Aujourd’hui, l’ensemble des secteurs effectuent leur mue afin d’intégrer les critères ESG (critères sociaux, environnementaux et de gouvernance) à leurs modes de pensée et d’action. La finance n’y fait pas exception. À travers cet entretien Armand de Vaugelas nous éclaire sur les transformations qui traversent ce secteur.
Par Samuel Bellemare, rédacteur chez Verbat’em
La finance durable : un secteur d’avenir
Bonjour Armand, pourriez-vous commencer par vous présenter brièvement et nous parler de votre parcours ?
Je suis diplômé du Master Entrepreneuriat et Management de l’Innovation de emlyon business school. Suite à cela, j’ai commencé ma carrière professionnelle à Paris dans le conseil en stratégie puis dans le conseil en management. Finalement, en 2017, j’ai intégré KPMG Luxembourg en tant que manager et c’est à ce moment-là que je me suis spécialisé en finance durable.
Pourquoi avoir choisi le secteur de la finance durable ?
Ce sont tout d’abord des raisons personnelles qui m’ont poussé à intégrer le secteur de la finance durable. Je voulais donner plus de sens à mon métier tout en étudiant des problématiques similaires à celles que j’avais déjà abordées. Le second élément qui m’a amené vers ce secteur est le besoin d’accompagnement des acteurs économiques. On a assisté ces dernières années à une forte croissance de la demande de nos clients qui font face aujourd’hui à deux formes de pressions. Une première pression vient de leurs propres clients qui s’écartent des activités polluantes et privilégient des investissements verts. La deuxième pression provient d’une contrainte réglementaire liée à la mise en place de normes européennes, telles que la SFDR (Sustainable Finance Disclosure Regulation), pour respecter les accords de Paris signés en 2015 et rediriger les flux financiers vers des activités plus durables. Cette astreinte est d’autant plus importante qu’elle est amenée à fortement se renforcer dans les années à venir.
Au niveau national, l’offre de formation en lien avec la thématique RSE reste-elle encore insuffisante selon vous ?
En termes de formation, j’ai davantage un point de vue européen que national. On a pu voir que plusieurs initiatives ont été mises en place comme à la Cambridge University ou à la Frankfurt School of Finance & Management. De nombreux professionnels de la finance, y compris les plus expérimentés, ont obtenu des certifications ou ont effectué des formations pour développer leurs connaissances en finance durable. Ils ont compris qu’on ne pouvait pas faire abstraction des facteurs ESG. Bien sûr, à part si on est passionné, il n’est pas obligatoire de se concentrer uniquement sur ce pan de la finance. Cependant, je recommande vivement aux étudiants qui veulent travailler en finance de s’intéresser à ce sujet. En raison du contexte que j’évoquais précédemment, on a besoin de bien plus que de simples notions de base. Il nous faut de réelles connaissances. En ce sens, je pense que l’ajout d’heures de cours liées à la finance durable est indispensable.
Des clients aux profils et préoccupations variés
On le sait, le développement durable est l’affaire de tous. Mais quel type de profils accompagnez-vous ?
On accompagne beaucoup d’institutions européennes, telles que la Banque Européenne d’Investissement, qui montrent la voie depuis plusieurs années.
Le deuxième profil client que l’on rencontre énormément ce sont les assets managers. Pour la plupart, ils se sont déjà intéressés au sujet et disposent de connaissances. Ils ont surtout besoin d’assistance sur de l’expertise très technique. Ils peuvent également faire appel à nous pour la mise en place de leur vision stratégique. La réglementation qui se développe est une de leurs nouvelles préoccupations. Ils veulent s’assurer qu’ils ont bien compris ce que la législation exige d’eux.
Finalement, on accompagne les banques et les assurances. Le changement est plus lent dans ces secteurs car elles ont jusqu’ici été touchées dans une moindre mesure par les changements légaux. Cependant, cela est amené à changer avec les nombreuses réglementations à venir.
Est-il aujourd’hui véritablement rentable pour une PME de se fixer des objectifs environnementaux ambitieux ?
La question des PME est un peu différente de celles que nous traitons généralement chez KPMG Luxembourg. En effet, nous nous occupons essentiellement de grands groupes. Pour autant, je pense, que de manière générale, une PME qui a la volonté de se fixer des objectifs ambitieux en termes de critères ESG peut assurément y arriver. Leurs caractéristiques font qu’elles ont une plus grande agilité que les grands groupes qui peuvent, eux, prendre parfois davantage de temps pour s’adapter. Je reconnais cependant que le changement peut être plus difficile dans certains secteurs . On peut trouver des secteurs particuliers, où du fait même de leurs activités, les PME peuvent supporter des coûts et des contraintes plus élevés ce qui va ralentir leur transition vers un mode de production plus durable.
Quelles sont les principales préoccupations des entreprises quand elles s’adressent au sustainability service de KPMG Luxembourg ?
Tout dépend des profils. Certains clients sont initialement plus engagés et peuvent parfois être à la pointe sur ces questions en raison de leur conviction profonde. Ceux-là vont demander de fait des analyses ou des recommandations plus précises et techniques. C’est la première catégorie de clients que nous avons pu identifier. Les deux autres sont les clients hésitants, qui ont finalement sauté le pas avec les changements réglementaires, et ceux réticents, uniquement orientés profits qui continuent à penser que l’application de critères ESG est synonyme de sous-performance financière. Les analyses ont pourtant montré que cette équivalence était fausse. Les investissements guidés par des critères ESG ont des résultats aussi bons voire meilleurs que ceux qui les délaissent.
Une importance réaffirmée
Souvent, des liens ont été tissés entre pandémie de Covid-19 et développement durable. Qu’en est-il de KPMG Luxembourg ? Quelle a été l’influence de cette crise sur l’activité de votre service ?
On a assisté à l’émergence d’un nouveau modèle. Avec la pandémie et les confinements successifs, les individus ont pu voir les effets de leurs activités sur la nature; la conséquence directe de la réduction du trafic aérien ou routier par exemple. Tout cela, couplé aux évolutions législatives, fait que beaucoup de clients se sont intéressés au sujet. À tel point que nous avons dû agrandir notre équipe pour faire face aux flux croissants de clients et de nouvelles demandes. On s’attend à ce que ce phénomène prenne de l’ampleur.
Quel rôle la finance doit-elle jouer dans la transition écologique ? Un rôle d’impulsion ou d’accompagnement ?
Il est indéniable que la finance a un rôle à jouer. J’en suis intimement convaincu. J’irai même jusqu’à dire que l’atteinte de l’ensemble des objectifs de développement durable fixés à l’échelle nationale ou internationale, suite aux différents sommets, ne pourra se faire sans la finance. La finance a un véritable rôle d’impulsion et un impact potentiel fort. Il faudra tout de même accélérer le mouvement. Il faut intensifier les efforts pour répondre aux besoins futurs et éviter les risques de greenwashing ; c’est la conclusion de la dernière COP 26 à Glasgow et le but des nouvelles réglementations. Et tout cela n’est que le début !
Nous arrivons au terme de notre entretien. Un mot de fin ?
Dans le secteur de la finance, les critères ESG occupent une place de plus en plus importante. En tant que membre de l’Union Européenne nous avons la chance d’être à la pointe en termes de finance durable. Nous disposons d’un réel leadership à tel point que mes collaborateurs aux États-Unis, en Chine et ailleurs se servent des actions de l’Union Européenne comme référentiel de ce qui peut être fait. Je terminerai sur ce point : la finance durable est un sujet passionnant et je pense qu’il faut s’y intéresser, sans nécessairement s’y spécialiser.