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Réforme des retraites : anatomie d’un échec à venir. (Partie I : pourquoi le diagnostic du gouvernement ne tient pas la route)

Dans le cadre de sa rubrique « Point de Vue », Le M ouvre ses colonnes aux étudiants d’emlyon. Ils peuvent ainsi exprimer une opinion, une humeur, une conviction, en toute subjectivité, au travers d’articles. Le M propose aux étudiants de les accompagner dans la rédaction en leur apportant de précieux conseils, faisant d’eux de meilleurs rédacteurs. Les propos tenus dans cette rubrique n’engagent que leurs auteurs.

Par Grégoire Masson,

Les plus attentifs d’entre vous auront sans doute pu noter récemment une certaine dégradation du climat politique dans le pays. Sur fond d’utilisation abusive de l’article 49.3 pour une réforme largement impopulaire auprès des Français (seuls 7% des actifs se déclarent favorables à la réforme), des manifestations relativement massives se font observer dans de nombreuses grandes villes de France, rassemblant jusqu’à 1 million de personnes environ le week-end du 25 mars. Il est vrai qu’un contentieux historique est observable entre les Français et les réformes du système de retraites. Que ce soit la réforme de la fin des régimes spéciaux portée en 1995 par Alain Juppé, la réforme Fillon (2003), ou encore la réforme Woerth qui fixe l’âge de départ légal à 62 ans en 2010, systématiquement ou presque, des millions de Français descendent dans la rue pour exprimer leur mécontentement. Mais alors pourquoi cette frénésie à vouloir réformer nos retraites ? Il faut dire que le système français en matière de retraites fait un peu figure d’exception. Les français, comparément à leurs voisins, continuent de partir « tôt » à la retraite. Mais surtout, le système dénote par sa complexité (il se base sur deux « conventions » et contient encore une vingtaine de régimes spéciaux) et son poids important dans le Produit Intérieur Brut (14.7% en 2021). Ainsi, dès 2019, le gouvernement d’Edouard Philippe commence à plancher sur une réforme du système, à laquelle le Covid-19 coupe court un an plus tard. Fin 2022, le gouvernement d’Elisabeth Borne relance une réforme, qui prévoit entre autres un report de l’âge légal de départ de 2 ans (initialement 3) pour le porter à 64 ans.

On voit donc que cette réforme est un projet qui tient à cœur à Emmanuel Macron. Son raisonnement sur le système de retraites est relativement simple : en France, depuis l’ordonnance du 4 octobre 1945, le système de retraites par répartition est financé des actifs vers les retraités, ce qui instaure de facto une solidarité générationnelle, puisque chaque génération cotise pour les retraites de la génération précédente. Or, depuis 1945, d’une part les taux de fécondité en France se sont stabilisés à la baisse, et d’autre part l’espérance de vie a significativement augmenté, ce qui a mécaniquement conduit à un vieillissement de la population. Autrement dit, le nombre d’actifs, en comparaison du nombre de retraités, a diminué. C’est ce constat qui amène Emmanuel Macron à considérer que le système de retraites est naturellement déséquilibré et qu’un report de l’âge de départ s’impose pour combler ce déséquilibre, par le biais d’un allongement de la durée de cotisation. Ce raisonnement est très facilement identifiable à travers les arguments portés par le gouvernement depuis fin 2022 : « Nous vivons plus longtemps, nous devons travailler plus longtemps », déclarait notamment Olivier Dussopt, Ministre du Travail, le 15 décembre 2022.

Néanmoins, et c’est là tout le cœur du problème, ce raisonnement qui peut a priori revêtir des allures de truisme n’est pas si évident que ça. En réalité, les Français ont même des raisons tout à fait sérieuses de s’opposer à ce projet de loi, tant le diagnostic du gouvernement est en décalage avec les réalités du système de retraites français.

Le système de retraite français n’est pas en danger

Ce n’est ni plus ni moins que la conclusion du dernier rapport du Conseil d’Orientation des Retraites (COR). Alors que le gouvernement répète à tout va que de sa réforme dépend la survie même du système de retraites par répartition, le COR est formel : le système ne requiert pas de report de l’âge légal pour son équilibre de long terme.

« Si on ne fait pas cette réforme, c’est notre système de retraites par répartition qui ne tiendra pas. »

Elisabeth Borne sur France 2 le 16 février 2023

Même si le raisonnement d’Emmanuel Macron se basant sur l’évolution démographique observable en France part d’un constat de vieillissement de la population qui est indéniable, son lien direct avec la viabilité du système de retraites est à relativiser. En effet, si la part des plus de 65 ans devrait se porter à environ 26% de la population française à l’horizon 2040 (contre 18.6% en 2015), alors que dans le même temps celle des 20-64 ans, c’est-à-dire des potentiels actifs, va diminuer, il est important de noter deux choses. D’abord, que le prolongement de l’espérance de vie ralentit significativement. Si cette dernière augmentait de 3 mois par an dans les années 1990-2000, elle n’augmente plus que d’un mois par an aujourd’hui. Mais surtout, et c’est ce qui rend le lien avec le système de retraites compliqué, il est faux de dire, comme le gouvernement, que c’est du rapport entre actifs et inactifs que dépend le financement du système de retraites.

« S’il y a moins d’actifs, il y a moins d’argent »

Elisabeth Borne sur France 2 le 16 février 2023

En effet, on a pu observer ces 50 dernières années une hausse régulière et significative des pensions de retraites, alors même que le rapport entre actifs et inactifs diminuait. Ce phénomène s’explique par le fait que ce sont les gains de productivité qui ont largement financé le système de retraite jusqu’aujourd’hui, à tel point que le niveau de vie des retraités est maintenant supérieur à celui des actifs. C’est ce phénomène qui explique d’une part que la viabilité du système de retraite n’est pas menacée par l’évolution démographique que l’on constate aujourd’hui, et d’autre part que, contrairement à ce qu’avance le gouvernement, le niveau des pensions de retraite restera stable à long terme, même si celles-ci augmenteront moins vite que les revenus d’activité (voir graphique ci-dessous).

« Si l’on ne fait rien, on sera amenés demain à baisser les pensions »

Elisabeth Borne sur France 2 le 16 février 2023

« Garantir les pensions nécessite de travailler plus longtemps. »

Olivier Dussopt le 10 janvier 2022

Au sujet du poids des dépenses de retraites dans le PIB, le rapport du COR n’est pas alarmant. Même si la part des dépenses de retraites dans le PIB sont passées d’environ 11% au début des années 2000 à 14.7% en 2021, le COR prévoit selon les scénarios qu’elle se situera entre 14.2% et 14.7% d’ici 2035, et entre 12.1% et 14.7% d’ici à 2070. Autrement dit, le poids du système de retraite dans l’économie française à moyen et long terme, au pire restera stable, au mieux diminuera (voir graphique ci- dessous).

En ce qui concerne le solde du système de retraites, là aussi, la position du gouvernement est à relativiser ; elle est même erronée sur certains points. D’abord, il est bon de rappeler, à contre-courant d’une idée reçue qui a la vie assez dure, que le système de retraites n’est pas actuellement en déficit, il est même légèrement excédentaire pour l’année 2021, même s’il l’a été dans le passé (voir graphique ci-dessous).

« Sans cette réforme, notre système de retraites accumulera des déficits »

Projet de réforme du gouvernement du 10 janvier 2022

Pour ce qui est de l’avenir, Elisabeth Borne et son gouvernement mentionnent souvent le chiffre de 12 milliards d’euros de déficit pour susciter l’adhésion au projet de réforme des retraites. 12 milliards, ça peut paraître beaucoup, mais en comparaison des 300 milliards d’euros annuels collectés par les caisses de retraites, on peut relativiser l’importance de ce chiffre assez largement. De son côté, le COR prévoit effectivement un déficit tendanciel à long terme (selon le scénario). Néanmoins, il est à noter que ce déficit, peu importe le scénario choisi, n’excède pas les 1.8%, ce qui, rapporté au PIB, représente un déficit maximum de 0.2%. L’économiste Bruno Palier, directeur de recherche CNRS à Sciences Po, souligne de surcroît que l’effet des réformes effectuées depuis 1993 n’a pas encore totalement abouti (Bruno Palier, Réformer les retraites, 2021), ce qui pourrait encore réduire le déficit à l’avenir.

Du côté de l’Europe, enfin, on a tendance à prêter à Bruxelles la volonté d’imposer une certaine orthodoxie budgétaire à tous les pays membres de l’UE, notamment à travers les différents volets du Pacte de Stabilité. Mais force est de constater que le projet de report de l’âge légal de départ en retraite est une initiative imputable au seul gouvernement. De fait, si la Commission européenne a mis en garde la France en 2018 sur son niveau de dette publique qui tournait alors autour des 100% du PIB, cette situation n’a absolument rien d’exceptionnel, dans la mesure où celle-ci dépasse allègrement les 60% autorisés par le traité de Maastricht depuis le début des années 2000. Sur le système de retraites en lui-même, la Commission note simplement qu’« un système de retraites plus simple et plus efficient génèrerait des économies plus importantes et contribuerait à atténuer les risques qui pèsent sur la soutenabilité des finances publiques à moyen terme », sans aucunement préconiser ni même mentionner un report de l’âge de départ. En réalité, c’est davantage la lourdeur et la complexité du système de retraites qui sont pointées du doigt par Bruxelles.

Les conclusions à tirer d’une part de l’état actuel de notre système de retraites et d’autre part du projet porté par le gouvernement montrent clairement une réforme qui s’ancre difficilement dans un pragmatisme de fait. Non seulement le système de retraites n’est pas en danger, mais en plus, rien ni personne n’appelle un report de l’âge légal de départ pour résorber les déficits que connaîtra le système à moyen et long terme. Dès lors se pose la question des véritables motivations d’Emmanuel Macron à porter un tel projet, en particulier dans un climat social tendu par l’inflation et la crise Covid. Ces interrogations, ainsi que l’impact de la réforme à venir, seront traités dans une seconde partie qui sera publiée prochainement.