Vous l’avez sûrement déjà entendue dans un film et peut-être vous a-t-elle interpellée, l’expression “secret défense” est désormais connue de tous. Pourtant, elle continue d’alimenter les fantasmes et suscite de nombreuses interrogations. Que signifie réellement l’expression “secret défense” ? Que cache-t-elle ?
Par Samuel Bellemare, rédacteur pour le M
Le caractère nuisible de l’information détermine son classement “secret défense”
L’usage du secret défense fait dans les films est assez représentatif de la réalité. En effet, l’expression « secret défense » renvoie à un ensemble d’informations, jugées sensibles, dont on cherche à limiter l’accès. Ces informations peuvent être de plusieurs natures, allant de délibérations de réunions privées, en passant par des rapports confidentiels jusqu’à des actions sensibles menées par l’Etat ou à sa demande. La particularité de ces informations est leur caractère potentiellement déstabilisateur pour la nation, si elles parvenaient jusqu’aux mains de groupes hostiles cherchant à lui nuire.
Concrètement, la protection des ces informations se traduit par la mise en place d’un ensemble de mesures physiques (mise en sécurité dans un coffre-fort), et procédurales (mise en place de niveau d’habilitation). Les Officiers de la Sécurité et les Hauts Fonctionnaires de Défense et de Sécurité sont chargés de s’assurer de la bonne exécution des dispositions réglementaires en matière de secret défense. Pour limiter les failles dans le système de protection, ils participent également à la sensibilisation de l’ensemble des agents qui ont accès à ces documents classés “secret défense”.
Qui est en mesure de classer une information ?
Le maillon fort de la « chaîne de protection du secret » est le premier ministre. En effet l’article 21 de la Constitution de 1958, lui reconnaît la prérogative de la défense nationale. Il est donc de sa responsabilité d’établir les conditions et les modalités de classification des informations. Une fois ce cadre fixé, c’est à chaque ministre concerné que revient la décision de classer les documents au titre du secret de la défense nationale. Dans un souci d’organisation et de hiérarchisation, un double degré de protection a été établi depuis le 1er juillet 2021. Cette réforme, menée selon le principe « mieux classer pour mieux protéger », vise à ajuster les niveaux de classification français aux standards internationaux. Selon son importance, et les effets potentiels de sa divulgation, une information pourra alors être classée secret défense » ou « très secret défense » .
Quelle est l’utilité du “secret défense” ?
Le secret défense sert à limiter la diffusion de certaines informations jugées sensibles. Le secret n’a rien de délétère ici. En effet, spécialiste du secret défense, Jean Dominique Merchet rappelle en prenant l’exemple des armes nucléaires que « tout ne peut pas être dit ». En réalité, l’unique but de cette restriction à l’information est « d’assurer la sauvegarde des intérêts fondamentaux de la Nation » selon l’expression du ministère des Armées. Pour ce faire, tous les secteurs stratégiques doivent bénéficier de ce système de protection. Par conséquent, contrairement à ce que l’on pourrait penser, le secret défense ne concerne pas uniquement les éléments liés au secteur de la Défense ! Bien qu’il représente la majorité des dossiers classés, 44 % en 2018, la protection des activités financières, économiques ou du patrimoine scientifique français apparaît tout aussi importante. Entre les mains d’ennemis de la France, ces informations pourraient remettre en cause la stabilité de la République. Pour autant, le classement “secret défense” d’une information n’est pas anodin. En effet, un tel classement génère une lourdeur administrative et des coûts élevés relatifs à la mise en place des mesures de protection qu’elle impose. Dès lors, une utilisation abusive de ce système pourrait nuire à la capacité de réaction de l’action publique. Initialement outil de défense, la classification devient une arme redoutable pour les ennemis de la nation si elle est utilisée sans discernement.
« La sur-classification comme la sous-classification sont ainsi porteuses de risques pour les intérêts fondamentaux de la Nation »
Qui a accès aux documents “secret défense” ?
Durant toute la durée de la classification, 50 ans depuis juillet 2021 pour la plupart des archives, seules les personnes habilitées peuvent prétendre accéder à ces informations. Pour effectivement les consulter, elles doivent, de plus, justifier que la réalisation de leur mission nécessite le recours aux dossiers classés. Il est intéressant de remarquer que la justice n’est pas un organisme habilité secret-défense. Pourtant, dans un état de droit, nous pouvons légitimement penser qu’elle devrait y avoir accès en cas de besoin. Pour faire face à cette situation, la Commission du secret de la Défense nationale, une autorité administrative indépendante, est chargée de mettre en balance la protection des intérêts fondamentaux de la Nation et les missions du service public de la justice.
En dehors de ce cadre, aucune personne n’est en droit de consulter les documents classés secret défense. Tout individu qui décide de passer outre ces conditions se rend coupable d’un « délit de compromission » et s’expose à une peine de 5 ans de prison et 75 000€ d’amende. Pourtant certains individus se sont risqués à dévoiler des informations secret-défense. Ces « lanceurs d’alertes » justifient leurs actions par le droit constitutionnel de la population à être informée des actions de l’État. Il s’avère en effet qu’un usage abusif du secret-défense ait été déployé pour servir de viles fins ou pour dissimuler des évènements. L’affaire Dreyfus, durant laquelle les avocats de la défense n’ont pas pu accéder au dossier de l’accusation, qui se révélera plus tard être essentiellement constitué de faux, en est un exemple criant.
C’est donc à un véritable jeu d’équilibriste que les ministres doivent s’adonner : remplir leur devoir d’information tout en protégeant les hauts intérêts de la nation.