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Tous sportifs ?

Notre époque est guidée par la fabrication du désir des marketeurs en puissance. Plus précisément, certaines forces commerciales s’échinent, chaque jour, à réfléchir aux moyens pour vendre. S’agit-il encore de répondre à un besoin ou de tenter d’en créer de nouveaux pour perpétuer la machine ? Mais la problématique du jour n’est pas là. En effet, il apparaît possible que la machine marketing puisse créer une offre bénéfique (à priori) à l’humanité, faisant alors converger les intérêts privés avec un intérêt de bien commun. Le marketing sportif s’inscrit précisément dans cette catégorie : rendre l’industrie du sport et des loisirs sportifs centrale pour la vie des individus peut, à première vue, sembler être une bonne chose, pour le dire simplement. L’activité sportive possède des vertus indéniables, prouvées scientifiquement, pour les hommes ; personne ne peut le nier. Cependant, le marketing organisé autour de la pratique sportive crée une focalisation extrême sur la performance et le culte du corps. Au cours de cet article, vous découvrirez la façon dont la logique marketing utilise, ou créé, des idéologies modernes afin de pousser les individus à pratiquer le sport et ainsi, à consommer.

Par Alexandre Fournet, 

A la recherche du corps parfait

Le premier affect employé par les équipes marketing modernes est l’affect “esthétique du corps bien dessiné”. En effet, si la recherche du corps parfait n’est pas forcément intrinsèque à notre époque, force est de constater qu’elle a pris une place considérable au sein de la culture moderne. Cet aspect esthétique est le premier à venir à l’esprit  lorsque l’on pense au marketing sportif, puisqu’il est directement visuel : affiches de salles de sport, petites annonces sur Facebook de programmes pour perdre du gras, soft-power culturel (notamment via les acteurs), etc. On pourrait d’ailleurs étendre ce marketing à un culte du corps en général (crèmes pour le corps, shampoings, etc.) qui, malgré les nouvelles tendances de « body-positivisme », reste prégnant. Un documentaire diffusé sur Arte s’intéresse formidablement à la question : « tous musclés ». Celui-ci démontre que le sport et la recherche du muscle n’ont jamais été aussi démocratisés et ouverts qu’aujourd’hui. 

Une publicité américaine pour une salle de sport, dont la focale est sur la silhouette.

Bien être et santé ou la promotion du body-positivisme 

Ce marketing, résolument axé sur l’apparence physique, s’adjoint d’un autre discours très contemporain : celui du bien-être et de la santé. Au passage, on notera d’ailleurs que la logique marketing fait feu de tout bois : elle peut autant promouvoir le body-positivisme et mettre en avant la beauté de personnes obèses, et dans le même temps promouvoir des applications de méditation, de compteurs de pas et de marques pour thé dans une optique de développement personnel : la logique marketing s’embarasse surtout de consommation, et non d’éthique.

Le discours du bien-être et de la santé, pour y revenir, est simple : le sport est nécessaire à une bonne santé. Message qui s’appuie sur des bases scientifiques et réelles, et qui a d’ailleurs largement infiltré les mentalités françaises contemporaines : selon harris-interactive.fr, les français voient dans le sport « un sentiment de nécessité pour agir favorablement sur sa forme et sa santé » (53%). Si le développement personnel est donc actuellement le meilleur allié du marketing sportif, on peut se demander à quel point il s’est véritablement mué en idéologie dont le but est de reporter la mauvaise santé des individus sur eux-mêmes.

On peut supposer que la mise en avant du développement personnel cible surtout les citadins et les employés du secteur tertiaire de plus en plus soumis au stress et à la dépression causés par les « bullshit jobs » ; le développement personnel serait une sorte de « palliatif » pour supporter l’anxiété causée par leur travail au bureau – ce qui explique la mise en avant d’applications comme « bambou » ou les séances de sophrologie, exercées ici même à emlyon, mais également mises en place dans de plus en plus de grandes entreprises. 

Le culte de la performance 

Dans un dérivé de la recherche du corps parfait évoqué plus haut, il est une autre philosophie pas encore évoquée, et tout à fait américaine : le culte de la performance. Contrairement à ce que ce marketing prétend, le culte de la performance n’a pas pour objet le plaisir ou le bien-être. Cette fois, l’idéologie place le sport en élément central de la vie des individus : le sport est la clé de l’épanouissement. Certes, le plaisir peut advenir. C’est d’ailleurs souvent le cas dans la pratique sportive lorsque les substances chimiques du plaisir, comme la dopamine, sont libérées. Mais ça n’est pas l’élément principal. L’essentiel est d’atteindre des objectifs. L’essentiel est le dépassement de soi. C’est le gros des messages de motivation et des programmes sportifs que l’on voit fleurir sur Instagram, illustrés de photos “AVANT-APRÈS” où apparaissent des muscles démentiels que l’on ne connaît même pas.

Cette idéologie, ciblant principalement les 18-30 ans, s’accompagne souvent d’une idéologie de l’effort : remplacer les douches chaudes par les douches froides, se réveiller à 4 heures du matin comme les Navy Seals, les soldats d’élite américains, etc. Si le puritanisme peut y être mêlé, c’est souvent moins par rigorisme religieux que par soif de dépassement et d’accomplissement, via rentrait de toutes distractions.

Une publicité Nike pour une idée: l’épanouissement dans la performance / Nike.

L’idéologie de l’effort s’oppose à l’idéologie consommatrice, alors qu’elle en est surtout le miroir inversé ; en effet, le marketing des stéroïdes, protéines, équipements sportifs ou salles de sports est lui-même très agressif. Malgré tout, l’idéologie qui accompagne ce marketing est intéressante d’un certain point de vue, à condition qu’elle ne réduise pas la notion d’effort au seul effort sportif : est-il forcément nécessaire qu’un brillant philosophe, un musicien d’exception ou encore un professeur appliqué soient dotés d’un « six-pack », comme on dit dans le milieu ?

Cet article se focalise sur la manière dont le marketing s’appuie et exacerbe les idéologies actuelles pour pousser les citoyens à faire du sport. Évidemment, il va de soi que certaines techniques sont connues : vidéos dynamiques, appels au star-system avec des publicités désormais cultes, sponsoring d’événements, etc. Toutefois, si l’axe idéologique est ici choisi pour expliquer les différentes tendances modernes, c’est pour nuancer l’affirmation que le sport est si important. Il est difficile de s’opposer à cette affirmation car, faut-il le répéter, les vertus du sport sont implacables – et nos ancêtres chasseurs-cueilleurs le savaient mieux que nous, puisqu’ils le pratiquaient toute la journée. Dans une vision exclusivement utilitariste, seule la conséquence compte : ainsi, pousser les individus à faire du sport serait en soi une bonne chose.

Cependant, certaines idéologies ont tendance à masquer le problème principal : pourquoi avons-nous besoin de sport ? La crise du sens, la dopamine comme seul remède au stress quotidien, une recherche narcissique du corps parfait, contrer un quotidien où l’on est assis 18 heures sur 24, avoir une bonne santé ? A chacun de se poser la question…