En marge du retrait français du Sahel, un nom revient dans toutes les bouches et dans tous les journaux : Wagner. Cette organisation paramilitaire russe est suspectée d’avoir pris la relève de l’armée française, notamment au Mali où son arrivée a été dénoncée le 24 décembre dernier par une quinzaine de puissances occidentales impliquées historiquement dans la sécurité de la région. Cette rumeur, démentie par le gouvernement malien, traduit toutefois une tendance nouvelle : la « privatisation » de la guerre et de la sécurité via les sociétés militaires privées.
Par Hugo Ballansat, membre de Diplo’mates
À LA GENÈSE DES SMP
Les sociétés militaires privées (SMP) sont des entreprises fournissant des services de sécurité et de défense à des gouvernements, organisations internationales, entreprises privées ou autres organisations. Elles sont le pendant moderne du mercenariat. Leur action se met en place dès les années 1970, mais elles deviennent visibles et connues sur la scène internationale à partir du début des années 2000 avec les guerres d’Afghanistan et d’Irak. À cette époque, un soldat sur deux engagés en Irak appartient à une SMP et 39% des agents privés travaillent pour le Pentagone. Cette période constitue l’âge d’or des sociétés militaires privées. Certaines sont très connues : Blackwater ou DynCorp, qui interviennent respectivement en Irak et en Afghanistan.
Cependant, les SMP n’interviennent pas, la plupart du temps, dans les opérations offensives, en première ligne dans les combats. Elles assurent des missions plus défensives : formation des militaires, logistique, sécurité d’installations et de personnalités, conseil tactique, renseignement ou nettoyage des zones de conflit (déminage et dépollution). Les mercenaires engagés sont d’anciens soldats reconvertis qui cherchent à s’enrichir – l’utilisation du terme mercenaire semble ainsi largement justifiée. A titre d’exemple, un agent de sécurité de Blackwater pouvait toucher jusqu’à $18 000 par mois en Irak.
UN ENJEU ACTUEL DE PUISSANCE
Face au libéralisme et à ses changements, le hard power a dû s’adapter. Les États ont réduit leurs dépenses militaires, notamment en Europe. La conscription a été supprimée entraînant la professionnalisation de l’armée et une réduction des effectifs. L’opinion publique à l’égard des conflits meurtriers s’est durcie. Le recours à la force n’était plus envisageable, traduisant une impuissance de la puissance. Les États ont donc eu recours aux SMP pour continuer d’assurer leur puissance militaire sur l’ensemble de la planète.
Les Américains sont restés les gendarmes du monde grâce aux contractors, aux soldats engagés sous contrat de sous-traitance avec la Défense américaine. La Russie a couplé son effort diplomatique envers certains pays, comme la Syrie, la Libye, le Centrafrique ou plus récemment le Mali, avec l’appui militaire du groupe Wagner, groupe paramilitaire proche de Poutine. La Turquie se présente en nouvelle puissance en envoyant des milliers de mercenaires dans différents conflits, comme dans le Haut-Karabagh. Les SMP sont donc aujourd’hui de véritables enjeux pour les puissances traditionnelles ou en devenir.
UNE ACTIVITÉ CONTROVERSÉE
La privatisation de la guerre pose effectivement un problème. Elle brouille la frontière entre les intérêts publics et les intérêts privés dans un domaine où l’État est traditionnellement souverain. Les opérations des SMP ont été à l’origine de nombreuses bavures contre les populations civiles. Parmi les plus connues, les exactions de Blackwater sur les populations civiles irakiennes qui ont forcé la société à changer de nom en 2011 pour devenir Academi. Cependant, les membres de Blackwater ont bénéficié d’une large immunité, malgré les poursuites lancées par les autorités irakiennes. Ces bavures ont contribué à ternir davantage l’image de l’armée américaine à l’étranger, alors qu’elle n’avait aucune responsabilité dans ce massacre. La question de la responsabilité et de la fiabilité des sociétés militaires privées est ainsi rapidement soulevée.
Au-delà du flou qui entoure les sociétés militaires privées, l’éthique d’une telle pratique fait naître la controverse. Car, même si le recours aux SMP traduit l’incapacité financière des États de s’engager dans des conflits coûteux, il fait également partie d’une tactique militaire connue : le déni plausible. Cela vise à organiser une opération militaire en restant le plus vague possible sur la chaîne de commandement pour pouvoir nier ou se dédouaner de son engagement. Par exemple, la Russie est la puissance mondiale la plus impliquée dans cette stratégie avec le groupe Wagner : elle s’engage, sans que personne ne le remarque, dans de nombreux conflits, comme en Syrie, en Libye ou en Centrafrique. Tout ceci est une histoire d’image.
Il existe un risque que les États perdent la main sur les SMP, en leur donnant trop d’importance et de moyens. Ils restent toutefois maîtres de leur destin car ce sont les seuls responsables de ce basculement vers le privé.