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Concours Early Writers 2020 – 2e Prix, Antoine Ducret

Miroir, miroir, dis-moi qui écrit le mieux. Du reflet de Narcisse au miroir de Blanche-Neige, le miroir observe et déforme, fascine, fait réfléchir. Et cette année, le concours d’Ecriture Early Writers le met à l’honneur en le prenant pour thème ! 


Le reflet de l’homme laid 

L’homme laid se regarde. Il contemple sa laideur et ne la supporte plus. Ç’en est trop. C’en est assez. Il faut que cela cesse. Mais que faire ? Taper de toutes ses forces ? Faire exploser son image ? Quel homme prendrait ce risque ? Briser un miroir. Être submergé par le malheur. Non.  Pourtant son visage lui est insupportable. Il serre le poing. Retient son coup. Et part chercher dans la remise un pot de peinture noire et un petit pinceau. 

Il va peindre ce miroir. Jamais il ne veut revoir son reflet. Il veut se libérer de sa laideur. Alors il commence à peindre. De longues lignes, de bas en haut. Et son reflet commence à disparaître.  

« Pourquoi me fais-tu ça ? » dit le miroir. L’homme ne l’écoute pas. Le miroir questionne de nouveau. Alors l’homme répond : « Tu me fais trop de mal. Je ne veux plus voir ma gueule. Ma sale gueule ! Je veux m’en libérer. »  

Et il continue de peindre le miroir. Et le miroir commence à sangloter.  

« Pourquoi pleures-tu ? » demande l’homme.  

Et le miroir répond, entre deux hoquets.  

« Je pleure car tu es injuste. Tu me condamnes à tort. » 

« Tais-toi, dit l’homme. Tais-toi ! Oiseau de malheur ! Comment oses-tu ? Toi qui me fais du tort depuis si longtemps ! » 

« Quel tort ? Crois-tu que sans moi ta gueule serait plus belle ? Accuses-tu le postier de la mauvaise nouvelle que contient la lettre ? De ta sale gueule je n’y suis pour rien ! » La voix de l’homme se déchire : « Et moi qu’y puis-je ? »  

L’homme s’effondre. Le miroir le regarde. Comme toujours. Il reflète l’homme brisé à ses pieds. Et ne cache rien, ni la laideur ni la faiblesse.  

Il est désolé. Et s’entend dire à l’homme : « Peins-moi ! Si cela te fait du bien : peins-moi ! Mais garde de la peinture. Car tu devras peindre à leur tour, les pare-chocs des voitures, les verres des lunettes, les objets d’argent et ceux métalliques, les yeux qui te regardent, les fenêtres dans la nuit, les vitrines des magasins, la surface des lacs et les mers toutes entières. »

Le miroir se brise.  

L’homme l’a frappé.  

Du sang coule sur les morceaux à ses pieds, qui continuent de refléter et son malheur et sa folie. Et l’homme s’en va. Il part de chez lui, son pot de peinture dans une main, son pinceau dans l’autre et il commence à peindre. Il peint les pare-chocs des voitures, les verres des  lunettes, les objets d’argent et ceux métalliques, les yeux qui le regardent, les fenêtres dans la nuit, les vitrines des magasins, la surface des lacs. Et arrivé face à la mer, face à ses vagues, son souffle, sa force, il comprend qu’il n’est que néant. Et en regardant respirer la mer qui respirait bien avant lui et qui respirera bien après, il se sait condamné. Alors soudain il se fout de tout. Il se fout de la beauté, il se fout de la laideur. Il regarde son image se refléter dans une vague et il se sourit.  

La vague explose, mais le sourire, lui, reste. 

Antoine Ducret