Diplômé d’emlyon business school et passionné de sport, David Labrune travaille depuis 15 ans dans l’univers du sport business, un secteur prisé où les places sont chères. Après un passage chez Lagardère Unlimited, l’agence de marketing sportif numéro 1 en France, David rejoint la Fédération Française de Tennis et se spécialise dans les droits télévisés, pour le tournoi de Roland-Garros. Il rejoint ensuite un diffuseur, Canal+ pour y occuper le poste de Sports Acquisitions & Sales Manager, sur la partie internationale. Il est notamment chargé de la commercialisation des droits télévisés du TOP14. Quelques années plus tard, il est débauché par la LFP, côté vendeur, afin de prendre la tête des opérations de médiatisation à l’international. David, aujourd’hui au service du rayonnement du football français, nous offre son expertise des droits télévisés, un sujet passionnant.
Propos recueillis par Vincent Loeuillet,
Le M : Bonjour David, peux-tu nous présenter ton parcours ?
David Labrune : A l’issue de mes études à emlyon, j’ai rejoint Lagardère Sport, l’agence de marketing sportif numéro un dans le monde du sport, pour y effectuer un stage de fin d’études. A l’époque, Arnaud Lagardère investissait de manière assez massive en rachetant des agences de marketing sportif international. J’ai occupé un poste d’analyste stratégique, au siège, pour étudier les projets de M&A et de développement organique du groupe (du déménagement de Roland-Garros à Versailles à la nouvelle série de Formule 1 électrique, en passant par la légalisation du MMA en France). Un job rêvé. A la suite de ce stage, mon manager a quitté ses fonctions et j’ai pu prendre sa succession et signer mon premier CDI. J’ai passé près de 4 ans dans l’entreprise.
C’est ensuite que je me suis spécialisé dans les droits télé, d’abord à la Fédération Française de Tennis, pour le tournoi de Roland-Garros. J’étais chargé de commercialiser les droits internationaux du tournoi, c’est-à-dire vendre les images du tournoi aux chaînes du monde entier. Une expérience assez courte puisque je n’ai fait que 2 Roland-Garros avant de rejoindre Canal+. Chez Canal+, je travaillais sur la partie internationale, à la fois la facette « ventes » puisque Canal+ commercialise les droits du Top 14 dans le monde entier, et à la fois la facette « acquisitions » pour toutes les chaînes étrangères du groupe, principalement en Afrique. C’est d’ailleurs à ce moment que Canal+ a ouvert 4 chaînes de sport en Afrique dédiée aux fans africains, alors qu’auparavant la chaîne française était plutôt destinée aux expatriés et ne proposait pas d’offre adaptée.
Depuis maintenant 4 ans et demi, je travaille pour la Ligue de Football Professionnel au service de la médiatisation à l’international.
Pourquoi t’es-tu spécialisé dans les droits ?
Tous les métiers du sport business me passionnaient, mais aujourd’hui le métier le plus structurant, autour duquel tourne l’essentiel du business, est celui des droits médias. En effet, la majorité des revenus du secteur sont générés par les droits médias. Des opportunités m’ont permis de m’y consacrer, tout d’abord à Roland-Garros pour la Fédération Française de Tennis puis aujourd’hui pour la Ligue de Football Professionnel. Le secteur est d’autre part propice à la spécialisation.
Tu occupes actuellement le poste de Head of International Rights chez LFP – Ligue de Football Professionnel, en quoi consiste concrètement votre métier ?
J’ai la charge de 3 pôles dans mon service. Le premier pôle correspond à la commercialisation des droits télévisés dans chaque pays du monde et la relation avec les diffuseurs étrangers (par exemple BT Sport en Angleterre, Sky en Italie ou ESPN en Amérique latine). Nous vendons les droits pour 3 ou 6 ans. Une fois qu’un accord est finalisé, il faut ensuite proposer à nos diffuseurs des services et du contenu adapté (clips vidéo, magazines, images d’archives, diffusions publiques de matchs, etc).
Le second pôle correspond aux réseaux sociaux internationaux. Je pilote aujourd’hui une quinzaine de plateformes dans 10 langues étrangères. Evidemment les plus connues TikTok, Twitter ou Facebook mais aussi des plateformes chinoises telles que WeChat, Bilibili ou Toutiao. L’idée est de créer du contenu spécifique pour les utilisateurs de ces plateformes dans les pays étrangers.
Enfin, le troisième pôle correspond aux relations presse et à tout autre type de partenariat média, notamment avec la presse écrite étrangère. A titre d’exemple, nous avons récemment organisé une conférence de presse avec Aaron Ramsey, le joueur de Nice, et des médias anglais (The Guardian, le Daily Mail, la BBC…). Cela dans l’optique de parler le plus possible de la Ligue 1 à international.
“Notre rôle est de faciliter l’échange entre les clubs, les joueurs et les diffuseurs.”
Dans le cadre de la gestion de ces pôles, je surveille des indicateurs clés tels que le montant des droits, la couverture médiatique, la notoriété spontanée, le nombre de fans et le taux d’engagement sur les réseaux sociaux… dans le but de gagner des parts de marché par rapport à nos concurrents, principalement la Bundesliga, la Serie A et la Liga dans une moindre mesure.
La LFP est donc un intermédiaire entre les clubs/joueurs et les médias afin de promouvoir l’image de la ligue 1 ?
Exactement, nous agissons à trois niveaux. Nous devons faire rayonner la Ligue 1 en tant que compétition, c’est le premier niveau, mais il faut évidemment prendre en compte les clubs et les joueurs, les deuxième et troisième niveaux. Aujourd’hui, le PSG est par exemple une marque plus puissante que la Ligue 1 à l’international. Nous nous appuyons donc évidemment sur leur influence. Il en va de même pour les joueurs, qui ont parfois plus d’importance que certains clubs. Les diffuseurs sont très demandeurs, ils ont besoin d’interviews notamment des plus grandes stars du championnat. Notre rôle est de faciliter l’échange entre les clubs, les joueurs et les diffuseurs.
Tu travailles pour la LFP, on peut imaginer que ce n’est pas une entreprise comme une autre.
Effectivement. La LFP est une association qui a pour but principal d’organiser et de réguler le football français professionnel. Il ne faut pas la confondre avec la FFF qui régule le football amateur, la Coupe de France et l’équipe de France. La LFP est l’organe représentatif des clubs de football professionnels masculins. Les présidents de clubs sont représentés dans toutes les instances décisionnelles de la LFP. La LFP a des missions sportives, comme l’organisation de la Ligue 1, la Ligue 2 et du Trophée des Champions, ainsi qu’économiques, puisqu’elle doit optimiser les ressources financières du football professionnel via les droits TV, le sponsoring (le naming de la Ligue 1 par Uber Eats par exemple), le merchandising.
Pour que nos lecteurs comprennent bien, comment fonctionne le système de droits ?
Les droits de diffusion correspondent à l’acquisition par une chaîne, de télévision ou digitale (Amazon, par exemple) du droit de retransmettre sur ses antennes les images des matchs, principalement en direct puisque la majorité de la valeur provient du direct. La LFP est seule détentrice de ces droits, cependant il arrive qu’elle vende ses droits à un intermédiaire qui lui-même peut les revendre dans certains pays à des « sous-licenciés ».
Il y a 2 principaux modes de commercialisation des droits de diffusion. Premièrement par le biais d’un appel d’offres comme c’est le cas en France et pour certains marchés internationaux. Cette procédure est régulée par le code du sport. En effet, nous avons l’obligation de proposer la Ligue 1 de manière totalement transparente et non discriminatoire aux différents acteurs de diffusion du marché. Nous découpons, en quelque sorte, la Ligue 1 en lots pour que chaque acteur de diffusion soit en mesure de postuler pour acquérir tout ou partie de la Ligue 1. Nous organisons ces appels d’offres sur les marchés où l’intérêt et les enjeux Ligue 1 sont les plus importants, dans l’optique de faire monter les enchères et de générer le plus de ressources pour le football français. Le second type de commercialisation des droits est la négociation commerciale simple, dite « de gré à gré ». Dans ce cas, j’échange avec les différents acteurs d’un marché spécifique, les diffuseurs, sur la forme d’un démarchage traditionnel, pour vanter les mérites de la Ligue 1.
“L’intégralité des revenus générés par la vente des droits revient aux clubs, la LFP n’a pas vocation à faire des profits.”
L’intégralité des revenus générés par la vente des droits revient aux clubs, la LFP n’a pas vocation à faire des profits. Une partie des revenus revient au football amateur mais également aux autres fédérations sportives par le biais de la taxe Buffet qui impose que 5% des montants générés par la vente des droits soient reversés aux fédérations sportives françaises. D’où l’intérêt pour l’ensemble de l’écosystème sportif que les droits télévisés de la Ligue 1 soient fortement valorisés.
Tu es chargé des droits internationaux, y a-t-il un engouement des diffuseurs internationaux pour la ligue 1 ? On peut imaginer que l’arrivée de stars dans le championnat telles que Léo Messi ait pu susciter un engouement.
Complètement. La Ligue 1 était peu développée à l’international avant l’arrivée de QSI (Qatar Sports Investments, ndlr), le propriétaire du PSG. La Ligue 1 était un produit de complément permettant aux diffuseurs internationaux de proposer plus de matchs le weekend mais ça n’était pas un produit d’appel. L’arrivée de QSI a tout changé, en favorisant l’arrivée en Ligue 1 de grandes stars internationales. Le problème structurel du football français est sa compétitivité à l’échelle européenne, car l’intérêt auprès des publics étrangers est étroitement lié aux résultats en Coupe d’Europe. L’arrivée de QSI a été une chance pour le football français pour améliorer notre visibilité dans le monde. La Ligue 1 est aujourd’hui vendue dans le monde entier et nous avons comblé une partie de notre retard sur nos concurrents européens. En ce sens, notre position est unique, nous arrivons à créer de l’intérêt même si les clubs français n’ont gagné qu’une seule Ligue des Champions dans leur histoire.
La tendance est très positive. Cela fait 3 cycles de vente que les droits augmentent alors que des compétitions comme la Bundesliga ou la Serie A sont en chute libre. La Liga souffre également énormément depuis les départs de Cristiano Ronaldo et Lionel Messi. On observe une concentration des revenus sur les compétitions majeures que sont la Ligue des Champions et la Premier League anglaise, et ce partout dans le monde. La Ligue 1 est aujourd’hui diffusée par 64 chaînes dans 217 pays. Nous touchons plus de 2 milliards de personnes dans le monde. Nous recensons 250 millions de fans de Ligue 1 dans le monde. Les territoires manifestant le plus d’intérêt sont l’Afrique du Nord, le Moyen-Orient, l’Amérique latine et la Chine. Nous avons d’ailleurs ouvert des bureaux à Pékin en 2017.
Quel est l’intérêt pour la LFP de rayonner à l’international ?
L’intérêt est de développer des relais de croissance puisque le marché domestique est par définition limité. Le montant des droits ne peut pas augmenter de manière exponentielle. Il faut donc réussir à générer des revenus différents. Cela peut passer par d’autres activités telles que le sponsoring, le merchandising ou la billetterie mais aussi par le développement de revenus sur de nouveaux marchés. C’est alors que le développement international devient important puisque nous sommes face à une page blanche, nous avons une énorme marge de progression. Nous sommes diffusés dans 217 pays, il est évidemment difficile de travailler correctement avec 217 pays, d’autant plus que la LFP est une petite organisation de 80 personnes.
Avant d’intégrer la LFP, tu travaillais pour un diffuseur, Canal +, entreprise pour laquelle tu as occupé le poste de Senior Sports Acquisitions & Sales Manager, j’imagine que cela te sert aujourd’hui dans ton métier ?
Complètement. Mon premier chantier en arrivant à la LFP a été de développer les services aux diffuseurs. Il y a 10 ans, les relations commerciales entre la LFP et les diffuseurs étaient quasiment inexistantes : les droits étaient vendus, puis on se retrouvait 3 ans plus tard pour le renouvellement, rien entre temps. Il n’y avait pas d’accompagnement des différents diffuseurs, tout simplement parce que les chaînes comme Canal + ou Sky disposaient d’énormément de moyens pour faire la promotion des matches, et n’avaient pas besoin des Ligues pour cela.
Aujourd’hui, l’industrie a basculé vers l’OTT (« over-the-top », désignant les plateformes de streaming, ndlr), vers de nouveaux acteurs disponibles uniquement en digital (par exemple Amazon, DAZN, Viaplay ou encore Eleven). Ces plateformes diffusent uniquement sur internet et souhaitent émerger face aux diffuseurs traditionnels. Pour ce faire, ils adoptent des stratégies complètement disruptives et innovantes en créant des positionnements éditoriaux originaux. Ces nouveaux acteurs ont besoin de l’accompagnement des ligues et des fédérations. Lorsque j’ai intégré la LFP, j’ai tout de suite échangé avec ces chaînes pour comprendre leurs besoins et déterminer comment nous pouvions les accompagner pour qu’ils puissent tirer un maximum de valeur de leurs droits.
Il ne s’agit pas uniquement de diffuser les matchs mais d’offrir un contenu nouveau. A titre d’exemple, nous travaillons avec DAZN, un acteur allemand avec un positionnement urbain, autour de l’univers de la musique et plus particulièrement du rap. Pour les aider, nous invitons des rappeurs allemands à venir regarder des matchs en France, nous apportons le trophée de la Ligue 1 à des Bloc Party, nous organisons des diffusions de matchs dans certaines villes allemandes, nous proposons des interviews exclusives de joueurs allemands, etc.
En outre, nous avons développé une plateforme de livraison de contenu pour distribuer des contenus innovants à nos diffuseurs internationaux. Mon expérience chez Canal+ m’a beaucoup inspiré sur tous ces sujets.
Il y a récemment eu une crise des droits TV en France, avec la rupture du contrat conclu entre la LFP et Mediapro, cela a-t-il eu un impact sur les droits internationaux ?
Non, pas directement. Le secteur étant petit, tout le monde en a parlé mais ça n’a pas eu d’impact direct sur les droits internationaux. L’arrêt du championnat après 28 journées a eu plus d’impact puisque nous avons dû renégocier les contrats avec chacun de nos clients.
“Aujourd’hui l’industrie a basculé vers l’OTT, vers de nouveaux acteurs disponibles uniquement en digital.”
Le 10 octobre dernier, la LFP s’est félicitée de la décision rendue le 10 octobre 2022 par le Président du Tribunal Judiciaire de Paris ordonnant le blocage par les FAI français de l’accès à des services de streaming et IPTV pirates. En quoi cela est-il une bonne nouvelle pour la LFP ?
C’est une bonne nouvelle parce que le piratage est en très forte hausse, c’est une tendance lourde. Auparavant, les FAI n’avaient pas l’obligation de nous accompagner dans la démarche de lutte contre le piratage et nous n’étions donc pas capables de garantir aux acheteurs une pleine jouissance de leurs droits. Une partie de leur audience partait vers les diffusions pirates.
Nous avons 1h30 pour agir lorsqu’un lien pirate est disponible. Aujourd’hui les FAI nous accompagnent dans cette démarche et nous sommes capables, durant les matchs, de déclencher des ordonnances dynamiques et d’ordonner le blocage immédiat de ces sites. C’est un changement radical, bien que d’autres pays soient davantage avancés dans la lutte contre le piratage. Nous travaillons main dans la main avec les autres fédérations et les diffuseurs pour agir contre le piratage.
Faut-il être passionné par le football pour travailler chez la LFP ?
Ça n’est pas indispensable mais c’est quand même très important. Lorsque vous vendez la Ligue 1 au Nigeria il est mieux de connaître Moses Simon, de même qu’en Algérie il est mieux de connaître Youcef Belaïli. La passion permet de connaître son produit sur le bout des doigts.
Vous avez travaillé pour plusieurs entreprises de l’industrie du sport, qu’est-ce que cette industrie a de différent des autres ?
L’industrie du sport est très large. Néanmoins le cursus classique en sortie d’école serait de s’orienter vers le sport business, qui est un tout petit marché. Nous sommes seulement 80 à travailler à la LFP. D’autre part, c’est une industrie dans laquelle le réseau est très important. Je n’ai personnellement jamais postulé à une offre dans ma carrière, j’ai toujours été chassé. Lorsque l’on a mis les pieds dedans, tout le monde se connaît et reconnaît la qualité de chacun.
Si je devais prodiguer des conseils aux étudiants d’emlyon, la première chose serait de ne pas être trop exigeant sur le premier poste parce qu’une fois que l’on intègre l’industrie, il est possible d’évoluer. C’est un travail passionnant où les enjeux sont incroyables avec des grandes opportunités notamment à l’international. Le plus dur est d’y rentrer. N’hésitez pas à construire une expérience reliable au sport – j’avais fait mon mémoire sur les droits sportifs, ce qui m’a forcément aidé. Toute expérience qui tourne autour du sport peut être valorisée.
Que préférez-vous dans votre métier ?
Je dirais le côté international. Il y a aujourd’hui très peu de postes sport business à l’international. J’étais récemment à Monaco à l’occasion de la plus grosse conférence sur les droits télévisés. J’ai enchaîné 34 rendez-vous en 3 jours. C’est toujours un moment que j’adore parce je peux faire un rendez-vous avec des Japonais puis avec des Australiens, des Sud-Africains… Ce mélange des cultures où tout le monde se rejoint autour du sport est passionnant.