Contribuer à un monde plus écologique en jouant aux jeux vidéo ? Cette idée peut sembler saugrenue quand on constate que ce moyen de divertissement allie une consommation excessive d’électricité, nécessite du hardware constitué de matériaux rares polluants, et dépend de super serveurs tournant 24h/24. Pourtant, même dans cette industrie, une conscience responsable émerge peu à peu. Explications.
Le secteur du jeu vidéo est terriblement polluant : selon le Lawrence Berkeley National Laboratory, la consommation électrique qu’il induit serait à elle seule équivalente à la production de 10 réacteurs nucléaires, soit 75 térawatt-heures. Qu’elle résulte de la consommation des écrans, dont la hausse de résolution implique une consommation plus importante à chaque innovation, des consoles et ordinateurs derniers cris, dont les performances requièrent toujours plus de consommation électrique, ou encore de la multiplication des data center où sont hébergés parties et données des utilisateurs, cette consommation ne semble pas prête de faiblir.
De plus, avant même que les gamers puissent utiliser leurs consoles et ordinateurs favoris, ces derniers affichent déjà un bilan social et environnemental désastreux. En plus de nécessiter l’utilisation de terres rares dont la récolte en elle-même est polluante, la production de consoles entraîne des conséquences tragiques. Certains composants comprennent des matériaux radioactifs, et les processus de production sont souvent délocalisés dans des pays en développement sans réglementations, où les populations sont exploitées contre quelques centimes. Ces méthodes de production rejettent dans la nature des quantités importantes de déchets, qui sont ensuite récupérés et revendus par des personnes défavorisées au péril de leur vie. Une situation déplorable d’un point de vue environnemental et humain, qui ne colle pas vraiment à l’image dynamique et hautement tournée vers l’avenir que l’industrie vidéoludique cherche à véhiculer.
Depuis 2008, époque où Greenpeace s’inquiétait déjà de l’essor de la Wii U, de la Xbox 360, de la Playstation 3 et de leurs composants polluants, l’industrie a fait l’objet d’une croissance phénoménale. Aujourd’hui, le marché mondial du jeu vidéo pèse plus de 300 milliards de dollars, pour 2,7 milliards de joueurs dans le monde. Selon l’entreprise de conseil Accenture, ce chiffre pourrait même grimper à 3,1 milliards d’ici la fin de l’année 2023, soit plus d’un tiers de la population mondiale. Ces chiffres incluent les joueurs confirmés, mais également les joueurs occasionnels – comme les personnes jouant quelques minutes par jour dans les transports en commun. Malheureusement, quelle que soit la fréquence des sessions, le simple fait de jouer pollue, et les tendances d’évolution du secteur n’augurent rien de bon. Deux innovations en particulier méritent notre attention : la dématérialisation des jeux et le cloud gaming. Révolutionnaires pour le secteur du jeu vidéo mais catastrophiques pour l’environnement, ces évolutions virtuelles ont des conséquences bien réelles sur notre planète.
Dématérialisation et cloud gaming : un pas en arrière pour l’environnement ?
L’évidence voudrait qu’un jeu dématérialisé, que l’on peut donc acheter complètement en ligne sans support physique, consomme moins de matériaux et ait un impact environnemental moindre par rapport à une cartouche ou à un CD de jeu, car il n’y a aucune boîte ou notice. Pourtant, c’est en réalité l’inverse ; la vente d’un disque physique correspond à une émission carbone de 20,82 kg, tandis que la vente d’un jeu dématérialisé via une plateforme (Steam, Epic Games, Origin…) en émet 27,53 kg. Cela s’explique principalement par les besoins supplémentaires d’un jeu dématérialisé au niveau du transfert et du stockage des données. La multiplication des plateformes de jeu comme l’Epic Games Store montre bien cette évolution, puisque c’est sur ce business model du jeu dématérialisé et moins cher à distribuer que capitalisent les entreprises.
Pour pallier un autre problème de l’industrie, qui est la nécessité d’acquérir des machines performantes afin de jouer à certains jeux très gourmands (dont l’exemple parfait est l’échec cuisant de Cyberpunk 2077), de plus en plus d’entreprises du secteur se tourne vers le cloud gaming. Le cloud gaming est le fait de pouvoir jouer à n’importe quel jeu sans rien installer sur votre ordinateur ou console, grâce à un fournisseur qui héberge vos parties sur des ordinateurs surpuissants et vous les retransmet en direct. Les avantages pour les consommateurs et les entreprises sont nombreux : les éditeurs peuvent distribuer leurs jeux à des consommateurs qui ne souhaitent pas investir dans des machines performantes et n’achetaient pas de jeux, tandis que les gamers n’ont plus à se soucier de leur configuration et ont accès à un plus grand catalogue. Seulement, si cette solution profite à la fois aux entreprises et aux joueurs, le bilan pour l’environnement est quant à lui catastrophique. Pour fonctionner correctement, les plateformes de cloud gaming requièrent de larges data centers avec des serveurs très performants, ainsi que des connexions internet rapides (et donc avec une empreinte carbone très importante) pour chaque utilisateur. Dans une étude publiée en juin 2020, 3 chercheurs de l’Université de Lancaster ont montré que si 90% des joueurs adoptaient cette technologie comme principale manière de jouer, l’empreinte carbone de l’industrie augmenterait de 112%.
Une situation en voie d’amélioration : l’importance des communautés de joueurs et de la mobilisation collective
Face à cet impact environnemental conséquent, faut-il aller jusqu’à bannir les jeux vidéo ? La réponse est non.
Tout d’abord, il est important de noter que le problème majeur de l’industrie en ce qui concerne l’environnement est sa consommation excessive d’électricité. Cette consommation est à relativiser, puisqu’elle dépend davantage de la nature de la production énergétique des différents pays. Pour les pays où les énergies vertes ou l’énergie nucléaire ont remplacé les énergies fossiles, l’impact des jeux vidéo est moins important que celui d’autres activités et industries polluantes. Depuis 2008, de grands efforts sont également réalisés par les industriels du secteur afin de réduire la quantité de terres rares dans les composants des différentes consoles et machines. Enfin, en ce qui concerne les jeux vidéo eux-mêmes, il ne fait aucun doute que les studios de développement et les consommateurs sont déjà conscients des enjeux environnementaux ou sociaux. La recrudescence de jeux intégrant les problématiques RSE – souvent par le biais de mondes post-apocalyptiques – illustre bien cette prise de conscience, comme peuvent en témoigner Death Stranding et Horizon Zero Dawn.
En ce qui concerne les conséquences sociales de la production de hardware, qui restent malheureusement peu évoquées, les entreprises doivent adopter un code éthique et des standards plus élevés. Les pousser à réaliser ces avancées passe par la mobilisation des joueurs, qui peuvent faire pression pour de meilleures conditions de production. Ces problématiques sont d’ores et déjà au cœur des réflexions des communautés gravitant autour du jeu vidéo, et ces dernières ont déjà prouvé leur volonté d’agir. Par exemple, à l’occasion du ZEvent, évènement caritatif français créé par ZeratoR et Dach, des streamers avaient récolté 450,000 euros en 2017 pour Médecins sans Frontières. Cette année, c’est plus de 10 millions d’euros qui ont été récoltés pour Action contre la faim, témoignant ainsi de l’évolution exceptionnelle de l’implication des communautés de passionnés du jeu vidéo.
En dépit de décisions d’entreprises qui semblent parfois aller à contre-sens des enjeux RSE, l’industrie des jeux vidéo peut illustrer la montée d’une conscience responsable par l’implication remarquable des communautés de passionnés qui la composent. Grâce à elles, le secteur du jeu vidéo démontre l’impact important que peuvent avoir des personnes se servant de leur passion pour agir en vertu du bien commun.
Par Dylan Cattaneo, membre de Plug’N’Play
Sources :
- Le marché mondial du jeu vidéo pèse plus de 300 milliards de dollars, Arthur Aballéa (BDM, 2021)
- The many ways video game development impacts the climate crisis, Lewis Gordon (The Verge, 2020)
- Consommation électrique des jeux vidéo : game over pour la planète ? (EDF, 2021)
- Why cloud gaming could be a big problem for the climate, Nicole Carpenter (Polygon, 2020)
- Death Stranding’ review: Delivering packages in the post-apocalypse, Jacob Siegal (BGR, 2019)