Alumni d’emlyon, Victor Obled possède un profil à la fois tech’ et business. Touche-à-tout avide de liberté et enivré par l’imprévu, il se tourne finalement vers l’entrepreneuriat. Au cours d’un stage chez Groupama, il mesure l’acariâtreté des assurés à l’encontre de leurs assurances, affublées du sobriquet d’assureur-voleur. Face à ce constat, il souhaite redonner confiance aux assurés et fonde Prunelle, « un nouveau modèle d’assurance habitation, écologique et vraiment transparent ». L’argent qui n’est pas utilisé pour rembourser les sinistrés finance la transition écologique. Le M est allé à sa rencontre.
Propos recueillis par William Andrivon
Le M : Salut Victor, pourrais-tu te présenter rapidement ainsi que ton parcours ?
Victor Obled : Salut Le M ! J’ai fait une classe préparatoire MPSI – MP à Strasbourg (mathématiques, physique et sciences de l’ingénieur avec spécialisation en mathématiques et en physique), puis j’ai intégré emlyon grâce à un concours spécifique. Arrivé à emlyon, j’ai décidé de prendre des cours assez différents car j’avais envie d’explorer tous les domaines que cela soit de la finance, du marketing, ou encore de l’intelligence artificielle. J’ai donc aujourd’hui un profil à la fois tech’ et business. Comme j’étais intéressé par tous les sujets, je me suis finalement tourné vers l’entrepreneuriat qui est pour moi un métier complet parce qu’il regroupe tous les autres métiers ouverts à la suite d’une école de commerce. Ce que j’aime à emlyon, en dehors du contenu des cours, c’est la diversité et la liberté qu’offre le parcours avec notamment la possibilité de choisir ses cours, de les suivre en ligne, ou encore d’avancer à son rythme. C’est un peu ce que je retrouve dans l’entrepreneuriat où on doit se débrouiller tout seul. Bien sûr cela a des inconvénients, comme le sentiment d’être perdu et de ne pas savoir où on va, mais c’est aussi une grande liberté, et j’aime exploiter cette liberté pour créer des choses.
Tu as donc pris des cours assez généralistes à emlyon pour pouvoir toucher à tout. Selon toi, pour être entrepreneur, faut-il avoir un profil complet et assez généraliste, ou au contraire être spécialisé dans un domaine (marketing, IA, finance, droit, comptabilité, supply chain, …) et s’entourer de personnes complémentaires ?
Je pense qu’il n’y a pas de règles et de recettes précises à suivre à ce sujet. C’est aussi cela l’entrepreneuriat : il n’y a pas de parcours type à effectuer. Je pense que le mieux est justement de se construire un parcours atypique et totalement différent de ce que la majorité des étudiants vont faire. Il faut profiter de la liberté permise par notre école pour créer sa propre identité et son propre parcours, et utiliser les makers projects pour tenter l’aventure de l’entrepreneuriat. Il y a même le parcours “entrepreneuriat” dirigé par Régis Goujet qui est très intéressant. En fait, il faut aller chercher ce qui nous motive et ce qu’on aime bien faire. Pour ma part, c’était le sujet de la data et de l’intelligence artificielle, mais il y a plein d’autres possibilités. Si on se lance dans l’entrepreneuriat en ayant un profil spécialisé, on peut tout aussi bien s’associer avec quelqu’un de complémentaire que généraliste, et si on a un profil généraliste, on peut tout aussi bien s’associer avec un expert dans un domaine ou un avec quelqu’un complet comme nous. Tout dépend de ce qu’on a envie de faire et de nos besoins. Dans tous les cas, je conseille vivement de vivre l’aventure entrepreneuriale à plusieurs, ce qui la rend riche et géniale, même si être seul est tout à fait possible pour de petits projets.
On peut voir que tu t’es intéressé par l’entrepreneuriat dès ton arrivée à emlyon car tu as choisis d’intégrer l’association Genius. Quand t’es venu l’envie ou le goût pour l’entrepreneuriat ? Y a-t-il eu un élément déclencheur ?
En arrivant à emlyon je n’étais pas certain de vouloir faire de l’entrepreneuriat, mais j’ai toujours aimé la liberté et l’imprévu. Je n’aimais pas trop avoir des cadres trop contraignants dans ma scolarité, et même si j’ai fait une classe préparatoire, je n’ai pas trop aimé cela. J’ai également toujours été attiré par les personnes qui innovent et qui ne suivent pas complètement le cadre scolaire imposé. Avant d’arriver à emlyon, je ne connaissais pas assez le monde de l’entrepreneuriat, mais je savais que je voulais faire un métier peu cadré, avec une certaine liberté. L’incertitude ne m’a jamais fait peur. Je me suis donc dit que l’entrepreneuriat serait la meilleure solution pour moi et c’est comme cela que j’ai décidé d’intégrer l’association Genius, sans réelles connaissances et envie d’entreprendre. Grâce à cette association, j’allais enfin savoir si ce métier était fait pour moi ou non. C’est donc en étant confronté à l’entrepreneuriat petit à petit en échangeant avec des gens et en suivant différents cours que j’ai compris que c’était vers cela que je voulais m’orienter.
Tu as réalisé ton premier stage en tant que data analyst pour Decathlon Malaisie, mais tu t’es quand même tourné vers l’entrepreneuriat ensuite. Qu’est-ce qui te plait tant dans l’entrepreneuriat ?
Ce stage a été une super expérience pour moi car j’ai pu avoir de nombreuses responsabilités et j’ai disposé d’une grande liberté dans mes actions. Par exemple, je pouvais essayer des choses et l’entreprise me laissait faire et me laissait du temps pour cela. Mais j’en voulais plus. Je voulais encore plus d’incertitude et de liberté dans mon travail. Je sais qu’être salarié permet une certaine stabilité ce qui est très positif, mais concernant le risque lié à un échec entrepreneurial, je me suis dis qu’en sortant d’emlyon, qui est une des meilleures écoles de commerce de France, la probabilité que je me retrouve à la rue était très faible. De plus, le système d’aides sociales français est assez généreux en cas de problèmes. J’avais donc un filet de sécurité assez important, ce qui m’a poussé à me lancer dans l’entrepreneuriat, dans un pays où il fait bon entreprendre. En plus, j’avais la chance d’être dans une situation très favorable avec des conditions parfaites pour me lancer (statut d’étudiant, plus de temps, diplôme reconnu, pas de famille, …), contrairement à beaucoup de gens qui veulent tenter l’aventure mais qui doivent prendre davantage de risques (pas de diplôme, déjà actifs, avec de la famille, …). Au pire, je redevenais salarié dans une entreprise si cela ne marchait pas, et je pouvais rebondir.
A la sortie d’emlyon, tu intègres Groupama en tant qu’intrapreneur. Peux-tu nous expliquer ce qu’est l’intrapreneuriat et quel est ton rôle chez Groupama ainsi que tes missions ?
Le dispositif “G-Lab”, anciennement “Cellule Innovation” de Groupama Rhône Alpes Auvergne consiste pour Groupama à recruter deux étudiants en stage de fin d’études pour six mois et à leur confier une seule mission : trouver une idée de start-up et la développer. Pour cela, le binôme d’étudiants s’aide de deux méthodes qui ont fait leurs preuves : le design thinking et l’effectuation. L’entreprise donne alors aux étudiants une totale liberté et aucune contrainte pour travailler. On dispose même d’un budget que l’on peut utiliser comme bon nous semble pour mener à bien le projet (premiers prototypes, paiement de prestataires, design, …). A la fin des six mois de stage, les deux étudiants doivent présenter leur projet à la direction de Groupama, et si cette dernière est séduite, le projet passe en phase deux et un plus gros budget est débloqué afin de réellement créer la start-up.
” « Il faut profiter de la liberté permise par notre école pour créer sa propre identité et son propre parcours. »
C’est donc plus de l’entrepreneuriat que de l’intrapreneuriat parce qu’on reste les fondateurs et les propriétaires de l’entreprise, alors qu’en intrapreneuriat ce sont les salariés qui travaillent librement sur des projets pour améliorer l’entreprise en interne. Groupama a donc plus un rôle d’incubateur, et ce dispositif est incroyable dans la mesure où l’on peut entreprendre en étant accompagné, tout en ayant un salaire à la fin du mois comme un salarié. Nous avons donc le statut de salariés avec des CDD de six mois renouvelables, ce qui nous permet de nous concentrer à 100% sur le projet. Une fois la start-up créée, les premiers clients trouvés et les premiers revenus générés, on arrête le CDD, et on devient une entreprise totalement indépendante de Groupama, qui, en échange de leur accompagnement, garde une part minoritaire de notre capital, soit 20% (au maximum 25%, car plus que cela reviendrait à être une filiale de Groupama.)
Tu es aujourd’hui co-fondateur de Prunelle. Peux-tu nous présenter ton entreprise ?
Prunelle est née d’un constat que nous avions fait en stage chez Groupama : l’image qu’ont les gens des assurances aujourd’hui est très négative, comme le montre la fameuse phrase “assureur-voleur” qu’on entend beaucoup. Les gens disent qu’ils n’ont plus confiance en les assurances, qu’elles ne remboursent jamais, et qu’il y a toujours des conditions qui font que lorsqu’il leur arrive quelque chose, ils ne sont pas remboursés. Les assurances sont aussi assimilées aux banques et à l’Etat, de grandes institutions assez opaques où on ne sait pas comment elles fonctionnent et où va l’argent des clients (il est très difficile de savoir où l’argent est investi, et des rapports soulignent que cet argent sert souvent à financer des activités très polluantes comme l’extraction de ressources fossiles). On s’est donc intéressé plus en profondeur à ce qu’était une assurance, et on a découvert qu’à l’origine, une assurance, c’est simplement un outil de solidarité visant à mutualiser les risques dans une communauté. Groupama, par exemple, à sa création, était juste un groupe d’agriculteurs qui ont décidé de signer un contrat pour se protéger mutuellement des risques de la vie. Si la maison d’un agriculteur prenait par exemple feu, les autres agriculteurs devaient venir l’aider à la reconstruire. C’est le même principe pour les mutuelles. Cette mutualisation des risques et cette solidarité se fait même très naturellement dans notre famille ou avec nos amis. Les grands groupes d’assurances sont simplement la conséquence d’une augmentation de la taille des communautés et des personnes à aider, ce qui a entraîné les effets pervers que l’on connaît aujourd’hui (opacité, perte de sens, moins de place pour l’humain, …). Il y a donc une déconnexion entre ce que sont les grandes assurances aujourd’hui et ce pour quoi elles ont été créées. On s’est alors donné la mission de protéger les personnes qui n’ont pas ou plus confiance en l’assurance. Comment ? En recréant l’esprit et la raison d’être originelle de l’assurance : solidaire, transparente, et qui n’investit pas dans des activités qui détruisent notre planète. Si à la fin de l’année nous avons eu moins de sinistres que prévu et qu’il nous reste des bénéfices grâce à cela, nous voulons demander aux assurés comment ils souhaitent que l’on dépense cet argent. On leur proposera donc une liste de projets verts qui luttent contre le dérèglement climatique et ils choisiront celui ou ceux qu’ils préfèrent.
A quelle étape en est Prunelle aujourd’hui ? Il est possible de se pré-inscrire sur le site internet. Quand pourra-t-on devenir client ?
Aujourd’hui la société est créée et nous sommes en pleine phase réglementaire. Nous sommes en attente d’autorisations afin de pouvoir exercer dans le secteur financier. Si tout se passe bien, nous pourrons vendre notre premier contrat cet été, qui sera un contrat habitation. Nous sommes pour l’instant trois dans l’équipe, deux cofondateurs et un stagiaire, et nous faisons appel à de nombreux prestataires que nous payons grâce au budget alloué par Groupama. Mais si tout se passe bien, nous devrons recruter par la suite.
« Entreprendre c’est aussi ne pas trop se poser de questions […] mais regarder les moyens qu’on a autour de soi, et faire quelque chose avec. »
Tu as donc commencé l’aventure entrepreneuriale avec une amie à toi, qui est la cofondatrice de Prunelle. Comment choisir sa cofondatrice ou son cofondateur ?
C’est une question très complexe (rires). Je pense qu’il faut choisir avant tout une personne en qui on a confiance, avec la même envie d’entreprendre, et avec qui on s’entend bien, parce qu’une entreprise à deux, c’est passer toute la journée ensemble. Concernant la complémentarité des compétences, je ne pense pas que cela soit nécessaire. De nombreux entrepreneurs ayant le même profil s’associent et cela fonctionne très bien car ils ont les mêmes compétences et la même façon de voir le monde, ce qui simplifie et rend plus rapide la prise de décision. Il n’y a donc pas de règle universelle à suivre selon moi.
Comment te vois-tu plus tard ? Intrapreneur, entrepreneur, ou salarié ?
Je ne me projette pas trop à long terme. Pour l’instant je travaille sur Prunelle, et j’utilise les principes de l’effectuation, qui sont de se focaliser sur le court terme et de faire avec les moyens qu’on a aujourd’hui. Il y aura plusieurs futurs et opportunités possibles et pour le moment Prunelle est ma priorité.
A emlyon et en école de commerce plus généralement, peu d’étudiants deviennent entrepreneurs pour de nombreuses raisons (peur, manque de confiance, méconnaissance du métier, …). Que dirais-tu aux étudiants qui sont intéressés par l’entrepreneuriat mais qui n’osent pas se lancer ?
Je ne sais pas si je conseille à tout le monde de se lancer dans l’entrepreneuriat. Il faut en avoir envie, il faut être à l’aise avec l’incertitude, et certains préfèreront des environnements beaucoup plus cadrés. De plus, si tous les étudiants d’emlyon deviennent entrepreneurs, comment feront les entreprises déjà existantes pour recruter et fonctionner correctement ? Je trouve l’expérience entrepreneuriale géniale et très enrichissante, mais je pense que cela ne convient pas à tout le monde, et c’est normal. Pour ceux qui seraient intéressés et qui aimeraient essayer, je leur conseille de commencer avec un petit projet et de voir si entreprendre leur plaît. Si cela ne leur plait pas et qu’ils préfèrent travailler en tant que salarié, c’est tout aussi bien et ils pourront aussi avoir de l’impact et faire de belles choses dans leur entreprise.
Un conseil pour les étudiants qui veulent se lancer mais qui n’ont pas d’idée ?
Je ne pense pas qu’il faut avoir une idée très précise d’entreprise à créer dès le début. Pour se lancer dans l’entrepreneuriat, je conseille vivement de lire un livre sur l’effectuation (ndlr : “Effectuation : les principes de l’entrepreneuriat pour tous”, de Philippe Silberzahn, disponible au Learning Hub) et de suivre les principes d’actions de cette méthode. Entreprendre c’est aussi ne pas trop se poser de questions, trop étudier ou trop théoriser, mais regarder les moyens qu’on a autour de soi, et faire quelque chose avec. Il faut donc faire avant de réfléchir.
Avant de finir, j’aimerais challenger le mythe de l’entrepreneur qui travaille tout le temps et qui a des horaires impossibles. Toi qui es entrepreneur, est-ce que tu es dans ce cas ?
Pour le moment j’ai des horaires assez classiques. C’est très varié car certaines fois j’ai tellement de choses à faire que je dois travailler toute la journée, et je peux prendre une demi-journée voire une journée de pause le lendemain. Peut-être que cela changera lorsque j’aurai les premiers clients, mais pour l’instant j’arrive à allier Prunelle et ma vie personnelle. Après, peut-être que mon salaire et le fait que je n’ai pas de prêt à rembourser permet cela aussi, car ceux qui n’ont pas ces avantages ont une grosse pression financière sur les épaules, ce qui les pousse sûrement à travailler tout le temps sur leur projet car ils savent qu’ils n’ont pas le choix de réussir.