Dans le cadre de sa rubrique « Point de Vue », Le M ouvre ses colonnes aux étudiants d’emlyon. Ils peuvent ainsi exprimer une opinion, une humeur, une conviction, en toute subjectivité, au travers d’articles. Le M propose aux étudiants de les accompagner dans la rédaction en leur apportant des conseils précieux, faisant d’eux de meilleurs rédacteurs. Les propos tenus dans cette rubrique n’engagent que leurs auteurs.
Par Florian Cambier,
Pour toute une partie de la gauche française, Emmanuel Macron est un président « de droite », on parle alors de « droitisation » de celui qui avait mené sa première campagne électorale au centre-gauche. Ce terme de droitisation renvoie à une image péjorative, qui serait une dérive. Mais quand on s’attarde un peu plus sur le concept de droite, c’est un peu plus complexe. Peut-on définir la droite comme un sentiment, y’a-t’il une définition générale de la droite en France ? Certains s’en revendiquent, d’autres la honnissent, voyons ce qu’il en est.
Une brève histoire des droites en France
Le terme “Droite” en politique provient du placement des députés à l’Assemblée Nationale après la Révolution Française. Lors du vote du 27 août 1789, les députés favorables au maintien des pouvoirs du Roi se sont positionnés à droite de l’hémicycle car la droite représente traditionnellement ce qui est préférable et doit servir de règle (« bras droit du PDG »). En latin « à droite » (dexter) signifie également « favorable » (voyez-y ou non un message caché sur la série du même nom…); quand « à gauche » (sinister) signifie « de mauvaise augure ». L’historien Michel Winock parle plutôt des droites au pluriel car elles ont souvent divergé et se sont opposées. C’est à René Rémond dans son ouvrage Les droites en France que l’on doit la définition la plus classiquement partagée des droites en France :
- La droite légitimiste qui est héritière du royalisme, “réactionnaire” (au sens d’opposée) face à la Révolution française et qui ne dirige que de 1815 à 1830 sous Louis XVIII et Charles XV.
- La droite orléaniste qui est monarchiste “constitutionnelle”, en accord avec les apports parlementaires et libéraux issus de la révolution française mais adepte du suffrage censitaire, elle dirige sous la monarchie de Juillet (de 1830 à 1848).
- La droite bonapartiste qui met l’accent sur le souverain et un exercice autoritaire du pouvoir via le soutien des masses populaires et le plébiscite. Elle gouverne sous le Premier et le Second Empire avec Napoléon I et III, et tente de revenir sous l’égide du général Boulanger*.
Par la suite, sous la IIIe République, la droite se décline entre la droite libérale économique (celle de Raymond Poincaré, qui lui donne sa tradition de bonne gestion budgétaire), droite nationaliste avec l’Action Française (Ligue royaliste héritière du légitimisme) et le maurrassisme, plus ou moins apparenté à l’orléanisme mais contre-révolutionnaire.
Les catholiques sont également une force politique à droite. D’abord opposés à la République, ils la rejoignent lorsque le pape Léon XIII publie l’encyclique Inter sollicitudines de 1892 qui les invite à accepter la République pour mieux combattre les anticléricaux. En dehors du champ électoral, on retrouve les Ligues nationalistes, qui sont initialement des groupes d’anciens soldats, basculant ensuite dans l’opposition à la gauche, notamment communiste, ainsi que du parlementarisme. Elles sont en partie héritières du mouvement boulangiste.
« Si un groupe ou un individu perçu comme «opprimé » affirme qu’il subit quelque chose de discriminant, alors sa « voix » supplante un énoncé basé sur la raison ou la logique. »
Après la seconde guerre mondiale, la droite est disqualifiée à cause du régime de Vichy, bien que toute la droite n’ait pas soutenu le régime et que les communistes ne se soient pas opposés à l’Allemagne nazie avant 1941 suite au Pacte d’Acier. Elle revient sous la houlette d’Antoine Pinay et du CNIP (Centre National des Indépendants et Paysans) avec un aspect libéral quand la droite contre-révolutionnaire se cantonne dans l’opposition. Avant de s’imposer avec le général de Gaulle, George Pompidou voire pour certains Valéry Giscard d’Estaing, bien que celui-ci se revendique être au centre. Jacques Chirac, sous l’influence de la « révolution conservatrice » et du néolibéralisme impulsés par Ronald Reagan et Margaret Thatcher, va adopter des positions libérales et conservatrices face à François Mitterrand jusqu’à lui imposer une double cohabitation en 1986 et en 1993.
« […] retour à une vision du monde religieuse, basée sur un manichéisme bien/mal opposant les personnes éveillées et les autres. »
Se définir à droite : entre choix politique et assignation
René Rémond note que lors de l’élection présidentielle de 1974, seul Jean-Marie Le Pen dit être à droite, en 1981 : aucun candidat ne revendique explicitement d’être à droite. Aucun républicain ne se disait de droite étant donné l’assimilation historique de la droite au monarchisme au début du XXe siècle. La démocratie chrétienne comme le gaullisme voulant se positionner au-dessus du clivage gauche-droite afin d’atteindre un maximum de monde. Le général de Gaulle disait en 1965 : « Le fait que les partisans de droite et les partisans de gauche déclarent que j’appartiens à l’autre côté, prouve précisément ce que je vous dis, c’est-àdire que, maintenant comme toujours, je ne suis pas d’un côté, je ne suis pas de l’autre, je suis pour la France ». Il s’agit d’un choix politique du général qui cherche à se placer au-dessus des partis et de la « basse politique »; alors que le gaullisme peut être envisagé comme une rénovation du bonapartisme avec un culte de l’homme fort dont les aspirations sont alignées avec celles du peuple, homme fort que ce peuple soutient fortement.
C’est en partie en réaction à la montée de la droite radicale ou « extrême » que les mouvements de droite « modérée » vont se réapproprier le terme de droite avec 2 visions, une alliance avec « l’extrême-droite » saluée par le Front National et voulue par le président du conseil régional de Rhône Alpes Charles Millon (Union des Démocrates Français: Centre-droit) et de l’autre, celle de Nicolas Sarkozy qui définit la « droite décomplexée » dans son ouvrage « Libre » de 2001 et souhaite assécher le réservoir de voix du Front National en associant libéralisme économique et thèmes sécuritaires. Il s’en revendique d’ailleurs au cours de la campagne de 2007.
Il faut assumer désormais cette étiquette alors qu’en 2022, la droite est tenue hors du pouvoir depuis 2012 et est absente du second tour pour la seconde fois consécutive (une première dans l’histoire de la Ve République), les mouvements se scindent en revendiquant chacun le titre de « vraie » droite. Valérie Pécresse se réclame par exemple d’une droite républicaine face à « l’extrémisme » d’Éric Zemmour ou de Marine Le Pen, dans le concept belge de « cordon sanitaire » repris par François Mitterrand pour scinder la droite et empêcher toute alliance électorale entre les différentes familles. Éric Zemmour, lui, accuse Valérie Pécresse d’être « centriste », assumant un héritage de droite nationale issu du RPR (Rassemblement pour la République) ainsi que du gaullisme, tant dans son positionnement européen que sur les questions de souveraineté.
Par ailleurs, les différents mouvements de gauche n’hésitent pas à catégoriser toute opposition comme « à droite » ou à « l’extrême-droite », tentant de brouiller les pistes électorales tout en jouant sur une sémantique négative, dès lors que l’on est de droite, on est anti-social, égoïste, contre les droits de l’homme, certains osent même dire capitaliste ! Emmanuel Macron, bien que centriste, est régulièrement « accusé » d’être de droite par tout une partie de la gauche et c’est alors qu’il faut s’excuser ou toujours prouver que l’on reste « à gauche » dans une inversion du sens latin du terme. On ira même jusqu’à parler de « dérive droitière » (terme issu de la gauche communiste léniniste, stalinienne et maoïste, idéologie aux millions de morts) pour des intellectuels comme Michel Onfray ou Alain Finkielkraut, alors que ces derniers se sont toujours revendiqué « de gauche ». À fortiori, on reprochera à un François-Xavier Bellamy d’être « trop extrême » même s’il a affirmé qu’il ne mettrait pas dans le jeu électoral certaines de ses positions que la gauche juge « inacceptables » ou « rétrogrades ». A contrario, Philippe Némo, philosophe libéral, reproche à la droite française d’avoir adopté les codes « socialistes » de la gauche et de n’avoir pas réellement une politique « de droite ».
Avec « la nouvelle gauche » : tous à droite ?
C’est alors qu’il est pertinent de parler de la notion de « régime diversitaire » proposée par Mathieu Bock-Côté, sociologue québécois. Il s’agit d’un régime issu des différentes révolutions intellectuelles ayant eu lieu en Occident, et notamment en Amérique du Nord au cours des années 1960, avec l’apparition des Gender studies, race studies, postcolonial studies sous l’égide de la Critical race theory, ensemble de mouvements se revendiquant d’un certain « progressisme » en contradiction avec les « nationalistes » (distinction reprise d’ailleurs par Emmanuel Macron lors des élections européennes de 2019); qui met en avant une forme de multiculturalisme à l’utopique diversité qui doit être souhaitable. En se basant notamment sur les travaux de Deleuze, Derrida, Foucault (la « French Theory ») un post-modernisme issu du post-structuralisme philosophique émerge alors, remettant en question le rationalisme des Lumières au profit de l’expérience individuelle (Pluckrose et Lindsay). Ce qui en résulte des années plus tard est que, si un groupe ou un individu perçu comme « opprimé » affirme qu’il subit quelque chose de discriminant, alors sa « voix » supplante un énoncé basé sur la raison ou la logique, ce qui nous amène à voir certains étudiants de Sciences Po (au hasard) réclamer des réunions « non mixtes » au prétexte que les opprimés ne seraient pas à l’aise.
La particularité de ce régime diversitaire que j’appellerais « nouvelle gauche » est le retour à une vision du monde religieuse, basée sur un manichéisme bien/mal opposant les personnes « éveillées » et les « autres ». Ces autres, dès lors qu’ils refusent ces affirmations ou pire, s’ils veulent défendre la culture d’un peuple ou l’universalisme, sont rangés à droite voire à l’extrême-droite de l’échiquier politique. On en vient au sinistrisme, mouvement poussant les formations politiques depuis la gauche (les anciennes gauches deviennent les nouvelles droites), et à l’accusation permanente d’être un « fasciste », « réac » si l’on refuse le mouvement, comme s’il y avait un sens à l’histoire et que ce sens ne pouvait se réaliser que dans le sens du « progressisme ». On remarque dès lors que la droite modérée ou les anciennes gauches deviennent de facto les idiots utiles de la nouvelle gauche. Les premiers en se justifiant de ne pas « être trop à droite » tout en discréditant les autres droites trop « dures » selon eux, et les seconds en cherchant absolument à se décoller d’une étiquette politique posée par la nouvelle gauche sur leurs positionnements. À l’instant où l’on justifie sa position, on accepte de prendre pour base le positionnement que l’autre nous donne, et la bataille idéologique est perdue.
Geoffroy de Lagasnerie, sociologue d’extrême-gauche dit par exemple : « il ne peut pas pas y avoir d’intellectuel de droite », avec une certaine complicité des médias. D’un point de vue médiatique, il est bien plus acceptable d’avoir des positions de gauche, plus de tribunes et de médias sont ouverts, notamment dans les médias publics, quand des positions de droite valent plutôt des traitements négatifs voire caricaturaux (Valérie Pécresse sur le « ni grand déclassement, ni grand remplacement » ou Éric Zemmour sur l’assimilation). A contrario, tenir des discours anti-universalistes ou racistes ; On peut prendre l’exemple de Taha Bouhafs et « l’arabe de service » en parlant de Linda Kebbab ou Yannick Jadot et « le juif de service » en parlant d’Éric Zemmour.
C’est là toute la victoire idéologique de la Nouvelle gauche, elle a réussi à faire percevoir ses adversaires comme opposants au « progrès », à justifier ses frasques par une volonté de “bien faire” mais trop vite ou trop fort et à imposer sémantiquement un langage qui véhicule ses idées ( « racisé », utilisation des pronoms pour définir son identité, suffixe en -phobe utilisé à outrance…).
« Le conservatisme en tant que philosophie doit réussir à se sortir du carcan dans lequel la gauche l’a enfermé, c’est-à-dire celui d’une idéologie rétrograde qui irait à l’encontre du progrès individuel. »
Quelle droite pour demain ?
Face à l’union des gauches avec la Nouvelle Union Populaire Écologique et Sociale, une piste prioritaire de refondation de la droite devrait être de former une grande coalition, certes hétéroclite, mais basée autour d’un socle de valeurs communes. Le principal défi étant de réussir à rattacher l’aile « modérée » tentée par la République en Marche ainsi que de mettre fin au « cordon sanitaire » mis en place en Belgique et repris par François Mitterrand puis Jacques Chirac (l’idée étant que la droite « de gouvernement » ne doit jamais s’allier avec la droite définie comme « radicale » ou « extrême »). Cette piste semble aujourd’hui peu probable quand on constate que le Rassemblement National refuse les alliances tout comme les Républicains qui refusent de s’associer au RN, ce qui est audible tant leurs programmes économiques sont éloignés.
La tentative d’Eric Zemmour d’unir les droites autour de son mouvement « Reconquête » semble également s’être essoufflée à la suite de son score lors de l’élection présidentielle. Cette refondation passera probablement par la disparition d’anciens partis et la création de nouveaux, autour de lignes qui rassembleront les électeurs de droite, mais également de figures pouvant réunir les différents électorats. David Lisnard, Marion Maréchal, Laurent Wauquiez ou encore Eric Ciotti pourraient être ces figures d’union, bénéficiant d’une réelle popularité parmi les sympathisants de droite.
Pour continuer d’exister, la droite va également devoir se donner du crédit dans des domaines où elle est aujourd’hui quasiment absente. On peut penser à la culture et notamment au cinéma où la quasi-totalité des réalisateurs et acteurs politisés se réclament « de gauche ». Il suffit de voir comment le film Bac Nord a pu être reçu par la critique de gauche, et comment son réalisateur tente de prendre ses distances avec toute « récupération de droite » pour comprendre qu’assumer un cinéma engagé de ce côté du spectre politique est plus compliqué.
Il faudra également davantage crédibiliser les actions que la droite veut entreprendre. En pratique, si on prend un sujet tel que l’immigration, ce serait de réussir à s’inspirer du modèle danois, où ce sujet a été repris puis « crédibilisé » par l’équivalent du Parti socialiste danois, alors que les mesures peuvent être considérées comme « dures » (fin du regroupement familial, politique d’immigration quasi zéro, demandes d’asile traitées à l’étranger…). D’autre part, le conservatisme en tant que philosophie doit réussir à se sortir du carcan dans lequel la gauche l’a enfermé, c’est-à-dire celui d’une idéologie rétrograde qui irait à l’encontre du « progrès individuel ». Il semble important pour la droite que les concepts de nation, peuple ou souveraineté puissent être employés sans être caricaturés voire certaines fois dévoyés et renvoyés à des positions réactionnaires ou racistes par les opposants.
Pour conclure, je dirais qu’il est difficile de parler « d’être de droite » sans nuancer les différences entre les courants et les familles qui, historiquement comme philosophiquement, se distinguent respectivement par des valeurs qui peuvent être antithétiques mais qui aujourd’hui, sont, à mon sens, capable de s’associer si une refondation intelligente et honnête d’une base commune est envisagée dans les mois ou années à venir. Cela passera logiquement par une autonomisation des catégories politiques qui ont été imposées par la gauche ces dernières années. En tout cas on peut l’espérer.