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La stratégie au coeur de l’industrie musicale : interview de Marie Courant, directrice de la transformation de la Sacem

Alors consultante chez PMP, Marie Courant est chargée en septembre 2020 par le Directeur général de la Sacem (Société des Auteurs, Compositeurs et Éditeurs de Musique) de piloter la transformation de la société française de gestion des droits d’auteur. Elle revient avec nous sur son parcours depuis sa sortie d’emlyon business school et évoque les mutations profondes que connaît l’industrie musicale actuellement. 

Alors que les revenus dans le secteur de la musique ont baissé de 76% au niveau européen en raison de la pandémie mondiale, Marie Courant nous rappelle ce dont le secteur musical aura besoin dans la phase de reconstruction qui s’amorcera à l’issue de la crise : des yeux neufs et des idées innovantes.

Marie Maurer: Pouvez-vous commencer par vous présenter et évoquer votre parcours ?

Marie Courant : J’ai 28 ans, diplômée du Msc in Management d’emlyon business school en 2016, que j’ai intégrée après une classe préparatoire aux grandes écoles en voie ECE. À emlyon, j’ai suivi le double-diplôme avec Sciences Po Lyon sur les deux dernières années. J’ai commencé ma carrière en tant que consultante au sein du cabinet de conseil PMP en 2016, dont je suis sortie Senior Manager en 2020. Je suis aujourd’hui Directrice du Pilotage de la Transformation de la Sacem, fonction occupée depuis septembre dernier. 

Sur les dernières années de votre parcours en tant que consultante chez PMP, vous vous êtes spécialisée dans le secteur de la culture et des médias. Sur quels axes avez-vous eu l’occasion de travailler ?  

En commençant chez PMP, j’ai initialement travaillé sur des sujets liés à la stratégie et transformation digitale. Après quelques années, j’ai rejoint le pôle « Culture et Médias » du cabinet. J’ai alors travaillé pour des acteurs du secteur culturel, aussi bien publics que privés, sur des sujets de stratégie essentiellement : études de marché, audit de sociétés, mais aussi des réorganisations.

J’ai par exemple conduit une mission auprès de la Direction de l’un des principaux conservatoire sur le développement d’une activité de studio d’enregistrement, intégrant la création d’une filiale de droit privé. Il s’agissait de réaliser une étude de marché de l’offre de studios d’enregistrement en Europe et dans le monde et définir le positionnement cible.

J’ai également travaillé sur un état des lieux et des propositions de réorganisation du service de catalogage d’ouvrages au sein de l’une des institutions publiques françaises. Activité encore manuelle et qui sera fortement impactée par les technologies telles que l’intelligence artificielle au cours des prochaines années.

Comment en êtes-vous venue à travailler pour des institutions culturelles ? Avez-vous saisi des opportunités ou était-ce de votre propre volonté ? 

Je dirais que c’est un peu des deux. Je n’ai pas fait Sciences Po par hasard, je voulais avoir un attachement à une mission qui relève quelque part de l’intérêt général dans mon futur métier, à quelque chose qui ait du sens pour moi. Selon moi, la Sacem est une entreprise très attachante, qui a une véritable raison d’être: celle de faire vivre les auteurs, les compositeurs et les éditeurs, premiers artisans de la création musicale et de sa si précieuse diversité.

Néanmoins, c’est avant tout une question d’équipe. À ce moment-là, j’ai eu envie de travailler avec l’équipe du pôle culturel plutôt que le secteur investi sur les questions digitales. Finalement, c’est aussi un choix d’orientation de carrière. Je suis davantage intéressée par les problématiques de Directions générales, que par celles strictement liées au digital. Bien que ma brève expérience sur le digital me soit très utile ! C’est pourquoi à l’époque, j’ai fait le choix de m’orienter sur un secteur d’activité plutôt que sur une expertise. 

Existe-t-il une journée-type en tant que consultante dans le secteur culturel ?

Évidemment, tout le monde dit que cela n’existe pas ! Une journée « type » est différente selon le poste occupé : consultant ou manager. 

Souvent, je commençais ma journée en appelant l’équipe : associés et consultants. Nous fixions alors les priorités de la journée et partagions les moments clés à anticiper sur les prochains jours. J’étais quasiment 100% de mon temps chez les clients, même en tant que manager. C’est sûrement l’une des particularités du cabinet, et de la période pré-Covid ! Les journées étaient ponctuées par des réunions d’équipe soit sur les missions en tant que telles, soit sur l’activité commerciale, et par des réunions avec les clients. En fin de journée, je me réservais des plages horaires pour travailler sur des sujets de fond. 

Vous êtes actuellement Directrice du pilotage de la transformation à la Sacem. Pourquoi ce cheminement du conseil en stratégie à la Sacem ? Qu’est-ce qui vous a menée vers ce poste ? 

Avant la crise de la Covid-19, la Sacem était l’un de mes principaux clients, nous avions un accompagnement régulier depuis 2017 me concernant. Je connaissais donc très bien les équipes et le Comité Exécutif. Passant beaucoup de temps parmi eux et étant très attachée à la mission de la société, je me sentais presque davantage appartenir à la Sacem qu’à PMP. Lorsque le premier confinement est arrivé, le statut de prestataire de service des consultants était en première ligne en cas de réduction des coûts pour la Sacem. Cela m’a beaucoup affectée. Bien que nous soyons des prestataires importants pour nos clients, nous ne faisons pas partie de l’entreprise.

Ma transition s’est faite durant l’été 2020. Alors que la culture était à l’arrêt, la Sacem a entamé un plan d’économies. Jean-Noël Tronc, le Directeur Général de la Sacem, m’a alors proposé de travailler avec lui sur la transformation de leurs activités. 

À ce moment-là, je ne me voyais pas poursuivre ma carrière dans le conseil. Je souhaitais avoir une expérience en « corporate », avoir davantage de prise avec la réalité de la gestion d’entreprise. Ce fut vraiment une très belle proposition de poste, dans un contexte économique inédit où les enjeux sont très importants aussi bien pour les collaborateurs que pour les sociétaires de la Sacem.  

Les enseignements que vous avez reçus à emlyon business school vous servent-ils aujourd’hui pour travailler à la Sacem ? Si oui, lesquels ?

Je dirais qu’il y a trois choses. La première, c’est l’autonomie. L’immersion internationale dès la fin de la première année a donné une véritable impulsion à mon parcours personnel. 

La deuxième, ce sont les groupes de travail. À emlyon, on apprend à se positionner dans un groupe, à s’affirmer et à s’organiser. En arrivant dans le monde de l’entreprise, je me suis rendue compte que cette capacité de gestion de projet était un véritable atout. Dans les recrutements des cabinets de conseil, la façon de fonctionner en groupe est un critère discriminant. Finalement, ce qui me sert aujourd’hui, ce sont davantage ces soft skills qu’on apprend en école de commerce plutôt que des hard skills, notamment une manière d’être et de travailler.

Enfin, j’ai beaucoup appris des cours dispensés dans la spécialisation en conseil et stratégie. J’ai retrouvé des concepts vus en cours dans mes premières missions en tant que consultante. 

Pouvez-vous revenir sur les rôles principaux de la Sacem dans l’industrie musicale ?

La Sacem est la Société des Auteurs, Compositeurs et Éditeurs de musique. C’est une société privée à but non lucratif, de gestion collective des droits d’auteur, c’est-à-dire qu’elle appartient à ses membres (les auteurs, compositeurs, éditeurs de musique, auteurs-réalisateurs, auteurs de doublage et sous-titrage, humoristes, poètes…). Les membres acquièrent une part sociale lors de leur adhésion. La société représente un répertoire de 8 millions d’œuvres de tous les genres, allant de la musique classique aux musiques urbaines en passant par le jazz, la musique de film ou encore l’Electro. 

Notre première mission est la collecte et la répartition des droits d’auteur. Nous collectons les droits d’auteur auprès des diffuseurs (chaînes de télévision, radios, plateformes de streaming musicales et audiovisuelles, cinémas, cafés, hôtels, restaurants, commerces, etc.), et rémunérons alors les ayants droit à hauteur de leur contribution à la création des œuvres diffusées.  

Nous avons également trois autres missions que sont la protection et défense de nos membres, de leurs droits, intérêts et de notre répertoire d’œuvres, l’offre de services à nos membres (protection sociale et formation professionnelle), et l’engagement pour une création diverse et durable, passant notamment par le financement de projets culturels).

Sur quelles transformations travaillez-vous à la Sacem concrètement ? Quelles missions vous sont confiées en tant que Directrice de la transformation ? 

Les chutes de revenus observées au niveau européen sont massives pour la culture: 76% pour la musique, 90% pour le spectacle vivant (Ndlr : source : étude EY, “Rebuilding Europe : the cultural and creative economy before and after Covid-19”). 

Pour la Sacem, nous estimons une perte de collectes de droits d’auteur liées à la crise de 250 millions d’euros, soit près d’un tiers de nos collectes 2019 et un déficit cumulé de 150 Millions d’Euros à cinq ans, avant toute mesure d’économie. 

Nous avons donc bâti un plan de retour à l’équilibre, qui repose à la fois sur une transformation de notre modèle opérationnel et sur le développement i.e. l’accélération de notre stratégie de croissance, à l’international notamment.  Je m’inscris donc dans ce « Plan de transformation pour le développement de la Sacem». 

Nous avons lancé dès septembre un certain nombre d’actions visant à démarrer la transformation (plan d’économies, chantiers internes visant à améliorer le cadre de travail, développement de nouveaux services pour nos membres, …) et travaillons à la communication interne afin d’informer les salariés de l’avancement de ce plan. Il s’agit aussi de construire une feuille de route pour les prochaines années : quelles actions initier, à quel moment, avec quels objectifs et selon quelles priorités.  

Mon action s’inscrit dans un contexte économique et sanitaire catastrophique pour le monde de la culture, et dans un contexte absolument inédit pour notre société puisque nous avons abouti à la négociation d’une Rupture Conventionnelle Collective avec les représentants du personnel. Pour la première fois en 170 ans, la Sacem met en place un dispositif de départs volontaires pour les salariés souhaitant quitter leur société. 

Quels sont les changements de long terme qui influencent l’industrie musicale en ce moment selon vous ? Comment se répercutent-ils sur les musiciens et les auteurs ? 

Une grande tendance de fond est la progression du online et sa perpétuelle évolution. Si le digital a permis de redonner progressivement des couleurs à l’industrie musicale impactée par la crise du disque et le piratage, l’essor des plateformes de streaming audio et vidéo a petit à petit redistribué les cartes. 

En réalité, nous n’avons jamais autant écouté de musique dans le monde, mais sa valeur baisse en raison de la plateformisation. Avant, un disque s’achetait 15 euros, maintenant le catalogue de Spotify est en accès libre pour 10 euros par mois.

Avec la pandémie de Covid-19, le livestream a également pris encore plus d’ampleur. La Sacem accompagne depuis toujours ces évolutions afin de garantir à ses membres une juste rémunération. Elle a entrepris des investissements informatiques massifs pour accompagner les nouveaux modes de consommation et la croissance exponentielle des données à traiter. Dès qu’un nouvel usage ou un nouvel acteur émerge sur le marché, la Sacem contractualise avec eux et négocie ainsi la meilleure rémunération pour ses membres et ses mandants.

Par ailleurs, pour les auteurs, compositeurs et éditeurs de musique et pour la Sacem, la concurrence n’a jamais été aussi rude et les sources de revenus aussi incertaines. Nous faisons face à des modèles économiques alternatifs à la gestion collective et au droit d’auteur. La crise que nous traversons accélère la nécessité de réinventer notre modèle. C’est la raison pour laquelle, nous avons lancé le plan de transformation de la Sacem, au service de son développement. 

Avez-vous une journée type en tant que Directrice de la transformation à la Sacem ?

Elle démarre plus tôt et se finit plus tard ! En début de matinée, j’essaie de travailler sur mes dossiers, ce que je ne faisais pas dans le conseil parce que j’étais plus dépendante des agendas de mes clients. 

Maintenant, mon métier, c’est beaucoup de réunions. Je ne travaille pas seule dans mon bureau mais vraiment avec les équipes. 

Est-ce spécifique de travailler dans le secteur culturel, par rapport à d’autres secteurs d’entreprise ? Ou, au contraire, les enjeux sont-ils similaires ? 

La différence de fond est la fierté d’appartenir à la société. À la Sacem, notre mission d’intérêt général nous tient à cœur, car si nous ne rémunérons pas la création artistique, il n’y a plus de musique ! Un engagement profond existe donc chez les personnes qui travaillent dans la culture.

Toutefois, les enjeux sont les mêmes qu’ailleurs : l’entreprise à un chiffre d’affaires, nous avons les mêmes obligations de service auprès de nos clients, et des engagements envers les salariés. 

Avez-vous un dernier conseil à destination des étudiants d’emlyon business school intéressés par le secteur musical après avoir obtenu leur diplôme ?

Il faut avoir confiance en soi, surtout dans les temps qui arrivent. Le secteur de la musique va être tendu mais nous avons besoin de personnes qui réfléchissent et apportent un œil neuf pour transformer le secteur. Suivez les opportunités, laissez-vous porter et faites-vous confiance.

Un dernier conseil, n’oubliez pas qu’il faut travailler, s’investir beaucoup dans ce que vous faites pour atteindre vos objectifs. Ce qui compte, c’est ce que vous ferez avec vos diplômes et votre parcours académique, après votre passage à emlyon !


Par Marie Maurer, rédactrice chez Verbat’em