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STRASBOURG, FRANCE - MAY 5, 2018: Street photography of Emmanuel Macron, candidate to the Presidency of France poster on a dedicated campaign agitation area in front of French School Lyceum

Comment Emmanuel Macron a hacké la démocratie le 24 avril dernier (et notre impuissance)

Dans le cadre de sa rubrique « Point de Vue », Le M ouvre ses colonnes aux étudiants d’emlyon. Ils peuvent ainsi exprimer une opinion, une humeur, une conviction, en toute subjectivité, au travers d’articles. Le M propose aux étudiants de les accompagner dans la rédaction en leur apportant des conseils précieux, faisant d’eux de meilleurs rédacteurs. Les propos tenus dans cette rubrique n’engagent que leurs auteurs.

Par Alexandre Fournet,

EMLYON MON AMOUR 

Il est de notoriété publique que emlyon a voté Emmanuel Macron en masse – cf. le sondage réalisé par Forum au moment des présidentielles. Il y a évidemment des raisons très concrètes à cela : d’abord des intérêts de classe, mais surtout de profession – son programme favorise les startups et les habitants de métropole), ensuite une absence de pensée profonde qui a cours dès les classes préparatoires – la « peur des extrêmes » enseignée dans nos fiches de prépa et de lycée au moment de l’Histoire du XXème siècle qui permet de se rassurer en votant extrême-centre – , enfin peut-être la figure de l’Homme-Providentiel, au jeunisme éternel, qui nous rassure par sa position Jupitérienne et sa manière de gérer les crises avec une habileté indéniable que personne ne saurait lui retirer, que ce soit la crise des Gilets Jaunes ou la guerre en Ukraine. 

Je pourrais donc passer plus précisément en revue toutes ces raisons, qui seraient très intéressantes à nous, élèves, qui travaillerons majoritairement dans le privé. Je pourrais également parler de ce que je trouve positif dans le bilan d’Emmanuel Macron – la manière dont il a soutenu très généreusement les entreprises en temps de Covid 19, son impact sur le chômage et le pouvoir d’achat pour faire simple, qui restent ses plus grands faits d’arme (si on oublie l’endettement dans lequel il a plongé la France bien évidemment). 

“D’un côté le vide absolu jupitérien, de l’autre l’incompétence faite mère-chat: qui est à blâmer?”

Je pourrais faire tout cela… et pourtant, c’est non sans un certain plaisir que je vais quand même respecter mon titre putaclic, appuyé par d’autres commentateurs politiques – le politologue Jérôme Fourquet a avancé que ce nouveau mandat sera marqué par une « décomposition politique avancée », quand le journaliste Ivan Rioufol parle de « crise de la démocratie et de la représentativité » – et vous expliquer en quoi l’élection d’Emmanuel Macron représente, à mes yeux, un certain malaise démocratique.

DES CHIFFRES ET DES LETTRES 

On me dit à l’oreillette qu’Emmanuel Macron a donc été élu à la majorité, et qu’il représente donc le choix le plus rationnel pour gouverner la France dans les cinq années à venir. Pour citer un homme peu connu : « ben voyons… » Si monsieur Emmanuel Macron a bien été élu à 58% des voix, il n’est qu’à quelques millions de voix de Marine Le Pen, et l’écart s’est réellement réduit entre 2017 et 2022. De plus, ce serait sans compter le premier parti de France : les abstentionnistes, qui sont aux alentours de 13,5 millions et représentent 28% du corps électoral. Qu’on se le dise clairement : c’est le deuxième record d’abstention depuis 1969 (c’était l’élection entre Georges Pompidou et un certain Alain Poher, aussitôt oublié). Près d’un électeur sur trois ne s’est donc pas déplacé. Pour commencer, voilà de quoi établir les bases d’un certain « malaise démocratique ». 

Alors j’entends déjà les garde-fous de la bien-pensance me sauter au visage et vouloir me mettre en pâture, me traiter d’anti-républicain, voire de terroriste en défendant l’abstentionnisme. Que les choses soient claires : voir un taux d’abstention aussi élevé n’a rien pour me réjouir, et est signe de mauvaise santé de la vie démocratique. Cependant, au lien d’attaquer les électeurs et leur passivité et appeler au vote quoi qu’il en coûte (coucou Manu), j’attaquerai plutôt l’offre politique en elle-même. Pour reprendre les mots d’Ivan Rioufol que nous commerciaux comprenons bien : « l’offre politique ne correspond plus à la demande ». Contrairement aux chiens de berger de la bien-pensance et aux castors prêts à tout pour faire barrage, je n’incrimine pas, dans cette élection, l’abstentionniste incapable de choisir entre la peste et le choléra : j’attaque tout au contraire des candidats impossibles à départager par leur nullité respective. D’un côté le vide absolu jupitérien, de l’autre l’incompétence faite mère-chat : qui est à blâmer ? Le citoyen ou les candidats qui n’ont pas réussi à transformer l’essai ? 

“Macron n’est donc pas le président des jeunes, mais de vieux castors édentés qui ne savent plus réfléchir.”

18,7 millions de personnes (c’est le nombre d’électeurs de Macron) ont décidé le destin de 66 millions, et cela ne pose de problème à personne. Ces premiers chiffres devraient déjà nous mettre la puce à l’oreille que l’homme qui nous gouverne n’est plus dans le « en même temps » – ou peut-être trop – et ne fait même plus semblant de proposer une communauté de destin à l’ensemble de la population – de toutes façons il en « emmerde » une partie. Surtout, et là je m’adresse à ma génération : saviez-vous qui s’est mobilisé en masse pour faire barrage à Le Pen ? Les chiffres parlent d’eux mêmes : 

Répartition des votes au second tour de l’élection Présidentielle selon l’âge. Crédits : Elabe.

Si Macron a une petite avance chez les 18-24 ans, le constat est sans appel chez les 65 ans ou plus : 75% des plus de 65 ans ont choisi de faire barrage contre madame Le Pen et de voter pour monsieur Macron. Je vous vois encore venir : la différence chez les jeunes n’est pas si élevée, et Macron suscite l’adhésion. Cependant, ce graphique ne mentionne pas le paramètre-clé de l’abstentionnisme, qui fait que 41% des jeunes de 18-24 ans se sont abstenus, quand l’abstention est à seulement 15% pour les plus de 70 ans. Un plus gros barrage chez les vieux doublé d’une moindre abstention : nous avons donc affaire à une véritable gérontocratie qui décide de notre destin à nous. Macron n’est donc pas le président des jeunes, mais de vieux castors édentés qui ne savent plus réfléchir.

JEU, SET ET MATCH 

On me dit maintenant à l’oreillette que, malgré cela, il a été élu rationnellement, sans aucune influence extérieure ou insidieuse. On me dit que la liberté de la presse est acquise, et que cette presse ne saurait s’immiscer insidieusement dans le débat public en influençant l’élection. Il n’en est rien. 

Un formidable article d’Arrêt sur images explique en réalité comment, à l’instar de François Mitterrand en 1988 qui avait voulu lancer sa campagne le plus tard possible, Macron a tout fait pour retarder sa campagne. La conjoncture avec la guerre d’Ukraine a achevé de le propulser à des hauteurs « stratosphériques » dans les sondages, le plaçant comme le seul sauveur du peuple français, et faisant se succéder sur les plateaux de télévision les partisans du « C’est déjà plié ». De CNews à LCI, du Figaro à RMC, du Monde à France Culture, les médias crient en bons choristes des mots creux que Macron a déjà remporté l’élection, en s’appuyant sur les sondages. Nombreuses sont les phrases entendues sur les plateaux : sur BFMTV, on s’exclame : « Qui ferait mieux que Macron », sur France info on s’insurge : « Comment être contre la position d’Emmanuel Macron ? » Un très bon article d’Acrimed a très bien décrit la manière dont les médias ont court-circuité le débat démocratique. En gros, sa position de chef de guerre lui a permis de ne pas être candidat comme les autres, d’escamoter le débat en se présentant comme le père protecteur des Français. Évidemment, il ne peut pas être candidat comme un autre : c’est à cause de la « période » et de l’« actualité » – et non les commentateurs qui la font, vous comprenez – évidemment !! 

Stéphane Zumsteeg, directeur du département opinion et politique d’Ipsos, explique bien la situation : 

« Ce sont ses principaux adversaires qui ne pourront pas faire campagne, parce qu’ils seront inaudibles. Emmanuel Macron, lui, pourra faire campagne, par son action diplomatique notamment. Les médias ne feront que suivre Emmanuel Macron et ils parleront beaucoup moins des autres, donc c’est vraiment une situation inédite : ça sera une non-campagne, mais il y aura quelqu’un qui pourra faire campagne. » 

Il faudrait également faire une analyse précise de la convergence entre certains médias et le pouvoir en place. La convergence entre des journaux comme RMC et BFMTv qui sont tous rattachés au groupe Atlantis avec Patrick Drahi – qui avait également possédé Libération et l’Express avant de s’en séparer – dont les liens avec Emmanuel Macron ne sont plus à prouver, devraient nous inquiéter sur la manière dont certains médias, réunis par une logique de concentration visant à gonfler les abonnements, court-circuitent le débat public en se transformant en de véritables organes ministériels. Mais je sais que je vais trop loin, ces faits totalement avérés proviennent sans nul doute, dans la tête de mes chers camarades, d’un dangereux complotiste qui croit que la Terre est plate… 

En outre, j’aurais également pu parler de la manière dont la presse étrangère a mangé dans la main de notre cher président – et je ne mettrai qu’une seule image pour montrer jusqu’au s’étend cette propagande :  

« Macron appears unassailable ». Crédits : TheSpectator.

Intéressons-nous plutôt au dernier problème de taille : le rapport défavorable entre les médias et le CANDIDAT Macron avant avril 2022. J’ai bien dit le CANDIDAT Macron, car c’est de cette manière qu’il aurait dû être considéré tout au long de cette campagne ; or force est de constater qu’il ne l’a pas été. Sa stratégie a consisté à se placer en « surplomb », en exigeant des conditions très précises (pour l’émission La France face à la guerre, il avait exigé qu’il n’y aurait pas de confrontation, ni de photo avec les autres candidats, ni plans dans le public, et aucune rencontre dans les coulisses ; lors de la conférence du 17 mars par exemple, les questions des journalistes devaient être envoyées en amont, cf. article). Le candidat refuse de débattre avec les adversaires avant le premier tour ? Aucun autre ne l’a fait, nous dit-on… Mis à part le fait qu’avant 2017, ce type de débats n’existait pas. En se faisant rare dans les entretiens et les médias, il coupe également la parole de Marine Le Pen, et vole l’élection, en privilégiant la stratégie de la « tacite reconduction ». 

En 1942, Charles Trenet chantait avec mélancolie : « Que reste-t-il de nos amours ? ». A notre tour de chanter en chœur, en 2022 : « Que reste-t-il de notre liberté de la presse ? ». 

“A notre tour de chanter en choeur, en 2022: Que reste-t-il de notre liberté de la presse?”

CHANGEMENT DE PARADIGME 

Dans cette troisième partie, je vais faire des hypothèses quant à notre taux de léthargie et au vu de notre absence de pensée généralisée. Qu’est-ce qui peut bien faire que les taux d’abstention soient aussi élevés et que nous en soyons à élire un homme dont la majorité des personnes ne connaissent pas – ou ne veulent pas – du projet ?

“Si l’Président remporte la moitié des voix, c’est qu’les deux tiers de la France en voulaient pas”

Orelsan

Crise de la représentativité 

Le premier point me semble le plus fondamental et remonte au plus loin. La crise de la représentativité – c’est-à-dire le fait que nous ne croyons plus à nos représentants – peut être expliquée de deux manières. La première, c’est un sentiment de fatalité dans nos choix de représentants – nous avons l’impression que, quoi que nous fassions, nos choix et notre vote n’aura aucun impact sur l’élection. Quand on voit la reconduction des deux mêmes candidats de 2017 à 2022, malgré un fort antimacronisme et un enthousiasme bien plus prégnant pour d’autres candidats, force est de constater que le sentiment est amer. C’est un aspect très ingrat de la démocratie française, encore mis en lumière récemment dans le morceau L’odeur de l’essence d’Orelsan : « Si l’Président remporte la moitié des voix, C’est qu’les deux tiers de la France en voulaient pas » : jamais cette punchline n’aura été aussi vraie qu’en 2022. Ajoutez à cela une corruption généralisée – l’affaire Fillon, l’affaire Bygmalion, les soutiens non officiels de monsieur Macron tels Xavier Niel décrits dans le livre « Crépuscule » de Juan Branco – et vous aurez un petit aperçu de l’aspect bien peu reluisant de la démocratie française – mais enfin, comme disait Churchill, « la démocratie est le pire des systèmes, à l’exclusion de tous les autres », sans doute…

Surtout, la crise de la représentativité s’adosse à une mauvaise compréhension de ce qu’est la représentativité en tant que telle en réalité. En théorie, dans la philosophie politique notamment inspirée par Le Léviathan écrit par Thomas Hobbes en 1651, l’élection d’un souverain est celle d’un mandataire, c’est-à-dire de quelqu’un qui agit au nom du peuple. Voici ce qu’écrit concrètement Thomas Hobbes : « Le peuple est plus au fait de ses propres besoins et donc, s’il ne demande rien qui déroge aux droits essentiels de souveraineté, il doit être écouté avec attention ». Le peuple est toujours celui qui décide en dernière instance, le souverain n’étant qu’un mandataire de sa volonté. C’est pourquoi la sacralisation du souverain ne peut être une bonne chose, nous devrions exercer plus souvent notre entendement durant le mandat de nos représentants. Comme le rappelle Alexis de Tocqueville dans De la démocratie en Amérique, écrit en …, à propos des Américains, il y a un risque à la paresse dans le régime démocratique : « Les Américains croient que, dans chaque Etat, le pouvoir social doit émaner directement du peuple ; mais une fois que ce pouvoir est constitué, ils ne lui imaginent, pour ainsi dire, point de limites ; ils reconnaissent volontiers qu’il a le droit de tout faire ». Cette phrase doit toujours être gardée en mémoire lorsqu’un président déclare l’Etat d’urgence ou la mise en place de mesures liberticides ; les crises peuvent justifier certaines décisions, mais leur prolongation semble souvent douteuse… Encore une autre phrase de Tocqueville, par laquelle il nous explique que les affaires liées au capital ainsi que le travail peuvent nous détourner de la chose publique : « Les citoyens qui travaillent ne voulant pas songer à la chose publique (…), la place du gouvernement est comme vide ». 

“C’est la tendance antipolitique et moderne de notre époque: nous voulons réduire le réel au moins de dimensions possibles et, si possible à des dimensions uniquement chiffrable et quantitatives.”

Et c’est là où l’on en revient au premier point : oui, la démocratie française est ainsi faite que l’élection aboutit généralement à un candidat non plébiscité par la majeure partie de la population. Vème république : système monarchique et personnel. Mais la politique ne saurait être réduite à une élection tous les cinq ans. La politique infuse nos décisions individuelles, et si un Macron sans projet peut arriver à la tête te l’Etat, il ne tient qu’à nous de nous instruire, de nous renseigner et d’agir de manière conforme à nos idées politiques pour vivre en accord avec notre pensée. Exercer notre devoir de citoyen est primordial : comme le dit La Boétie, « ils ne sont grands que parce que nous sommes à genoux ».

Démocratie VS Gouvernance  

Une autre manière d’expliquer cette crise de la démocratie serait de comprendre en quoi la notion même de politique se trouve de plus en plus dévoyée aujourd’hui. Cette dichotomie démocratie vs gouvernance est notamment expliquée durant un Webinaire entre PierreYves Rougeyron et Idriss Aberkane, respectivement historien des idées et conférencier. En effet, la notion de politique, qui implique des choix de société basés sur la vision d’un projet et d’une destinée commune, est de moins en moins comprise par le peuple au sens large, au profit d’une vision technicienne et technocratique de la vision du pouvoir ; c’est ce que l’on appelle la gouvernance. La gouvernance désigne un concept descriptif de la réalité, mais également un idéal normatif associé à la transparence et à l’efficacité de l’action publique. La gouvernance nous vient totalement du monde de l’entreprise privée, notamment de la « good corporate governance », qui permit dans un premier temps de refaçonner la gestion humaine des entreprises. Si la gouvernance se définit avant tout comme une technique de gestion et peut être mise à profit dans nos écoles de management, elle est une notion antipolitique par excellence qui nous empêche collectivement de réfléchir à notre destin commun. Il faut établir des postulats : premièrement, on ne gère pas un pays comme on gère une entreprise qui doit délivrer ses biens à des consommateurs.  

La politique nécessite une vision, des choix, un destin global et une maîtrise des enjeux complexes pour faire vivre des hommes ensemble qu’une gestion par management ne saurait rendre compte. En réalité, c’est la tendance antipolitique et moderne de notre époque : nous voulons réduire le réel aux moins de dimensions possibles et, si possible, à des dimensions uniquement chiffrables et quantitatives. 

Des exemples historiques nous montrent que les gestionnaires qui se sont essayés à la politique par le prisme de cette vision ont produit parmi les pires catastrophes de l’humanité – notamment Robert McNamara, passé par Ford, qui a organisé le bombardement intensif du Vietnam et compris son erreur bien plus tard. Je sais que ce discours peut être difficilement entendable par des étudiants en école de commerce, et pourtant la politique n’est pas qu’une affaire de gestion technique réservée aux experts.

Deuxièmement, au glissement actuel de la politique à la gouvernance – formidablement incarné par monsieur Macron qui, de son propre aveu, n’a aucun programme ni projet à long-terme pour la France – s’ajoute la rupture technologique de notre époque, qui n’a jamais été observée dans l’histoire de l’humanité. Pour faire simple, nous avons une hubris technicienne par laquelle nous voudrions régler tous nos problèmes par la technologie. Aujourd’hui, le transhumanisme et notamment le projet neuralink d’Elon Musk visant à mettre un implant dans l’organisme de chaque être humain, ont créé une rupture anthropologique majeure : si on a toujours porté des prothèses dans l’histoire de l’humanité, c’est pour que la machine soit toujours l’appendice de l’homme, et non l’inverse. Cette technologisation à outrance nous amène également à la « Datacratie », c’està-dire au recueil de nos données personnelles par les machines qui décident du destin de l’humanité – c’est déjà le cas en Chine. Si j’ai évoqué ces exemples qui peuvent sembler à priori s’éloigner du sujet, il n’en est rien : de la même manière que l’idéologie de la gestion, la confiance absolue en la capacité des machines à gérer nos problèmes ne saurait nous éloigner plus de la politique. Jamais une machine ne pourra prendre des décisions politiques au sens fort du terme, c’est-à-dire faire des choix engageant le destin commun de tout un peuple selon des critères aussi différents que l’histoire, la culture, les religions, les récits, les mythologies, la vision de l’avenir, etc. C’est l’idéal de l’humanisme qui semble s’être perdu dans nos mentalités modernes (comme l’explique si bien Peter Sloterdjik dans Règles pour un parc humain), cette confiance en l’homme à prendre ses propres décisions et à comprendre qu’il vit dans un monde interdépendant – d’où le fait qu’il a besoin de politique pour vivre avec ses congénères.

Infantilisation et individualisme 

Enfin – et ce sera mon dernier point – la crise de la politique et plus particulièrement de la démocratie s’explique également par un double constat. Premièrement celui de l’individualisme, déjà décrit par Tocqueville comme la pire menace que peut connaître un régime comme la démocratie, qui pousse le citoyen à abandonner la société à elle-même. Cette fragmentation du corps social, en partie voulue par le libéralisme dont le rêve est de faire de nous des atomes déliés de toute histoire et livrés à la consommation, nous empêche de faire corps ensemble et de nous choisir un destin commun. C’est le règne de l’individu-consommateur. A cette louange de la consommation s’ajoute l’infantilisation de ma génération dont je fais partie et d’un entretien d’immaturité toujours plus grand de la société, en voici quelques exemples : la création de toujours plus de catégories marketing pour nous empêcher de grandir comme les catégories jeunes adultes dans les librairies, le terme « adulescent », tous les appels à l’enfance et à l’adolescence dans la pop culture, que ce soit dans les habits, les séries ou les vidéos Youtube où les plus grands youtubers en nombres d’abonnés sont également les plus grands enfants, etc. Cette volonté de cultiver l’adolescent comme un enfant éternel, un « puer eternis », est un effet du marché qui vise à en faire des consommateurs toujours plus tardifs et à les empêcher de s’emparer de sujets qui les engageraient sur le long terme.

ET APRÈS ? 

Ce texte n’a pas vocation à être militant. L’idée est de vous faire comprendre que notre époque est dystopique en ce qu’elle oblitère nos esprits sur ce qu’est une sensibilité politique et une vision politique, qu’on soit d’accord ou non. Comme dit un certain adage : « occupez-vous de la politique, où elle s’occupera de vous ». Et c’est là où l’on en revient au premier point : oui, la démocratie française est ainsi faite que l’élection aboutit généralement à un candidat non plébiscité par la majeure partie de la population. C’est le fardeau de la Vème république, système presque monarchique diraient certains et ultra-personnel. Mais la politique ne saurait être réduite à une élection tous les cinq ans. La politique infuse nos décisions individuelles, et si un Macron sans projet peut arriver à la tête te l’Etat, il ne tient qu’à nous de nous instruire, de nous renseigner et d’agir de manière conforme à nos idées politiques pour vivre en accord avec notre pensée. Instruisons-nous, allons voir des médias alternatifs, des médias anarchistes ou souverainistes, sortons des médias mainstream qui nous servent la même soupe faussement neutre, écoutons Pierre-Yves Rougeyron, Loïc Chaigneau, Bernard Friot, Frédéric Lordon, Marcel Gauchet, Pierre Gentillet, Ivan RIoufol ou encore Pierre Hillard, lisons la revue des deux mondes, Lundi Matin ou allons regarder la chaîne de Cercle Aristote. Exercer notre devoir de citoyen n’a jamais été aussi primordial qu’aujourd’hui : comme le dit La Boétie, « ils ne sont grands que parce que nous sommes à genoux ».

“Notre époque est dystopique en ce qu’elle oblitère nos esprits sur ce qu’est une sensibilité politique et une vision politique.”