Le 7 décembre 2010, l’Etat français s’engage auprès de la Commission Européenne via l’instauration de la loi NOME (loi portant Nouvelle Organisation du Marché de l’Électricité). Il résulte de cette loi la mise en place du dispositif ARENH (Accès Régulé à l’Electricité Nucléaire Historique). Ce dispositif permet à tous les fournisseurs alternatifs de s’approvisionner en électricité auprès d’EDF dans des conditions fixées par les pouvoirs publics. Pensé pour permettre aux consommateurs finaux, quel que soit le fournisseur qu’ils choisissent, de bénéficier de la rente du nucléaire et des investissements qui ont été faits dans le nucléaire, l’ARENH se révèle en réalité délétère pour le consommateur. Explications.
Dans le cadre de sa rubrique « Point de Vue », Le M ouvre ses colonnes aux étudiants d’emlyon. Ils peuvent ainsi exprimer une opinion, une humeur, une conviction, en toute subjectivité, au travers d’articles. Le M propose aux étudiants de les accompagner dans la rédaction en leur apportant de précieux conseils, faisant d’eux de meilleurs rédacteurs. Les propos tenus dans cette rubrique n’engagent que leurs auteurs.
Par Alexandre Fournet,
En ces temps européens troublés par l’élection de Giorgia Meloni, faisant frémir Ursula Van Der Leyen, la Présidente de la Commission européenne. Également troublés par la flambée des prix en raison des pénuries d’énergie. Mais aussi par le pied de nez de la Russie aux Etats-Unis, via l’octroi de la citoyenneté russe à Edward Snowden – ce que la France n’a pas eu le courage de faire, alors que ce dernier avait “simplement” révélé au grand public le système de surveillance généralisé organisé par la NSA – le petit étudiant d’emlyon que je suis fait son chemin dans le vaste monde. Le vaste monde, c’est le plat pays, et plus précisément Bruxelles, ville dans laquelle j’effectue mon stage. Entre deux cornets de frites achetés à la fameuse friterie Tabora qui est ouverte jusqu’à six heures du matin, idéale pour pallier la foncedalle des fins de soirée, je discute avec ma charmante colocataire – que l’on prénommera ici Julia – fidèle représentante de la bien-pensance globale : pro-Ukraine, pro-Europe, pro-LGBTQIA+ et évidemment, défenseuse de l’amour fraternel entre tous les citoyens du monde. Julia m’explique qu’elle est profondément choquée par la victoire de Meloni, et ne comprend pas que l’on puisse critiquer l’Europe : après tout, il faut la comprendre, elle est partie en Erasmus grâce à tata Ursula.
Or, il y a beaucoup de choses à redire sur les carences de l’Europe, construite dans les circonstances très singulières de l’après-guerre. Aujourd’hui, c’est la flambée des prix liée à l’énergie qui touche l’ensemble des pays européens. Avancer des arguments conjoncturels tels que la guerre en Ukraine, c’est facile. C’est facile et ça empêche de faire réfléchir. Dans les faits, ce sont certaines lois passées en accord avec la Commission Européenne qui ont rendu possible cette situation. Intéressons nous à l’ouverture à la concurrence des marchés européens de l’électricité au début des années 2000.
Une directive européenne de 1996 a en effet acté la fin du monopole d’EDF, ce qui signifie que d’autres fournisseurs devaient pouvoir vendre de l’électricité. Cette idée puise dans un courant de l’économie libérale, expliquant que l’ouverture du marché à plusieurs concurrents engendrerait la baisse des prix ; en d’autres termes, plus il y a de fournisseurs d’électricité différents, plus les prix baisseront. La Commission européenne a alors considéré qu’il n’y avait pas suffisamment de fournisseurs alternatifs d’électricité en France, ce qui a conduit à la votation en 2010 de la Nouvelle organisation du marché de l’électricité ou loi Nome. C’est à cette occasion qu’est apparu le dispositif de l’ARENH (Accès Régulé à l’Énergie Nucléaire Historique). Ce dispositif a servi cet idéal, puisqu’il oblige EDF à fournir à ses concurrents environ un quart de sa production d’électricité nucléaire chaque année (100 TWh/an) à un prix de 42 euros par MWh, pour leur permettre d’accéder au marché de l’électricité. Vous vous en doutez, cela ne permet donc pas de faire baisser les prix, puisqu’il y a désormais deux intermédiaires impliquant une « double marge », dont on pouvait initialement penser qu’elle serait compensée par la baisse des prix provoquée par l’augmentation de la concurrence. S’ajoute à cela une autre donnée : la loi Nome fait en sorte que le Tarif Réglementé de Vente de l’Électricité soit dicté non pas sur ses coûts de production réelle, mais sur le coût d’approvisionnement des fournisseurs alternatifs d’électricité. Autrement dit, les prix sont ajustés non pas à la production, mais bien aux concurrents, afin de leur permettre d’intégrer le marché.
Les inconvénients d’un tel système se dessinent progressivement. Ouvert à la concurrence, le tarif devient volatile et peut passer de 80 euros/MWh à des pics de plus de 1000 euros/MWh. En outre, comme le dit le professeur en économie François Mirabel, cette politique enlève à notre nation la possibilité de planifier les grands axes de la politique énergétique de demain, son principal but étant de faciliter en premier lieu l’entrée de fournisseurs alternatifs sur le marché : « Des questions cruciales relatives aux missions de service public concernant les prix, la sécurité d’approvisionnement, l’indépendance énergétique, la réduction des émissions de CO2, à la promotion des énergies renouvelables paraissent nécessiter un encadrement et une planification forte de l’État ». Cette ouverture au marché européen s’accompagne ainsi d’une hausse des prix pour les consommateurs. Enfin et surtout, on se demande quel est l’intérêt de ce transfert de la valeur du parc nucléaire d’EDF à ses concurrents, alors que ceux-ci se reposent sur cette politique sans investir outre mesure dans leur propre production. Ces concurrents sont doublement protégés, si on ajoute à cela les nouvelles politiques liées à la crise énergétique actuelle qui nous impose de leur fournir plus de 20 TWh supplémentaires . Les temps troublés actuels amènent d’autres problématiques notamment la dépendance des prix de l’électricité par rapport aux prix du gaz, ou encore le rachat d’EDF par l’Etat après l’avoir laissé à General Electric, mais il faut se poser les bonnes questions.
L’auteur de ces lignes n’est pas réellement économiste et s’instruit comme il peut, mais il doute en tous cas de l’intérêt de ces mesures aux fondements européens pour la nation française, et a fortiori pour les consommateurs français. A ma chère et tendre colocataire italienne qui se demande comment l’on peut ne pas aimer l’Europe, je réponds de la plus simple des manières : quand l’Europe est un prétexte pour créer des lois et des directives qui dépouillent la France de ses ressources et de ses richesses sans n’apporter aucun bénéfice, je me permets occasionnellement de douter de sa pertinence.
Je conclurai mon propos par cet appel de la CFE, la Fédération CFE-CGC Énergies, une organisation syndicale des métiers liés aux Industries électriques et gazières en France, au Président de la République : « La CFE Énergies demande donc naturellement au Président de la République de réparer les dégâts de cette politique indigne que son Gouvernement vient de causer. C’est la condition pour que l’État stratège et l’État actionnaire retrouvent de la crédibilité aux yeux des Français. S’il veut éviter le procès en versatilité consistant à creuser la tombe d’EDF six mois après avoir voulu bâtir le « Grand EDF », il doit honorer la promesse faite le 6 avril par Bruno LE MAIRE d’apporter à EDF 10 milliards de soutien public ! ».