De Pia De Vita, Sidonie Guilbert, Candice Didion, membres de Diplo’mates
Avancées et crispations
Egalité d’accès à l’éducation, égalité salariale, égalité sexuelle… L’égalité entre les femmes et les hommes revêt un grand nombre d’aspects différents. Pour étudier l’état de l’égalité entre les sexes, il convient donc à la fois de considérer ses aspects pris séparément ainsi que dans leur ensemble. L’égalité est un droit fondamental garanti par la charte des droits de l’Homme des Nations Unies, qui comprend l’égalité entre les femmes et les hommes. Ce même droit a été renforcé par l’adoption des objectifs du développement durable, comprenant un objectif sur l’égalité entre les sexes. Ainsi, si l’égalité est un principe adopté en théorie par tous les pays du monde, puisque membres de l’ONU, il est encore très courant d’observer de fortes disparités entre hommes et femmes dans la pratique.
Il est un fait qu’ aujourd’hui, femmes et hommes n’ont jamais été aussi égaux, mais dans le même temps, selon le Forum économique mondial, il faudrait à ce rythme encore 100 ans pour atteindre l’égalité réelle. Faut-il donc voir le verre à moitié vide ou à moitié plein ? Ces chiffres mondiaux ne sont que le résultat d’une combinaison des avancées de tous les pays, ce qui permet donc aux plus mauvais élèves de se cacher derrière les meilleurs. Ainsi, une distinction entre des catégories de pays est à faire. Au sein de l’OCDE par exemple, le processus de réduction des égalités, notamment salariales – en 2000 l’écart était de 17% et il n’est aujourd’hui plus que de 13,6% selon les chiffres de l’OCDE, avortement en bonne voie d’être légalisé en République d’Irlande, … –, se poursuit, même si dans les faits, il reste des progrès à accomplir dans tous les axes de l’égalité. De plus, dans les pays de l’OCDE, les femmes et les hommes se mobilisent pour revendiquer les droits des femmes (marche contre les violences faites aux femmes, mouvements 6 novembre 15h35, phénomènes des colleuses, …). Mais cette mobilisation accrue est également due à la perception d’un danger sur ces mêmes droits. En effet, les droits des femmes dans certains pays dits occidentaux sont sans cesse menacés comme en Pologne où seule la mobilisation massive des femmes a fait reculer le gouvernement sur sa proposition d’interdire totalement l’avortement.
Ailleurs dans le monde, on observe un même phénomène paradoxal. Si certaines avancées existent, comme la mobilisation record de la population argentine pour ouvrir le droit à l’avortement, ou la grâce accordée par le roi du Maroc à la journaliste Hajar Raissouni ; à l’échelle mondiale une forte crispation s’opère autour de ces questions qui sont considérées comme parfois secondaires, ou même des non-questions.
En somme, le bilan de l’égalité entre les hommes et les femmes reste mitigé et surtout soumis aux autres questions et bouleversements qui traversent le monde. Ainsi, la question de l’égalité des sexes peut être perçue comme une question à traiter après les autres problèmes qui secouent le monde, même si dans le même temps, de plus en plus de mouvements font entendre leur voix pour faire soutenir les droits des femmes.
L’égalité homme-femme : le cas du Yémen
Le Yémen conserve cette année encore la dernière place d’un classement comptant 142 pays concernant l’égalité des sexes publié en octobre par le Forum économique mondial, et ce pour la treizième année d’affilée. Ce classement prend en compte plusieurs facteurs dont les salaires, la participation au marché du travail, la qualification des emplois, l’accès à l’éducation, la représentation aux postes à responsabilités, l’espérance de vie et la proportion de femmes et d’hommes dans la population.
7.6% de femmes yéménites sont actives contre une moyenne mondiale de 38.9%
L’écart entre le taux d’alphabétisation et de scolarisation des filles et des garçons est ainsi le plus élevé au monde. Plus encore, les femmes yéménites ne sont pas libres du choix de leur époux, et encore moins de celui d’étudier, ou d’exercer un métier. Peu d’ailleurs le font, avec 7.6% de femmes yéménites actives contre une moyenne de 38.9% dans le monde. Face à la justice, le témoignage d’une femme compte moins que celui d’un homme, et les crimes d’« honneur » envers une femme sont considérés avec indulgence. L’indemnité perçue par la famille d’une victime est divisée par deux s’il s’agit d’une femme et non d’un homme. Le mari, père, frère possède un droit de regard concernant les agissements d’une femme, jusqu’à la sortie ou non de son domicile.
Ces faits démontrent une discrimination normalisée au sein de la société, les mœurs et valeurs socio-culturelles étant profondément ancrées dans un schéma patriarcal et les lois abondant en ce sens. Ces dernières comportent, en effet, de nombreuses clauses discriminatoires : devoir d’obéissance à leur mari, impossibilité de se marier sans autorisation de leur tuteur… Ces clauses encadrent et justifient la discrimination envers les femmes dans le pays. D’autant plus, cet encadrement législatif et la normalisation de cette condition féminine inférieure expose les femmes à des violences au sein de leur foyer, de leur famille, dans la rue si elles ne sont pas accompagnées d’un homme. Il n’existe aucune loi pour les en protéger, ce qui tend à favoriser encore davantage ces violences, ou du moins ne tend pas à les réfréner.
Ainsi, la femme yéménite grandit au sein d’une société avec des choix, des possibilités et des droits extrêmement limités. Cela dit, certains progrès ont été amorcés ces dernières années : des voix s’élèvent, des femmes s’engagent et, avant que les conflits ne s’aggravent en mars dernier, les femmes étaient en bonne voie d’obtenir des avancées non négligeables avec la rédaction d’un projet de nouvelle Constitution comprenant plusieurs articles en faveur de leurs droits. La guerre se poursuivant, ces droits sont retombés dans l’oubli et les acquis s’effritent. Cependant, le combat est amorcé et, bien que la position précaire du pays laisse ces questions de côté pour le moment, il reprendra sans nul doute lorsque la situation se stabilisera.
Le Rwanda : un modèle paritaire ?
Les conditions de vie d’une femme rwandaise ont connu de nettes améliorations depuis ces vingt dernières années : pénalisation de la violence, droit à l’avortement, congés maladie sont autant de droits et de progrès pour les femmes. De plus en plus de femmes occupent des hauts postes à responsabilités – chose encore rare dans les pays développés : la part de femmes dirigeantes d’entreprises dans les 120 sociétés les plus cotées en bourse s’élève à 17% en France, 9,5% en Allemagne. On trouve, en effet, des femmes à la tête de grandes entreprises rwandaises comme Diane Karusisi à la Bank of Kigali, la plus grande banque rwandaise. De fait, plus de 60% du parlement rwandais est composé de femmes. Elles peuvent se trouver à la tête de ministère clefs : commerce et industrie, agriculture, innovation, fonction publique, travail, santé. 65% des filles sont scolarisées, un record en Afrique.
Ces progrès significatifs pour les femmes dans la société et dans la vie publique sont une des conséquences du génocide qu’a connu le Rwanda en 1994. Pour rappel, les tensions existantes entre ethnies Hutu et Tutsi se transformèrent en guerre civile, conduisant à un génocide : les Hutus menant une véritable chasse aux Tutsis. A la fin du conflit, ayant causé plus de 800 000 morts, essentiellement des Tutsis, la population était composée à 70% de femmes. La reconstruction et le relèvement du pays reposèrent alors sur elles, à un temps où elles n’avaient quasiment aucuns droits. Des progrès restent toutefois encore à faire à l’image des cours de « masculinité positive » dispensés dans les écoles afin d’inculquer aux garçons que les femmes sont les égales des hommes. Les femmes souffrent encore énormément de violences conjugales. La situation de la femme rwandaise reste néanmoins une des meilleures et plus sûres qui soit au monde bien que la situation soit encore loin d’être parfaite.
Des doutes persistent sur la véracité de ces progrès : le président Kagamé reste à la tête d’un pouvoir fortement centralisé, où les opposants sont muselés et arrêtés. Un journaliste de Deutsch Well a même insinué que ce progressisme ne serait qu’une vitrine pour le pouvoir en place : cela permettrait au président Kagamé, qui bien que critiqué sur la façon peu démocratique qu’il a d’exercer le pouvoir, apparait comme légitime car initiant du progrès social. Quoi qu’il en soit, il reste indéniable que les femmes rwandaises ont su tirer parti de l’opportunité qui leur a été donnée de devenir plus indépendantes.