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Comment composer avec l’or vert ?

Pour cette semaine du développement durable édition 2021, il est d’autant plus important de questionner la soutenabilité de notre système. Les tentatives pour redresser la barre d’un système qui fait naufrage se multiplient depuis quelques années déjà. Comment les entreprises doivent-elles composer avec l’or vert, tourmentées entre l’obligation de penser leur stratégie avec les dimensions environnementales et sociales et leur besoin par essence de faire du profit ? 


Tantôt nous courrions vers l’or noir, tandis que d’autres courraient vers l’or bleu. Aujourd’hui, le monde court avidement vers l’or vert. Le développement durable a longtemps été et est toujours le résultat d’un jeu de pressions multiformes créé par des acteurs aux motivations diverses et parfois antagonistes : les ONG telles que Greenpeace et sa publicité sanglante ad hominem contre Kit Kat ; les consommateurs qui veulent toujours consommer plus, certes, mais de manière plus responsable, à quoi répondent tout naturellement des entreprises devenues pour certaines des “sociétés à mission” ; les institutions nationales et internationales, machines à produire des régulations et à compenser les défaillances du système. Le développement durable devient le nouveau pétrole de l’économie, de nombreuses entreprises voient le jour avec pour mission de porter cette nouvelle dynamique : multiplication de plateformes pour mettre en relation producteurs locaux et consommateurs, multiplication de start-ups green (mode responsable, énergie verte, etc.). Dans ce contexte et avec les éléments cités plus haut, il semblerait que le développement durable soit le nouveau prétexte pour donner un second souffle au capitalisme. Est-ce vraiment le cas ?

Dans une étude menée par BVA et commandée par Greenpeace, seuls 1/3 des Français pensent que le capitalisme est compatible avec la lutte contre le dérèglement climatique. Malgré la multiplication des investissements dans l’environnement, les tentatives de responsabilisation des entreprises sont perçues comme du greenwashing par les jeunes financiers, un moyen de “redorer leur image” et un “atout marketing” uniquement, selon une étude des Echos menée auprès de 215 interviewés. Le capitalisme est un système économique productiviste dans lequel les moyens de production sont privatisés et n’appartiennent pas à ceux qui les travaillent ; le tout est incarné par l’entreprise. Le capitalisme considère délibérément que l’essence des comportements des individus est d’accumuler toujours plus pour augmenter les profits. Or aujourd’hui, on souhaite que les individus recyclent, consomment “minimaliste”, passent par des circuits-courts, réduisent leurs émissions de gaz à effet de serre, arrêtent de sur-consommer – je vous renvoie aux campagnes publicitaires New is old de Back Market. BREF, on veut beaucoup de choses pour renverser un millénaire de surproduction au détriment de la planète. Il ne s’agit pas de dire stop à la production ni à la consommation ; mais ces initiatives représentent des contraintes qui ébranlent un des piliers du capitalisme. Ces contraintes ne laissent pas de place – enfin, beaucoup moins – à la recherche de profit. Au revoir l’obsolescence programmée, au revoir l’incessante incitation à la consommation, au revoir … le capitalisme ?

30 milliards d’euros ont été injectés dans l’économie verte dans le plan de relance de l’économie présenté par Bruno Le Maire l’été 2020. Un concept générique quelque peu trompeur. Aider les entreprises à convertir leur flotte automobile au vert en adoptant des véhicules électriques très peu verts dans leur fabrication, faire de la technologie le bouc émissaire pour endosser la responsabilité d’intégrer le social et l’environnement dans la recherche de performance… L’erreur serait de considérer le respect des impératifs sociétaux et environnementaux comme un fardeau qu’il faudrait porter parce qu’une autorité externe à l’entreprise le demande, comme cette mouche qui bourdonne dans votre cuisine un après-midi d’été. Présente, encombrante, pesante. 

Une théorie intéressante est celle de Ernst Friedrich Schumacher, économiste britannique d’origine allemande, développée dans les années 70 dans son livre d’essais Small is beautiful. Il y évoque les ressources naturelles comme un capital et non pas comme un revenu qui serait dû naturellement aux hommes : l’eau, le sol, l’air, la faune et la flore, la biodiversité et les écosystèmes. Ce capital naturel agirait comme un fonds fiduciaire dans lequel puiseraient les individus. De facto, le capital naturel doit être considéré comme un facteur de calcul pour l’entreprise et non plus comme un dommage collatéral qui n’aurait que des conséquences invisibles financièrement parlant. 

Jusque-là, je n’ai pas proposé de solutions à ce nouveau paradigme de développement qui continue de faire ses preuves tandis que les entreprises évoluent dans cette sorte de période d’essai. Comment concilier l’économie et le développement durable alors que tous nos systèmes ont été conçus pour se libérer de l’attache à l’environnement et à la nature ? Selon les propos tenus par Robert Boyer sur France Culture, émission radio diffusée le 1er septembre 2020, le capitalisme est né d’un paradoxe. Après la seconde guerre mondiale, ce sont les inégalités, la lutte sociale et la redistribution qui ont donné le premier souffle au capitalisme et l’ont légitimé, non pas la dynamique industrielle comme certains pourraient le penser. Or aujourd’hui, l’inégalité est croissante, le creuset entre riches et pauvres s’agrandit et rend plus difficile l’implantation durable de l’écologie dans nos sociétés. Dès lors, les politiques ont leur rôle à jouer aux côtés des entreprises – non pas uniquement le rôle d’interventionnisme étatique qu’elles jouent déjà aujourd’hui, en finançant certaines industries, l’automobile notamment en France – et pour cela, elles doivent d’abord en avoir conscience puis développer une ingénierie politique. L’ingénierie politique était, en 1848, ce pouvoir extérieur que le gouvernement attendait pour “ réduire la politique et l’éthique à des règles aussi certaines et évidentes que celles de la géométrie” ( Pierre Louis Roederer, Cours d’organisation sociale). Aujourd’hui, on pourrait la définir comme un set de méthodes scientifiques et techniques inspirées des méthodes d’ingénieur pour travailler l’efficacité de l’État en matière de réformes structurelles et institutionnelles tout en composant avec les spécificités du secteur (droit, lois, société civile, autres parties prenantes).  Pour l’entreprise, il faudrait alors faire table-rase et apprendre à développer une stratégie en composant initialement avec les dimensions environnementales et sociales. La société à mission semble être le meilleur outil pour faire un audit et proposer une nouvelle mission et une raison d’être aux entreprises volontaires dans cette démarche de responsabilisation au regard des 17 objectifs de développement durable