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Concours Early Writers – Troisième prix, Laura Bancel

La Chute

Je ne m’attendais pas à ça. Cet enfoiré d’ordinateur avait dû se planter. Et puis ces mecs en blouse là, qu’est-ce qu’ils en savaient ? Comment pouvaient-ils me donner un résultat pareil ? Sans sourciller en plus ! Experts de pacotille ! 

Derrière moi se tenait le laboratoire La Chute, dont je sortais à l’instant. Leur slogan, « Vous allez tomber en amour ! », s’étalait en lettres brillantes sous leur enseigne. Le service que proposait l’entreprise était simple : réunir les âme-sœurs. A 39 ans, fatigué des minettes blondes qui se succédaient sans lendemain à mes côtés, j’avais fini par recourir à leurs services. Autant dire que j’étais furieux. Toute la matinée, on m’avait fait passer un nombre faramineux de tests en tous genre, de l’examen oculaire aux questionnaires de personnalité, en passant par des tests d’efforts, l’exploration de mes convictions politiques, la revue de chacune de mes anciennes relations amoureuses et un prélèvement sanguin. Pourquoi faire ? Je vous le demande ! Selon eux, l’objectif était de définir ma personnalité, de sonder mon être tout entier afin de trouver la personne la plus compatible de leur base de données. Mais tout ça pour quoi ? Pour un résultat complétement erroné. J’entendais encore cet ahuri de consultant : « Mr Ernest, vous allez être content ! Nous avons un client dont la personnalité et l’historique de vie sont en parfaite adéquation avec vos attentes. Je vais vous montrer son dossier, c’est une personne charmante, il ne tient qu’à vous d’aller la rencontrer. » J’étais évidemment ravi et impatient. Cet idiot bien heureux m’avait alors tendu le dossier de mon « âme-sœur », qui s’avérait être Anthony Sujiyama, 35 ans, californien d’origine japonaise, domicilié à San Diego. Le consultant avait pris mon silence abasourdi pour de l’émerveillement, et s’était empressé de téléphoner à Sujiyama, avant que je ne puisse l’arrêter. Apparemment ce dernier lui avait donné son accord pour me rencontrer, et le consultant m’avait mis dehors avec un grand sourire en me lançant : « Allez vite le rencontrer. De Phoenix à San Diego, vous en avez pour 6h de route. Ne perdez pas une minute ! ». Et me voici sur le seuil de La Chute, abasourdi et furieux. Un homme. On m’avait associé à un homme. Est-ce que j’avais une tête d’homo ? Non mais sans blague. Et un jaune en plus ! J’allais aller le voir moi, ce Sujiyama, pour lui dire ma façon de penser. Au volant de mon cabriolet, j’avais ruminé ma colère pendant les 6h de trajet qui me séparaient de mon « âme-sœur ». Ce terme, associé à un homme, me dégoutait. J’arrivais enfin à l’adresse indiquée, claquais violemment la portière et allais sans attendre frapper à la porte. Quelques secondes plus tard, Anthony Sujiyama apparaissait sur le perron. Une vague de fureur déchaîna alors mon esprit, sans qu’un seul mot ne sorte de ma bouche. « Alors le voici cet Anthony », pensais-je. « Il a beau s’appeler comme un américain, c’est vrai niak. Et homo en plus ? Décidemment il n’y a pas grand-chose à garder chez ces gens-là. Il a un beau visage, certes, mais sûrement qu’il en profite, ce salaud. Avec des pommettes pareilles, il a dû en mettre, des garçons dans son lit. Enfoiré va ! Avec sa mâchoire virile et son nez bien tracé…mais il a la peau jaune, comme ceux de son espèce. Tellement lisse aussi, il a l’air jeune pour un homme de 35 ans. Non mais regardez-le, avec son air étonné, il a l’air fin tiens ! Alors c’est à ça que ressemblent les yeux des bridés… On voit vraiment bien ses iris, elles sont d’un noir… Si profond qu’on pourrait s’y noyer. Mais qu’est ce qu’il est grand pour un japonais, ça lui donne une de ces allures ! Il a une élégance naturelle ce garçon, il est peut-être modèle ? C’est bizarre, j’ai le tournis. Sans parler de ce regard pénétrant et de ces lèvres sensuelles. La manière dont il me regarde…du velours…il me dévore des yeux… Je ne sens plus bien mes jambes, c’est étran… »

Je m’écroulais, à moitié conscient, assommé par le flot d’émotions contradictoires qui m’assaillait. Ses bras fuselés n’eurent aucune peine à me rattraper. Je sentis ses doigts courir sur mes joues et relever doucement mon menton. Lorsque ses lèvres rencontrèrent les miennes, le monde s’effondra pour ne laisser place qu’à la volupté. 

Laura Bancel