Il est impensable aujourd’hui de restreindre le rayonnement d’une école uniquement à son pays ou à sa région. Pour ce quatrième article d’Au cœur de Confluence 2025, nous avons interviewé Nicolas Péjout afin de décrypter les ambitions de l’école à l’international. Vous avez bien évidemment entendu parler du campus de Mumbaï ouvert récemment en Inde, mais les projets de l’école ne s’arrêtent pas qu’aux campus à l’étranger. Nous vous en disons plus dans cet article.
Peut-on faire un point sur votre rôle au directoire d’emlyon et vos missions ?
Lorsqu’Isabelle Huault était présidente de l’Université Paris-Dauphine, j’étais directeur général des services dans le même établissement, c’est-à-dire chargé de l’exécution de la stratégie au sein des équipes dites administratives. Nous avons donc déjà travaillé ensemble – de manière assez efficace, me semble-t-il ! J’étais également très intéressé par le projet dessiné par Isabelle Huault, projet qui est devenu par la suite le plan stratégique Confluences 2025. Ayant travaillé à Sciences Po puis à Dauphine, je souhaitais désormais me plonger dans le monde des écoles de commerce. Finalement, tous les éléments étaient alignés et je suis désormais membre du directoire d’emlyon business school. Mes missions sont très diverses, cela va de superviser la stratégie, i.e. m’assurer de l’exécution du plan stratégique publié récemment et contribuer à l’adapter à la réalité du terrain et des opportunités, jusqu’à la gestion du cabinet, c’est-à-dire gérer les relations institutionnelles avec les acteurs externes, hors entreprises, et en passant par les fonctions internationales, digitales, juridiques, financières et immobilières, sans oublier le projet de nouveau campus à Gerland.
Partie 1 : emlyon et l’international
En quoi la stratégie internationale d’emlyon est-elle singulière ?
« À emlyon nous avons près de 190 partenaires et 4 campus à l’étranger. »
Prenons quelques exemples d’écoles de commerce françaises. HEC n’a pas de campus à l’étranger ; ils ont cependant de nombreux partenaires d’échange académique ainsi que de nombreux doubles diplômes internationaux. Skema, elle, a de nombreux campus internationaux mais moins de doubles diplômes. L’EDHEC a, elle, noué des relations très étroites avec certains partenaires dans le cadre de son alliance FOME. À emlyon, nous avons près de 190 partenaires et 7 campus physiques, dont 4 à l’étranger ; nous marchons sur nos deux jambes. Les deux modèles – campus et partenariats – sont extrêmement complémentaires. Par ailleurs, à emlyon, nous avons pris le parti de mettre l’accent sur les pays dits « émergents ». Pourquoi ? Les besoins en éducation et formation sont immenses et la concurrence entre établissements est – pour l’instant – moins rude dans de telles régions qui connaissent une dynamique démographique, sociale et économique très intéressante. Nous envisageons d’installer un campus en Amérique latine dans quelques années.
Quelle est la place de la France dans la stratégie de l’école ?
La place de la France est très importante dans la stratégie de l’école puisque, en plus d’être le point d’ancrage territorial originel de l’école, elle recouvre un pan d’activités d’emlyon extrêmement large en termes de nombre d’étudiants et de nombre de professeurs-chercheurs présents sur les campus. On compte trois campus en France : Lyon, Saint- Étienne et Paris. Nous souhaitons créer un maximum de liens entre tous les campus d’emlyon, notamment via des parcours d’études et des événements qui réunissent les étudiants des différents campus. Un autre objectif est de localiser les bonnes formations au bon endroit. Par exemple, actuellement le BBA emlyon est présent à Paris et à Saint-Étienne mais ne l’est pas à Lyon, alors que Lyon est, pour nombre d’écoles de commerce même non lyonnaises, un espace attractif. C’est pourquoi nous allons réduire le nombre de places de BBA à Paris, pour les recentrer à Lyon à partir de la rentrée 2022.
La France est aussi une marque d’excellence reconnue à l’échelle internationale (éducation, santé, infrastructures, art de vivre…) ; nous devons donc nous appuyer sur elle comme tremplin pour accélérer à l’international.
Pourquoi développer de multiples campus à travers le monde ?
La priorité est de s’assurer que les campus existants continuent de bien fonctionner et de se développer. Chaque campus a des besoins très spécifiques du fait de son historique, des populations étudiantes et professionnelles locales, et des réglementations propres au pays d’implantation. Le campus de Shanghai, le plus ancien, ouvert en 2010, est une société de droit chinois. Celui de Casablanca, ouvert en 2015 s’appuie sur une société et une fondation, tandis que pour le campus de Mumbaï, dont l’ouverture a été annoncée récemment, nous démarrons grâce à une implantation au sein du campus de Xavier College Mumbai.
Jusqu’à cette année, l’école fonctionnait parfois beaucoup trop en silos – comprenez, « chaque campus dans son coin » – et nous organisons désormais des réunions avec les directeurs de campus pour construire ensemble des plans sur les mobilités afin de les fluidifier au maximum et qu’in fine les étudiants voient une continuité dans leur parcours – service et qualité de cours – d’un campus à un autre, même si l’expérience de vie est, bien heureusement, totalement différente.
Les avantages d’avoir des campus à l’étranger sont multiples :
- Faciliter la mobilité étudiante : nous pouvons facilement imaginer qu’un étudiant du BBA puisse se rendre sur les campus de Chine, d’Inde et du Maroc sur ses quatre années d’étude par exemple ;
- Créer des programmes locaux spécifiques au territoire pour les étudiants, ou les professionnels dans le cadre de l’Executive Education ;
- Recruter plus facilement des étudiants internationaux, qui peuvent être amenés à continuer leurs études en France ;
- Participer au rayonnement international de l’école, en ayant un ancrage territorial qui nous légitime, et en s’appuyant sur notre dense réseau d’alumni à l’international ;
- Maîtriser pleinement la qualité pédagogique pour proposer des parcours cohérents et personnalisés aux étudiants dans une dynamique inter-campus.
En effet, lorsqu’un étudiant est sur un campus emlyon, nous pouvons garantir une cohérence dans la maîtrise des opérations et des cours, là où c’est moins facile avec un partenaire. Nous pouvons aussi décider de manière autonome de créer un parcours international, sans avoir à négocier avec des partenaires qui pourraient ne pas être d’accord sur les modalités d’admission des étudiants.
Comme dit plus haut, pour les prochains campus, nous visons des zones dites émergentes et cela, parce que les opportunités de croissance – économique et démographique – dans ces pays sont importantes et que le marché dans les pays dits développés est assez saturé. Notre attention se porte aujourd’hui sur l’Amérique latine, ce qui ne nous empêche pas de développer des partenariats académiques et des doubles diplômes avec des établissements prestigieux en Europe, en Amérique du Nord ou en Asie ! Après avoir identifié la zone d’intérêt, il faut ensuite identifier le pays suivant de nombreux critères, puis le format d’implantation (partenariat, construction d’un campus…).
“Amérique latine, Afrique, Asie : notre ancrage repose sur une internationalisation en réseau.”
Pourquoi ouvrir un second campus en Inde ?
À Bhubaneswar, l’école s’est développée sur le thème du sport, sujet qui est très important en Inde, le sport étant un axe stratégique d’emlyon en plus d’être particulièrement bien ancré dans l’État d’Odisha comme levier de développement. Mumbai est la capitale économique du pays, l’endroit où nous devions absolument nous installer et où nous pouvons développer des activités plus génériques sur toutes les thématiques que nous maîtrisons (stratégie, marketing, entrepreneuriat, innovation …) en nous adaptant aux besoins locaux ; par exemple en mettant l’accent sur l’entrepreneuriat social
La direction précédente évoquait l’Afrique comme un axe de développement indispensable de l’école, quel est votre avis sur la question ?
L’Afrique reste un axe de développement primordial pour l’école et nous avons identifié des pays à très fort potentiel avéré et à venir, avec des critères différents, là où la demande est forte malgré un pouvoir d’achat local parfois faible. Toutefois, les bailleurs de fonds peuvent financer des bourses pour les jeunes. Les relations historiques entre la France et certains pays peuvent faciliter la mise en contact, avec une langue commune, un système juridique proche et quasiment le même fuseau horaire, ce qui facilite les formations en ligne synchrones. Cette stratégie de développement n’est pas exclusive à l’Afrique. Amérique latine, Afrique, Asie : notre ancrage repose sur une internationalisation en réseau.
Comment emlyon choisit-elle ses partenaires universitaires ?
Nous utilisons 3 critères objectifs et un critère plus subjectif.
Nous nous concentrons d’abord sur la qualité académique du partenaire – nous ne travaillons qu’avec des établissements ayant au moins une des accréditations AMBA, AACSB et EQUIS. Le deuxième critère repose sur le contenu pédagogique proposé par le partenaire. Le troisième concerne la localisation du partenaire, toujours dans l’optique de continuer à diversifier l’offre d’emlyon dans les pays où l’école n’a pas encore d’implantation ou dans les pays en fort développement.
Ensuite, nous faisons attention à l’intérêt des étudiants, car il s’agit de travailler avec des partenaires qui plaisent et donnent envie aux étudiants. Sylvie Jean a en effet eu des échos très utiles au cours de ses déplacements dans les classes préparatoires en France et nous écoutons la voix des étudiants dans notre analyse des prochains partenariats à signer.
Nous nous appuyons également sur le réseau de notre faculté pour pouvoir atteindre certaines écoles et leur proposer ainsi des échanges et des doubles diplômes : 46% de la faculté est composée de professeurs-chercheurs internationaux.
Nous souhaitons développer des doubles diplômes français et internationaux ; nous en avons prévu au moins 30 à l’international dans le plan stratégique. Pour ceux et celles qui n’ont pas la possibilité ou ne souhaitent pas faire un double-diplôme ou aller sur un campus emlyon à l’étranger, nous sommes également en train de développer de nouveaux partenariats pour des échanges académiques internationaux de 6 à 12 mois.
Pour ce qui est du corps professoral, en développant les offres et les programmes, il faut augmenter mécaniquement la force académique sans quoi le ratio d’encadrement – qui est très suivi pour s’assurer de la qualité d’un programme – se dégrade. C’est pourquoi emlyon va recruter 10 professeurs-chercheurs net par an sur 5 ans pour les campus français et internationaux.
Partie 2 : Alumni
Pouvez-vous nous éclairer sur le rôle des alumni auprès de l’école ?
Nous avons mis en place une direction Advancement & alumni relations qui est chargée d’animer le lien entre alumni et l’école, et de piloter le fundraising. La levée de fonds a un objectif prioritaire : renforcer la diversité sociale du corps étudiant via l’attribution de bourses étudiantes, en lien avec la Fondation de l’école désormais présidée par Philippe Klocanas, diplômé d’emlyon. Cette nouvelle direction travaille étroitement avec l’ADEM (ndlr. : Association des diplômés d’emlyon) qui n’est pas un organe de l’école en tant que tel. En améliorant nos bases de données alumni, nous souhaitons renforcer les multiples relations réciproques entre l’école et les alumni. À savoir : les formations exécutives, l’accompagnement carrière, l’animation du réseau grâce à des événements fédérateurs, la participation à des jurys et à des cours, les donations, etc. La seconde mission consiste à clarifier la répartition des rôles entre l’école et l’ADEM pour gagner en efficacité.
En septembre prochain, les alumni seront également actionnaires de leur école.
Partie 3 : Digital
Quelle est la stratégie de l’école en ce qui concerne le digital ?
Nous travaillons sur six thématiques : (1) l’excellence académique i.e. la pédagogie à distance ou hybride, soit l’expérience des étudiants et des professeurs de l’autre côté de l’écran ou dans la salle de cours, (2) l’efficacité opérationnelle (en améliorant les processus métiers et supports), (3) la robustesse et l’évolution de nos infrastructures, (4) le pilotage de la donnée (notamment à des fins de reporting), (5) la sécurité des données et (6) le hub Gerland.
Nous investissons 17 millions d’euros uniquement sur la partie digitale et sur trois ans, avec une équipe complètement dédiée à ce projet ; montant auquel il faut ajouter les investissements prévus pour le hub Gerland.
Partie 4 : Hub Gerland
Pourquoi avoir choisi un autre campus ?
La première raison est la localisation et l’accessibilité : il est plus facile de se rendre à Lyon qu’à Ecully, qui est plus excentrée. De plus, le quartier de Gerland est en plein développement : nous serons au cœur de la vie étudiante lyonnaise et voisins de grandes institutions (universités, ENS Lyon, ISARA, IEP de Lyon, …). Ensuite, le campus d’Ecully n’est pas adapté à ce que pourront être la pédagogie et les besoins de 2030, bien que personne ne puisse prédire quelles formes exactes cela prendra. Il faut éviter de s’enfermer dans des schémas trop précis qui seront expirés d’ici à 2023. Le campus de l’école se doit donc d’être adaptable, parfaitement relié aux réseaux (énergétique, électrique, numérique etc.) et répondant aux exigences non seulement pédagogiques mais aussi environnementales. Enfin, en investissant dans le Hub Gerland, l’école devient propriétaire de son campus – alors que nous sommes locataires à Ecully.
Où en est-on dans la construction du hub Gerland ?
« Le hub Gerland permet à l’école de mener une réflexion sur son projet éducatif et de répondre à toutes les questions que l’on pouvait se poser à ce sujet. »
Le terrain a été acheté en décembre et les travaux ont démarré en janvier 2021 et vont durer jusqu’à la fin de l’été 2023. Le projet était initialement prévu pour 2022 ; nous avons 12 mois de retard qui se sont avérés être une opportunité pour repenser certaines fonctionnalités et certains lieux du campus. En effet, les plans de départ esquissaient un campus très orienté « flux » en estimant que les étudiants passaient mais ne restaient pas sur le campus, notamment avec une forte dose de cours en ligne. Cela ne correspond pas au projet pédagogique d’emlyon et aux attentes des étudiants aujourd’hui qui veulent légitimement bénéficier d’une vraie vie de campus. Nous avons donc repensé une partie de l’architecture pour y inclure plus d’espaces d’enseignement et de vie étudiante. Ainsi les étudiantes et étudiants d’emlyon auront le choix : ils pourront, s’ils le souhaitent, passer en coup de vent (retirer un livre, …), rester une heure sur le campus pour y retrouver des amis ou assister à un événement, ou y passer la journée pour étudier, innover, réviser, lire…
N’était-ce pas un risque, pour l’école, d’entreprendre un nouveau projet alors qu’elle faisait face à de nombreuses incertitudes ?
Au contraire, il s’agit d’une vraie opportunité. En effet, un projet d’une telle ampleur permet à l’école de mettre à plat et de régler toutes les questions et tous les problèmes qui n’étaient pas forcément urgents, mais qui sont primordiaux pour la suite. Que ce soit pour préciser le modèle économique et pédagogique, ou la culture professionnelle des équipes, tout se décline dans la répartition des espaces, leur taille, l’équipement et l’agencement des salles de cours et des bureaux, qui doivent être adaptés aux besoins et servir ces projets.
Je pense que nous traitons efficacement toutes ces questions et que nous répondons aux attentes des diverses parties prenantes, autant les étudiants, le staff de l’école que nos actionnaires.
Nous avons aussi à cœur que ce campus soit ouvert et inclusif, au-delà des étudiants et personnels de l’École, pour en faire un lieu de vie permanent, ancré dans le quartier de Gerland et plus largement dans la Cité.
Avez-vous de la visibilité sur la rentrée 2021-2022 ?
« Nous ferons le maximum pour conserver le format [de cours] face à face. »
Nous souhaitons avoir un retour total en présentiel et, si cela est impossible, nous ferons le maximum pour conserver le format en face à face, en respectant les directives gouvernementales. Nous sommes actuellement en train d’équiper toutes les salles pour dispenser les cours de manière hybride. Nous n’avons aucune certitude concernant cette rentrée et souhaitons rester prudents car la situation évolue très vite mais nous avons acquis de l’expérience depuis mars 2020.
Qu’a changé le COVID dans la stratégie d’emlyon ?
Le COVID nous a incités à engager une nouvelle réflexion sur la mobilité : les échanges à distance avec des cours en ligne sont un pis-aller et ne peuvent pas remplacer les interactions, la socialisation et les mobilités internationales en physique.
Le COVID a aussi souligné l’importance du domaine de la santé qui pourrait être un axe stratégique cohérent pour emlyon. Il s’agit d’un secteur très important dans la région Rhône-Alpes et le quartier de Gerland accueille le Biodistrict Lyon-Gerland où sont concentrés de nombreux laboratoires pharmaceutiques, et où s’installera par ailleurs l’Académie de l’Organisation Mondiale de la Santé en 2023.
Finalement, l’accent a été mis sur l’importance du cadre fourni par les entreprises et les institutions pour que les employés et les étudiants puissent bien s’y sentir : l’accompagnement mental – coaching, formation, évènements, … – est plus que jamais primordial pour bénéficier d’un environnement propice à l’apprentissage.
Que le COVID demeure, change ou disparaisse, nous nous adapterons ! C’est à la fois un devoir impérieux et un défi stimulant !
Merci à Nicolas Péjout pour son temps et ses réponses à nos questions.
RETOUR SUR LE PARCOURS DE NICOLAS PEJOUT
Diplômé de Sciences Po Paris en 1999, Nicolas Péjout allie au cours de sa carrière expériences dans l’enseignement supérieur et dans la recherche et expériences professionnelles dans la diplomatie et dans le conseil en organisation et management au Ministère français de l’Europe et des affaires étrangères, mais également au sein d’Eurogroup Consulting, dans les secteurs de la défense et de la santé. De 2011 à 2013, il est Directeur de la vie universitaire à Sciences Po Paris. De 2013 à 2018, il prend la tête de l’Executive Education de Sciences Po Paris, les summer schools ainsi que la filiale de valorisation commerciale Sciences Po Services. C’est en 2018 qu’il finit par rejoindre l’Université Paris Dauphine en tant que Directeur général des services. En 2020, Nicolas Péjout rejoint la Direction en stratégie et développement à emlyon business school.
Par Carole Zheng et Colin Faguet, rédacteurs chez Verbat’em