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Une histoire des chaînes de Ponzi

Charles Ponzi, un Américain d’origine italienne, est le premier à avoir organisé une fraude dont le principe porte aujourd’hui son nom. En 1919, il met en place à Boston un montage financier reposant sur un schéma relativement simple : Ponzi attire les investisseurs en leur promettant un intérêt de 40% en 90 jours (chose bien sûr impossible à réaliser, même pour un trader de génie) grâce à de supposées spéculations sur les coupons-réponses internationaux. En réalité, aucune valeur n’est créée : Ponzi n’investit pas un centime de l’argent qu’on lui donne, et se contente de verser les intérêts des épargnants les plus anciens avec les fonds apportés par les nouveaux entrants. Il prélève de confortables commissions, justifiées au vu des rendements versés, qui font de lui un millionaire en quelques mois seulement.

Charles Ponzi, pionnier de l’escroquerie

Le problème de cette « chaîne » de Ponzi, comme toutes celles qui s’en inspireront par la suite, est que pour subsister elle doit sans cesse attirer toujours plus de nouveaux clients pour rémunerer les anciens, eux-mêmes de plus en plus nombreux, et les convaincre de ne pas retirer leur argent du prétendu fonds d’investissement. Ceci bien sûr, ne peut durer éternellement et inévitablement l’escroquerie est dévoilée au grand jour en août 1920 : 40 000 personnes, ayant investit un total de 15 millions de dollars, se retrouvent flouées et ne récupèrent au final qu’un tiers de leur mise initiale.

Charles Ponzi est emprisonné, mais cela n’empêche pas d’autres escrocs de reprendre à leur compte son système, et d’arnaquer à leur tour des épargnants appâtés par la promesse de gains rapides et impressionnants, pour des sommes qui dépasseront largement celles extorquées par Ponzi.

 

Rien n’aurait pu laisser présager que Bernard Madoff était un escroc et que sa société Bernard L. Madoff Investment Securities LLC était une immense chaîne de Ponzi. Entrepreneur autodidacte et visionnaire, ancien président du NASDAQ (le plus grand marché éléctronique d’actions au monde), membre très actif de la National Association of Securities Dealers, chargée d’assurer la régulation de la bourse (remarquez l’ironie) et enfin père de famille exemplaire, engagé dans une multitude de projets caritatifs : tout chez « Uncle Bernie » inspire confiance. Pourtant il est bel et bien l’auteur de l’escroquerie la plus incroyable de l’histoire : 65 milliards de dollars, extorqués à des clients prestigieux, allant de ses voisins millionaires de Palm Beach ou des Hamptons à des personnalités telles que Liliane Bettencourt ou Steven Spielberg, mais aussi des banques prestigieuses dont notamment HSBC, Santander ou encore BNP Paribas.

Bernie les a tous bernés.

Le succès de son escroquerie tient à plusieurs facteurs : tout d’abord bien sûr le rendement inédit et constant de 17% par an promis aux épargnants du hedge fund. Ensuite, la crédibilité dont jouit Madoff du fait de ses réussites passées et des postes prestigieux qu’il a pu occuper : même parmi ses investisseurs les plus avisés, on se dit que sa réussite incroyable tient à des informations confidentielles qu’il obtiendrait avant l‘ouverture des marchés, de la part de ses relations haut placées. Cela rendrait Madoff coupable de délit d’initié, mais parmi les épargnants on se garde bien d’en parler pour ne pas tuer la poule aux œufs d’or. Enfin, les règles très exigeantes de cooptation instaurées par Madoff contribuent à ce que les membres de son « club » d’investisseurs se sentent privilégiés, comme faisant partie d’une élite à la fois financière (il faut investir un minimum de 1 million de dollars pour entrer) et sociale : certains sont prêts à tout pour être cooptés, et peu importe si Madoff reste très opaque quant à ses activités et à la manière dont il fait fructifier l’argent de ses clients. Pour satisfaire les plus curieux, il suffit à Bernard de prétexter vouloir se prémunir d’éventuelles copies de sa stratégie magique d’investissement. S’ils continuent à poser des questions, il n’hésite pas à les éjecter du fonds, même s’ils sont d’importants clients. Pour les investisseurs, Madoff produit malgré tout de faux relevés de compte mensuels, très réalistes, qui décrivent des transactions fictives avec des sociétés réelles, sur la base des cours du moment, et censées expliquer les profits faramineux qu’il dit réaliser.

Bien que son plan soit extrêmement bien rodé, la nature pyramidale de la fraude de Madoff fait que comme toutes les autres escroqueries du genre, elle s’effondre du jour au lendemain. En décembre 2008, un an après le début de la crise des subprimes, les marchés financiers s’effondrent, la confiance s’effrite, et de nombreux épargnants souhaitent retirer leurs fonds de la société d’investissement de Madoff : il doit trouver 7 milliards de dollars d’ici la fin du mois, alors qu’il ne dispose que de quelques centaines de millions de dollars. La tâche est bien sûr impossible, d’autant plus que dans un contexte financier aussi dramatique, ce n’est pas la peine d’espérer attirer de nouveaux souscripteurs. Madoff est finalement arrêté le 11 décembre 2008, et son escroquerie éclate au grand jour. La confiance du public en la finance en prend un nouveau coup. Les grosses fortunes ayant directement investi chez Madoff ne sont pas les seules à être touchées : des milliers d’Américains de la classe moyenne perdent également toutes leurs économies, car l’argent de leur caisse de retraite s’est évaporé. Les autorités de régulation des marchés telles que la SEC (Securities and Exchanges Commission) sont accusées de ne pas avoir fait leur travail, alors notamment qu’un analyste financier du nom de Harry Markopolos les a déjà alerté sur Madoff dès 1999 : en s’appuyant sur les mathématiques, il a démontré que le niveau de profit du hedge fund de Madoff était littéralement inatteignable, compte tenu des déficits fréquents des indices boursiers sur lesquels il prétendait investir l’argent de ses clients.

Si l’on peut trouver une conséquence positive à cette escroquerie, c’est qu’elle a incité la SEC à améliorer ses systèmes de surveillance et ses méthodes de détection des fraudes : le nombre de chaînes de Ponzi dans le domaine de la finance ne cesse de diminuer, et celles-ci sont démasquées de plus en plus tôt, limitant ainsi le nombre de victimes et les fonds perdus.

 

Toutefois, la finance n’est pas le seul secteur touché par les systèmes pyramidaux de Ponzi. Ces chaînes se développent également dans des technologies récentes et notamment les crypto-monnaies. L’une d’entre elles, le BitConnect, a atteint 2,5 milliards de dollars de capitalisation, avant, comme les autres pyramides de Ponzi, de s’effondrer du jour au lendemain : la plateforme a brusquement fermé ses portes le 16 janvier dernier, laissant des milliers d’investisseurs, souvent modestes, complètement lésés.

Vitalik Buretin, le créateur d’Ethereum, une autre crypto-monnaie, alertait dès novembre 2017 sa communauté Twitter du caractère frauduleux du BitConnect.

Le fait que la plupart des investisseurs soient des non-initiés explique justement en partie la réussite de la plateforme. En effet, celle-ci comportait pourtant tous les éléments d’une arnaque, et nombreux sont les experts qui ont dès le départ ont parlé d’une grotesque escroquerie. Tout d’abord, la rente promise par BitConnect était ridiculement élevée : plus d’1% de rendement par jour, soit 40% par mois, ce qui avait directement amené des figures de la communauté des crypto-monnaies, telles que Vitalik Buterin ou Jameson Lopp, à affirmer avec certitude que BitConnect était une chaîne de Ponzi. Ensuite, les vidéos promotionnelles et les conférences douteuses de BitConnect, ressemblant plus à des réunions de sectes qu’à de véritables assemblées d’investisseurs sérieux, n’incitaient clairement pas à mettre son argent sur la plateforme. Enfin, un système de parrainage et d’affiliation ultra-avantageux, offrant 7% de commission au parrain de chaque nouvel investisseur BitConnect, laissant deviner que l’entreprise avait impérativement besoin d’obtenir de nouveaux investissements et ce très régulièrement, signe qu’elle reposait sur un système pyramidal.

Le logo de bitconnect.

De nombreux influenceurs issus de Youtube ou Twitter se sont notamment empressés de vanter les rendements incroyables de BitConnect auprès de leur communauté, espérant les convaincre d’investir et ainsi obtenir de juteuses commissions. En définitive, cette méthode fut payante, puisque c’est par le biais des influenceurs que BitConnect a attiré la majorité de ses investisseurs, souvent des internautes qui accordaient une confiance un peu trop aveugle aux gourous numériques des crypto-monnaies. Ils s’en mordent maintenant les doigts.

Carlos Matos, a.k.a. « BitConnect Guy », est devenu un même sur les réseaux sociaux après une performance de chauffeur de salle un peu trop zêlée.

En Chine, de plus en plus d’escrocs répliquent le système crée par Ponzi il y a maintenant un siècle. Dans un pays en pleine transition numérique, où les mesures de régulation sont plutôt faibles (bien que la Chine soit toujours officiellement un pays communiste), la finance en ligne offre de formidables nouveaux espaces d’escroquerie : le site de prêt en ligne Ezubao a réussi entre sa création en 2014 et sa chute en 2016 à accumuler 7,6 milliards de dollars auprès d’1 million d’épargants chinois, appâtés par les rendements pouvant aller jusqu’à 15% par mois. Signe du laxisme des autorités vis-à-vis des fraudes, l’entreprise avait obtenu un certificat d’ « entreprise responsable », émanant des autorités, alors que les publicités vantant les mérites du site étaient omniprésentes sur les panneaux publicitaires des grandes villes et dans les spots de la chaîne de télévision d’Etat CCTV. La réussite de ces fraudes, qui se multiplient en Chine, tient en grande partie au ralentissement de l’économie, à la dégringolade boursière, à la stagnation de l’immobilier et aux rendements bancaires décevants. Businessmen comme épargants ont beaucoup plus de mal à générer des profits, ce qui incite les premiers à se reconvertir en escrocs, et les seconds à investir dès que l’on leur promet des rendements alléchants.

Manifestants réclamant la libération des fondateurs de Shan Xin Hu, l’organisation dont ils font partie. Il a pourtant été prouvé que celle-ci reposait sur une chaîne de Ponzi.

On constate également l’apparition de chaînes de Ponzi s’inspirant de méthodes utilisées par les sectes, pour mieux conditionner leurs cibles et les inciter à s’investir dans l’escroquerie : on y est souvent « recruté »  par un membre de sa famille ou un ami, lui-même déjà arnaqué sans le savoir, qui nous convainc d’aller suivre une « semaine de formation intensive », qui se révèle en réalité être une longue cession de brainwashing, où l’on va tenter de persuader la cible que l’entreprise est bienveillante, et qu’il faut travailler pour elle, pour son bien et pour celui de sa famille. En effet, une fois la victime enrôlée, c’est-à-dire après qu’elle ait payé ses « frais d’entrée » dans l’organisation, elle se rend au travail chaque jour, persuadée d’être salariée, alors qu’en réalité son entreprise ne vend rien et ne crée aucune valeur : comme dans toute pyramide de Ponzi, les salaires mensuels ne sont versés que grâce aux frais d’inscription des nouveaux membres.

On estime que 10 millions de Chinois sont piégés dans ce genre d’escroquerie, pour un total de 1,5 milliards de dollars de fonds extorqués. Ces arnaques commencent à attirer l’attention des autorités, moins parce qu’elles ruinent des millions de Chinois que parce qu’elles comportent une phase d’endoctrinement visant à faire adhérer des citoyens à des organisations qui les détournent de la loyauté qu’ils doivent au Parti.

Finalement, il apparaît que les chaînes de Ponzi sont comme l’Hydre de Lerne : coupez la tête d’une entre-elles, et dix nouvelles repousseront à la place, dans des secteurs toujours nouveaux, comme nous avons pu le voir avec les crypto-monnaies, et avec des méthodes toujours plus élaborées. Elles se reproduiront tant qu’il existera des investisseurs trop aveuglés par l’appât du gain pour voir que les rendements promis sont trop importants pour provenir d’une activité économique conventionnelle, trop grisés par les profits à l’horizon pour se rappeler que « les arbres ne montent pas jusqu’au ciel ».