« Le rôle des médias d’information et de l’industrie audiovisuelle dans la fourniture d’informations fiables et de divertissements revêt une grande importance pour le débat démocratique et la diversité culturelle en Europe. » – Graça Fonseca, ministre portugaise de la culture
Dans l’industrie des médias, on oublie très souvent la place de l’Europe dans la création de contenu et comme objet médiatisé. La France elle-même n’offre qu’une très faible couverture médiatique de la vie publique de l’Union européenne et de l’actualité européenne, alors même qu’elle accueille en son sein un organe créé à cet effet, euronews. Le M est parti à la rencontre de Quentin Ankri, alumni d’emlyon business school et head of project management à euronews, pour cette semaine européenne afin de comprendre plus en détail les rouages de cette chaîne de télévision paneuropéenne, à savoir son histoire et les personnes qui la composent.
Par Carole Zheng
Carole : Bonjour Quentin, pourrais-tu commencer par te présenter ?
Quentin : Bonjour, je m’appelle Quentin Ankri et je suis responsable management de projet chez euronews et plus précisément, chargé du développement du réseau de franchises d’euronews. Après avoir obtenu un bachelor en management des opérations à l’université de Caroline du Nord, j’ai commencé ma carrière en tant qu’entrepreneur, avec déjà une orientation média, en lançant une start-up aux Etats-Unis et une autre au Mexique. Avant de prendre véritablement mes fonctions orientées média au sein de deux entreprises, Natexo, puis au sein d’euronews, j’ai complété ma formation avec un master en business administration à emlyon.
C. Je souhaiterais revenir rapidement sur tes deux expériences entrepreneuriales. Peux-tu nous en dire un peu plus, sur quoi les projets portaient-ils ?
Q. Avec un ami, nous avons conduit un projet de fin d’étude sur le sujet des éoliennes avec pour objectif de repenser leur usage. En retravaillant leur design, nous sommes parvenus au résultat suivant : des éoliennes verticales qui serviraient à pomper l’eau pour alimenter les fermes américaines. Nous avons établi un business plan et réussi à lever plus d’un million de dollars à l’époque. C’était en 2009 ; puis l’entreprise a grandi jusqu’à compter 25 employés. Deux ans et demi après le début de l’aventure, nous avons décidé de vendre notre entreprise à un groupe d’acheteurs spécialisés dans la fourniture d’équipements pour les fermes aux Etats-Unis. Pour ce qui est de l’expérience au Mexique, il s’agissait d’une plateforme en ligne permettant à la population mexicaine d’agréger toute sa consommation énergétique en ligne. La plateforme leur fournit des informations en direct sur leur consommation au moyen de courbes d’utilisation par exemple. Nous leur prodiguions également des conseils pour réduire leur facture d’électricité ainsi que pour déployer des panneaux solaires sur le toit de leur maison.
C. Finalement, quels sont les points communs entre ces expériences et ton poste aujourd’hui à euronews ?
Q. En tant que CEO de la start-up développée aux Etats-Unis ou en tant que directeur marketing pour la plateforme au Mexique, la composante média était omniprésente. Pour lancer une start-up aujourd’hui, on est sur du growth marketing, sur de la création d’audience ainsi que de la création de contenu spécialisé qui leur est destiné. Finalement, j’ai toujours eu un pied dans l’entrepreneuriat et dans les médias. Dans le lancement de produits de type hardware, comme ce fut le cas avec mon projet d’éoliennes, les partenariats médias B2B2C sont essentiels pour faire connaître l’entreprise ; nous avions lancé par exemple un plan de communication national sur tout le territoire américain grâce à des partenariats avec les télévisions locales. Même chose pour le projet de plateforme marketplace au Mexique, nous avions créé du contenu pour deux audiences vraiment ciblées, à savoir les populations qui vivent avec très peu de moyens et les populations à hauts revenus, mais qui cherchent toutes à faire des économies. J’ai souhaité intégrer euronews pour plusieurs raisons : Lyon est une superbe ville, l’industrie des médias est en constant changement et l’industrie de la news fait face à de nombreux défis de diversification pour survivre et se démarquer de la concurrence. La cellule de diversification à euronews a été créée dans cette optique.
Focus euronews
Euronews, bien que le siège social soit implanté à Lyon, est né d’une initiative 100% européenne pour offrir une couverture médiatique européenne à une époque où le monopole du CNN (Cable News Network), la première chaîne 24/7 et qui plus est, américaine, s’appesantissait. Il faut remonter aux années 90, lorsque tous les yeux étaient tournés vers le Moyen-Orient où avait lieu la première guerre du Golfe. Le monde entier ne voyait finalement qu’à travers la fenêtre offerte par le CNN. L’Union européenne a décidé de réagir ; Bruxelles a demandé à plus d’une dizaine de diffuseurs européens comme France Télévisions de s’unir pour créer une chaîne d’informations européennes afin de renforcer l’identité et l’intégration européenne. De cette initiative est né euronews, pour apporter initialement un regard européen sur le conflit au Moyen-Orient. Lyon a remporté l’appel à projet pour accueillir cette nouvelle structure face à des villes européennes comme Francfort, Bruxelles et Valence, dans une volonté de décentraliser les organes de pouvoir jusqu’alors concentrés à Bruxelles et Strasbourg. Rappelons que Michael Peters, ancien diplômé d’emlyon, est aujourd’hui le PDG d’euronews ! Euronews se différencie dans le paysage des news par son impartialité et sa perspective européenne.
C. Euronews est né d’une initiative de l’Union européenne et est financé, du moins en partie, par l’UE. Le danger est la révocation de l’impartialité et la neutralité, cela questionne bien évidemment le contrôle, le droit de regard et de relecture de la part des gouvernements à travers la Commission européenne. Comment cela se passe-t-il concrètement ?
Euronews compte aujourd’hui 25 actionnaires dont Média Global Network, actionnaire principale avec 88% des parts détenues ; les acteurs publics détiennent quant à eux les 12% de parts restantes. L’indépendance d’euronews est auditée chaque année par la Commission européenne via un organisme spécialisé l’Osservatorio di Pavia, et ce, depuis 1993, dans le cadre du contrat qui lie euronews à l’Europe. En effet, la Commission européenne externalise une partie de sa production de contenu sous forme de commandes passées auprès d’entreprises comme euronews pour couvrir l’actualité européenne. L’intégrité éditoriale et l’impartialité du journaliste restent l’objet de notre entreprise : les journalistes rejoignent euronews car ils partagent cet esprit européen et ont les mêmes valeurs d’indépendance. On se bat tous pour redonner un maximum de poids à l’Europe face aux géants sur la scène de la news et qui ont parfois des budgets 2 à 4 fois plus gros que le nôtre, ce qui nous demande de redoubler d’effort et de créativité. L’industrie de la news ne se positionne pas sur un modèle de rentabilité, ne nous leurrons pas, nous sommes presque sur une mission de service public !
C. Euronews est un projet européen. Comment la dimension européenne se reflète-elle dans ce projet mis à part l’implémentation de locaux euronews un peu partout en Europe ?
Q. Les locaux lyonnais d’euronews accueillent tous les jours près de 400 personnes qui représentent 30 nationalités. Nous diffusons 9 chaînes de télévision en direct et créons du contenu pour nos plateformes digitales en plus de 15 langues, notamment en arabe, en anglais, en français, en allemand, en grec, en hongrois, en italien, en perse, en portugais, en russe, en espagnol et en turc. Tous les matins à 9h les 12 rédacteurs en chef de différentes nationalités se réunissent pour discuter des sujets qui composeront les bulletins d’euronews. Ils s’engagent tous à déployer un journal avec du contenu commun à toutes les éditions puis propre à la région qu’ils représentent. D’abord l’actualité européenne dite obligatoire à savoir les sujets qui seront traités dans les 15 langues, ensuite on retrouve les sujets dits régionaux puis viennent les sujets locaux. L’identité européenne d’euronews réside dans cet angle européen véhiculé à travers les journaux télévisés et les contenus en ligne qui découlent de ces réunions de rédaction.
C. Faisons maintenant un focus sur tes missions en tant que head of project management. Pourrais-tu nous détailler tes missions ?
Q. Euronews a capitalisé pendant longtemps sur deux sources de revenus principales : la publicité télévision et la production de contenu. Dans le cadre de la chute du marché publicitaire télé paneuropéen, et du développement du marché publicitaire digital, euronews a opéré une transformation digitale pour capter les revenus sur ce nouveau modèle. Dans le cadre de cette transformation, s’est posée la question stratégique de la diversification des revenus d’un média qui a plus de 25 ans à partir de ses propres forces. À la suite de cette analyse stratégique, il en est ressorti 3 actifs sur lesquels nous avons décidé de capitaliser : la marque, les contenus et l’expertise. De là est née la stratégie de franchises : fournir un package clé en main à des partenaires médias à travers le monde pour leur permettre d’ouvrir leur média d’information sous la marque euronews. Le rôle du département projet à euronews est d’intégrer ces nouvelles chaînes dans le réseau euronews en 3 étapes : (1) mettre en place la stratégie et le planning de ces médias d’information, (2) livrer ces médias, à savoir aider les équipes locales à mettre en place les projets de A à Z et enfin (3) maintenir le réseau et le faire fonctionner. Mes missions s’installent dans cette dynamique de projet. Finalement, nos missions se découpent en deux temps : une partie lancement de média et une partie gestion de média. Nous avons 5 chaînes franchisées nouvellement créées depuis 2 ans et depuis mon arrivée : euronews Albanie, euronews Géorgie, euronews Serbie, en 2022 euronews Bulgarie et euronews Roumanie.
On crée des ponts entre l’Europe et ces nouveaux pays pour renforcer leur sentiment d’appartenance à un tout et leur ouvrir l’actualité d’autres pays et inversement, permettre à l’Europe d’avoir une fenêtre d’information dans ces pays. Le PDG d’euronews, Michael Peters, est un ancien d’emlyon et il nous donne une grande marge de manœuvre pour piloter ce grand projet. On estime que le programme de franchise devrait représenter 25% des revenus dans les 5 années à venir alors qu’il représentait 0% il y a 3 ans.
Ce que je trouve passionnant dans mon métier, c’est la création d’une stratégie de A à Z, de partir d’un terrain vierge, de m’atteler sur les plans de la structure, avec un aspect très stratégique mais également son versant opérationnel, avec l’implémentation de la stratégie, le point d’audit financier, puis, bien entendu, la collaboration avec mes équipiers. C’est à ce moment que ma passion pour l’entrepreneuriat et les médias s’exprime. Les années passées à emlyon prennent tout leur sens lorsque les outils de management et de stratégie travaillés au cours de la formation sont réinvestis pour s’emboîter parfaitement dans un même projet.
C. Si un étudiant souhaite intégrer l’univers des médias – et peut-être plus précisément euronews – quels conseils lui donnerais-tu ?
Chez euronews, nous sommes à la recherche de deux types de profils : (1) business intelligence et business development – la personne se grefferait à l’équipe menée par Clément Guillaume, sur l’analyse stratégique de marché, l’identification des partenaires, la négociation, le pricing, et la partie business plan et (2) des profils pour intégrer la cellule Project management sur la partie planning, delivery de stratégie et management. Pour s’y préparer, il faut venir avec les bases en tête : les évolutions et changements dans l’industrie des médias, les attentes des différentes audiences, les nouvelles formes de communication, etc. Ce sont beaucoup de qualités que les étudiants d’emlyon ont. Aujourd’hui, nous sommes 6 employés issus d’une formation d’emlyon. Nous accueillons avec plaisir les étudiants de manière régulière ! N’hésitez pas à nous contacter ou en tout cas à postuler lorsque vous voyez une offre !
Un grand merci à Quentin Ankri pour cet entretien très riche et surtout, passionnant !
Quentin Ankri anime avec Clément Guillaume un électif extrêmement riche sur le media management ouvert à toutes les personnes intéressées par ce secteur que ce soit pour y construire une carrière professionnelle ou tout simplement pour acquérir des connaissances dans le secteur – et on ne le dit pas assez, par curiosité également. Alors n’hésitez plus, prenez-le !