une marge de manœuvre dans sa politique fiscale en cas de baisse des prix du pétrole. Seuls les bénéfices créés par le fonds sont utilisés pour financer les retraites et les dépenses publiques à hauteur maximale de 4% du fonds par an. Norges Bank Investment Management est créée en 1998 pour gérer le fonds au nom du Ministère des Finances, et convertit environ 40% du portefeuille d’obligations du fonds en actions au premier semestre de 1998.

Le fonds a atteint un nouveau record le mardi 12 septembre 2017, passant la barre symbolique des 1 000 milliards de dollars d’encours sous gestion, soit 2,7 fois le PIB de la Norvège. L’allocation d’actifs s’effectue désormais à travers 60% d’actions, 35% d’obligataires et 5% d’immobilier, tout cela hors-Norvège. Ce fonds souverain est le premier actionnaire de deux tiers des entreprises du CAC 40, parmi lesquels Axa, Air Liquide, Carrefour, Capgemini, Renault, Sanofi, Gemalto ou encore la Société Générale.

Enfin, il est important de mentionner que l’ère de “l’après pétrole” est un défi immense pour la Norvège : le nombre de retraités ne cesse d’augmenter, alors que les ressources en pétrole et en gaz s’épuisent. Mais puisque seuls les rendements réels du fonds sont utilisés pour les dépenses publiques, le reste peut être investi pour continuer à accroître l’importance du fonds.

La Norvège paradoxalement à l’avant-garde d’un monde plus écologique

Si la Norvège est bien le premier exportateur de pétrole et de gaz en Europe, elle est aussi indéniablement le leader en termes de développement durable : le royaume scandinave possède le plus grand nombre de voitures électriques par habitant, et plus de la moitié des voitures achetées en 2017 étaient soit électriques soit hybrides. En effet, pour le Ministre du Climat et de l’Environnement norvégien, Vidar Helgesen, « le secteur des transports est le plus grand défi pour la politique climatique de la prochaine décennie » (AFP). De plus, le pays est en train d’interdire toutes les voitures qui fonctionnent grâce aux combustibles fossiles d’ici 2025 et beaucoup d’avantages existent pour ceux qui achètent une voiture électrique ou hybride : réduction d’impôts, péages gratuits…

La Norvège dispose d’un savoir-faire important dans le domaine des énergies renouvelables, avec des entreprises internationales comme Statkraft ou Scatec Solar et Rec Solar dans le solaire, et elle l’utilise pour développer de nouvelles technologies : l’énergie houlomotrice (qui provient des vagues), l’énergie marémotrice (des marées) ou encore l’énergie osmotique (de l’eau salée). Déjà plus de 97% de l’électricité du pays provient du pouvoir des quelques 250 barrages norvégiens ! Par ailleurs, le gouvernement norvégien a pris de nombreuses mesures pour freiner le changement climatique, comme devenir la première nation à interdire la déforestation en 2016 (EcoWatch).

Dans le but d’exporter des énergies renouvelables, la Norvège a également conclu des accords avec d’autres pays de l’UE pour échanger un excès d’énergie en fonction des ressources disponibles. Le Danemark, par exemple, envoie l’excès d’énergie produit par ses éoliennes en Norvège en échange de l’énergie hydroélectrique norvégienne. De cette façon, le Danemark a de l’énergie les jours où le vent ne souffle pas.

D’ailleurs, le pays est encore un acteur mineur du secteur éolien dans le monde : 838 MW (-4% par rapport à 2015) de produits en Norvège, contre 5227 MW (+3,3% par rapport à 2015) au Danemark (thewindpower.net). En réalité, la Norvège a un immense potentiel pour les éoliennes onshore, grâce à sa position le long de la côte atlantique, et le pays a déjà pris conscience de cet atout. En 2016, un projet paneuropéen, Fosen Vind, a en effet été lancé, qui constitue un groupe de six fermes éoliennes terrestres construites sur la péninsule de Fosen dans la région de Trøndelag. Les parcs éoliens contiendront au total 278 turbines éoliennes géantes, qui généreront ensemble 1 GW d’énergie. Cela fera de ce parc éolien le plus grand onshore d’Europe et doublera la capacité actuelle de production d’énergie éolienne de la Norvège.

Désormais, Erna Solberg a la tâche de continuer la relance économique, réduire la pression fiscale sans trop puiser dans le fonds souverain, mais aussi de trouver des solutions concrètes sur la sortie du pétrole, car les Norvégiens prennent de plus en plus conscience de leur dépendance vis-à-vis de cet or noir et de son impact environnemental. Une solution européenne pourrait permettre à la Norvège de s’y atteler sérieusement et de se rapprocher un peu plus de ses voisins européens.