Pour sa première table ronde « Investir et entreprendre en Afrique : un pari fou ? », le Club Afrique (Lyon) d’emlyon business school a frappé fort. Un événement sold-out, trois invités de prestige et une cérémonie maitrisée dans l’élégant amphithéâtre Roland Calori.
INTERVENANTS
- Tawhid CHTIOUI : Directeur Général d’emlyon business school Afrique, deviendra Président du Directoire et Dean de l’école le 1er avril. Ancien professeur chercheur, il se considère comme un enseignant en désapprentissage et a parié sur le fait que l’Afrique est le continent qu’il faut aujourd’hui avoir sur son CV.
- Maxime HURTEBIZE : diplômé d’emlyon business school en 2014, il a d’abord rejoint un fonds d’investissement à Paris avant de devenir Investment Officer pour Proparco. L’Afrique représente aujourd’hui trois quarts de son quotidien.
- Aristide OUATTARA : Directeur en charge du développement et de la gestion des risques en Afrique pour Deloitte, où il a pour l’instant effectué l’intégralité de sa carrière, et également diplômé d’emlyon. Ses premières missions n’avaient aucun lien avec l’Afrique, mais après avoir effectué progressivement des missions en support aux équipes africaines, il est devenu spécialiste du continent.
INVESTIR EN AFRIQUE : UN PARI RISQUÉ ?
La question des risques de corruption se pose souvent lorsque l’on souhaite investir en Afrique, surtout lorsque l’on n’a pas vécu sur ce continent. De là à en faire une exception ? Pas pour Aristide Ouatrara, qui considère qu’il y a beaucoup d’exagération sur certains sujets : « Que ce soit en entrepreneuriat ou en intrapreneuriat, les mêmes problématiques se posent ailleurs : défauts de paiement, tentatives de fraude, corruption, etc. Même s’il est vrai que ces problèmes sont assez importants en Afrique, tout cela existe également en Europe et ailleurs, et cela dépend notamment d’autres facteurs, comme ses origines et le niveau de maturité des économies. »
Malgré les risques, de nombreux fonds et banques montrent que l’investissement en Afrique est souvent rentable, surtout lorsque l’on connait les bons partenaires et que l’on n’hésite pas à se rendre sur place. « Ce qui est important, c’est d’avoir un impact environnemental et social. », a expliqué Maxime Hurtebize. « L’enjeu de réputation est très grand, et il faut faire attention avec qui et dans quoi l’on investit, connaître la provenance des fonds de nos partenaires, et surtout s’investir à 100% car sinon ça ne marchera pas. Si certains pays traversent une période de situation politique compliquée, il n’est pas étonnant de voir une baisse des investissements pendant cette période. »
UNE AFRIQUE, DES AFRIQUES
De nombreux investisseurs européens font l’erreur de considérer que l’unité du continent européen s’applique également à l’Afrique. Le Berceau de l’Humanité ne comporte certes que trois pays de plus que le Vieux Continent, mais sa superficie lui est trois fois supérieure.
Et pour Tawhid Chtioui, cette diversité est l’un des éléments essentiels à prendre en compte : « On ne peut pas se permettre d’avoir une stratégie unique lorsque l’on veut investir et entreprendre en Afrique. Il faut avoir une logique territoriale et une logique de présence différentes pour chacune des régions. Les pays où l’entrepreneuriat est le plus développé sont ceux qui ont le moins de ressources naturelles. Ils ont compris que la seule ressource sur laquelle ils pouvaient miser était l’intelligence humaine, car lorsque l’on ne dépend que de ressource comme l’éducation, il y a plus de stabilité. »
À la question de savoir si l’Afrique de l’Est était réellement plus dynamique que le reste du continent, les intervenants ont précisé quelles étaient réellement les différences : « Il ne faut pas tomber dans un cliché. », a prévenu Aristide Ouattara. « Il ne faut pas croire que les Africains sont plus brillants à l’est. Il est vrai que les infrastructures et les cadres juridiques sont parfois plus avancés, qu’il y a plus d’incubateurs et de technologies, mais le mindset entrepreneurial reste le même partout. »
INVESTIR ET ENTREPENDRE, DEUX VOIES DIFFÉRENTES
Pour Tawhid Chtioui, le vrai problème en Afrique est l’entrepreneuriat et non l’investissement : « En Afrique, l’entrepreneuriat est une question d’héritage. 90% des jeunes Marocains veulent créer leur entreprise, mais seuls 0,1% d’entre eux le font car il est difficile de trouver des fonds en amorçage. Quant à l’investissement, il se fait à long terme : dans 20 ans, la classe moyenne va émerger, de nouvelles infrastructures seront présentes, et ça, la Chine l’a bien compris. Après, il sera trop tard. »
Enfin, s’il fallait désigner les principaux secteurs où investir, Maxime Hurtebize – qui, on le rappelle, est justement Investment Officer pour Proparco – conseille : les banques, la microfinance, les énergies renouvelables et également les infrastructures (portuaires, hospitalières, routes).
EMLYON BUSINESS SCHOOL AFRICA, LE PARI DE L’EM
Le futur Président du Directoire et Dean d’emlyon business school, qui était jusque-là chargé du développement du campus de Casablanca, s’est confié sur sa stratégie mise en place : « Il faut penser avec l’Afrique, et non pas en Afrique. On aura réussi à emlyon au Maroc quand on considèrera qu’emlyon Africa est une école marocaine. On n’est pas là pour parier, il faut apporter notre contribution. »
Enfin, il a conclu avec un constat révélateur : « Au Maroc, la très grande majorité des étudiants inscrits à l’em ont effectué une journée portes ouvertes. En Afrique, il faut oublier la notoriété de la marque car elle ne suffit pas. Les gens sont beaucoup plus rationnels, viennent chercher un produit de qualité, et cela nous oblige à avoir une qualité meilleure que celle proposée en France. C’est une grande leçon d’humilité. »
Article rédigé par Azzedine Hassena, journaliste à Verbatem.