Passionné de football passé par les bancs d’emlyon business school, Adrien Tarascon est ce que l’on pourrait appeler un alumni au profil atypique. Rares, en effet, sont ceux qui peuvent se targuer d’avoir consécutivement travaillé pour 3 des meilleurs clubs de football français : le Paris Saint Germain, l’AS Monaco et le LOSC Lille, club pour lequel il occupe aujourd’hui le poste de Head of Player Development, Methodology & Data. Dans ce milieu fermé, il a su saisir les opportunités et faire ses preuves pour se glisser au cœur de la performance des joueurs et des équipes, combinant compétences analytiques et humaines. Mise en lumière pour Le M d’un métier du football moderne peu connu, dont l’importance tend à se développer.
Propos recueillis par Vincent Loeuillet,
Le M : Bonjour Adrien, vous êtes actuellement Head of Player Development, Methodology & Data au LOSC Lille, en quoi consiste concrètement votre métier ?
Adrien Tarascon : Mon métier consiste à accompagner les joueurs dans leur développement. Au LOSC, nous avons cette année un groupe de 23 joueurs. Mon objectif est évidemment de les aider à être performant au prochain match, mais surtout de les aider à progresser sur le temps long, mois après mois, année après année. Je dois porter une vision longue, à l’inverse de l’entraîneur ou du staff qui ont une vision au prochain match. Cela car tous les joueurs ne jouent pas, néanmoins il faut les accompagner pour qu’ils puissent progresser.
Cet accompagnement concerne principalement les joueurs professionnels, jeunes et moins jeunes. Cette saison, j’accompagne par exemple Rémy Cabella, qui est un joueur expérimenté. J’accompagne également Mohamed Bayo et Adam Ounas, des joueurs d’âge médian ou encore des très jeunes joueurs tels que Carlos Baleba, issu de la formation, qui commencent à obtenir des minutes de jeu chez les professionnels. D’autres joueurs ne font pas appel à moi. Cet accompagnement va des séances terrain, aux séances vidéo en passant par la préparation mentale et psychologique. Cette dernière étant très importante tant le football est un milieu extrêmement difficile et concurrentiel. Il faut imaginer la pression qui s’exerce sur des jeunes garçons de votre âge ; les insultes sur les réseaux sociaux qu’ils ne peuvent s’empêcher de lire. D’autant que 95% n’ont jamais été préparés dans leur éducation et par leur entourage à affronter ce qu’ils vont vivre.
Je suis également chargé de la méthodologie. Il s’agit de structurer notre approche en termes de football : définir un modèle de jeu et s’assurer que toutes les équipes de jeunes jouent de la même manière, que tous les entraîneurs entraînent avec les mêmes lexiques, etc. Il faut également définir une méthodologie d’entraînement adaptée pour former les joueurs pour le football de demain. En effet, lorsque les joueurs sont en centre de formation, ils ne jouent chez les professionnels que dans 5, 6 ou 7 ans. Dès lors, il faut réussir à anticiper les évolutions du football et transmettre ces innovations, ces spécificités, à la fois directement aux joueurs mais aussi au coach. C’est en aidant les coachs et les éducateurs du centre de formation à devenir meilleurs que l’on forme les meilleurs joueurs.
“Il faut imaginer la pression qui s’exerce sur des jeunes garçons de vos âges; les insultes sur les réseaux sociaux qu’ils ne peuvent s’empêcher de lire.”
Enfin, mon métier consiste à fournir des KPI individuels et collectifs basés sur des données, que ce soit à la direction, au staff ou directement aux joueurs afin d’améliorer les performances individuelles des joueurs et la performance collective de l’équipe.
Votre travail consiste à accompagner les joueurs afin de leur permettre d’augmenter leur performance et donc la performance de l’équipe, quelle est la philosophie du LOSC sur ce développement ?
Le LOSC n’a pas des moyens financiers illimités, comme la majorité des clubs, ce qui contraint évidemment les transferts. Cela signifie qu’il faut pouvoir maximiser l’argent investi sur chaque joueur en l’accompagnant dans l’amélioration de ses performances. Le Président du LOSC Olivier Létang a souhaité me recruter pour cette raison, car c’est quelque chose qu’il n’avait pas lors de son expérience en tant que Président du Stade Rennais. J’avais auparavant été débauché du Paris Saint Germain par l’AS Monaco pour cette même qualité. J’avais alors des prérogatives plus larges puisque je participais au recrutement. J’avais recruté et développé des joueurs comme Aurélien Tchouaméni, Youssouf Fofana mais également Sofiane Diop ou Benoît Badiashile, qui frappent aujourd’hui à la porte de l’équipe de France.
L’an passé, au LOSC, nous avons par exemple recruté Amadou Onana pour 8 millions d’euros hors bonus et nous avons réussi à le vendre 40 millions d’euros un an plus tard. Cela illustre le travail du développement individuel. La proposition de développement individuel que nous lui avions faite a été décisive dans sa décision de signer au LOSC, alors même qu’il faisait l’objet d’une dizaine d’autres offres proposant parfois des salaires 2 fois supérieurs à ce que nous lui proposions. Le projet l’a convaincu, il nous a rejoint et a atteint ses objectifs. Il a notamment rejoint la sélection nationale via le LOSC et bénéficié d’un gros transfert.
En résumé, mon rôle est d’optimiser – parfois financièrement lorsque l’on parle de jeunes joueurs – les performances de nos actifs au service du collectif. Il est important de créer une synergie dans un groupe où tous les joueurs ne jouent pas ou pas autant que les autres. Pep Guardiola le disait : « le plus dur dans le métier d’entraîneur, c’est de gérer les joueurs qui ne jouent pas ». Je suis un soutien du staff pour que l’on s’assure que les 23 joueurs de l’effectif, de ceux qui jouent le plus à ceux qui jouent le moins, bénéficient de la même qualité de suivi et progressent chaque jour.
Pour améliorer ce suivi et maximiser les performances, vous recueillez des données sur les joueurs. Comment les recueillez-vous ?
Lors des entraînements les joueurs portent des GPS grâce auxquels nous recueillons les données. Pour les matchs, nous bénéficions des données fournies par la Ligue de Football Professionnel que nous croisons avec nos propres données GPS, dont les joueurs sont équipés. Nous recueillons ainsi des données physiques et des données technico-tactiques dites « tracking ». Nous avons également un fournisseur de données « events », qui nous servent à suivre nos propres joueurs mais également les adversaires. Ces données sont également utiles pour le recrutement.
“Mon rôle est d’optimiser – parfois financièrement lorsque l’on parle de jeunes joueurs – les performances de nos actifs au service du collectif.”
Après avoir recueilli ces données, il faut pouvoir les analyser pour qu’elles soient utiles, comment se passe cette étape ?
Au LOSC, je suis seul à travailler sur cette étape. Néanmoins, le LOSC cherche à se staffer, le Président du club a la volonté de construire un « Data Lab ». La première étape est la partie d’analyse. Il s’agit de la construction de rapports, le plus souvent via Tableau. Ensuite, via Tableau, nous utilisons un outil fonctionnel pour la visualisation des données. L’enjeu de l’utilisation des données dans le football est ici de les rendre compréhensibles par les joueurs ou le staff. C’est la seconde étape. Lorsque nous sommes sûrs de la véracité de notre analyse, il faut réussir à l’expliquer, cela par des vidéos ou par des images de jeu. Nous devons illustrer les résultats avec un langage football qui parle aux joueurs.
Les data jouent un rôle dans les périodes de mercato. Nous avons beaucoup entendu parler du Toulouse FC qui a su s’appuyer sur un recrutement intelligent pour retrouver l’élite, avec notamment l’usage innovant de la « data ». Au LOSC, utilisez-vous la data pour recruter ? Et à l’inverse pour vendre et appuyer vos arguments de vente ?
Les données sont aujourd’hui essentielles. Posséder des éléments quantitatifs sur les joueurs est précieux et je ne connais que très peu de clubs qui n’utilisent pas les données pour corroborer et consolider leurs avis sur les joueurs. Lorsque j’étais au Paris Saint Germain, j’ai mis en place ce que j’appelle le « Data Tuning », que nous sommes parmi les seuls à utiliser aujourd’hui au LOSC. Ce procédé consiste, en partant du principe que tous les clubs regardent peu ou prou en fonction du poste les mêmes données, à améliorer ses données par l’entraînement, sans agir sur la qualité intrinsèque du joueur, pour le rendre plus intéressant et plus cher à la revente. Ce sont des choses qu’il m’est arrivé de faire pour des joueurs au PSG ou à l’ASM. Il nous arrive donc de mettre en avant les données pour augmenter le prix à la revente des joueurs, d’autant que le LOSC est fort d’un historique de très bon vendeur.
Un recrutement uniquement basé sur la data, comme cela a pu être le cas pour le téfécé, ne risque-t-il pas d’engendrer une négligence de l’aspect humain ?
Je connais le responsable du recrutement du Toulouse FC, Brendan MacFarlane et je ne pense pas qu’il ait utilisé uniquement la data pour le recrutement. Mais je crois que vous avez souligné le juste point. Nous disposons aujourd’hui d’énormément de données physiques et technico-tactiques. Néanmoins le principal facteur de réussite d’un joueur correspond à ce qui est situé au-dessus du cou, c’est-à-dire le mental, la capacité à résister, etc. Le parallèle avec un manager est d’ailleurs tout à fait trouvé. C’est peut-être ce que j’ai appris à emlyon qui me sert le plus : la faculté à accompagner mentalement les joueurs et l’évaluation des profils à recruter. De plus en plus de clubs, et c’est quelque chose d’assez confidentiel, mettent en place des indicateurs d’évaluation psychologique, avec une multitude de critères, une multitude de tests, etc. Le football n’est pas que technique, tactique et physique. C’est aussi mental.
“L’enjeu de l’utilisation des données dans le football est de les rendre compréhensibles par les joueurs ou le staff.”
Vous êtes passé par le PSG, l’AS Monaco et êtes aujourd’hui au LOSC. Est-il aujourd’hui absolument nécessaire pour les clubs de s’appuyer sur la data pour être compétitifs ?
C’est ma conviction personnelle. Nous avons chacun nos visions à défaut de nos paradigmes. Le modèle de Liverpool, encore plus que celui du Toulouse FC, m’inspire particulièrement. Ce qu’ils ont réussi à faire avec Sadio Mané ou Mohamed Salah, avec un recrutement s’appuyant en grande partie sur la data est une source d’inspiration. Cela a permis à ce club de grandir énormément. A plus petite échelle, des clubs comme Brentford sont aussi de bonnes sources d’inspiration.
On aime le sport pour son côté imprévisible, n’y a-til pas un risque de dénaturer le sport avec de plus en plus d’analyses ?
Il y a 3 étapes dans la connaissance. La simplicité de l’ignorant, la complexité de la connaissance et la simplicité de la connaissance. Comme tout un chacun, j’ai évolué. Il y a eu des moments dans ma carrière où je me focalisais énormément sur la data. D’autres où je me suis focalisé surtout sur la tactique, au moyen d’analyses extrêmement détaillées. Et progressivement, plus on engrange de l’expérience, plus on s’aperçoit que si tout est important, vous ne pouvez pas échapper à la complexité et à l’imprévisibilité du football.
“Dans certains contextes la tactique est là pour rassurer les joueurs […]”
Je vais vous donner un exemple : nous avons récemment joué le derby du Nord, victoire 1-0 contre Lens. En première mi-temps les 2 équipes étaient très fébriles émotionnellement. Nous avions préparé les choses tactiquement et dans ce genre de match, la tactique sert davantage à rassurer émotionnellement les joueurs et créer du doute. Au bout de 10 minutes de jeu, parce que nous avions préparé une nouveauté, les joueurs de Lens sont allés voir leur coach sur le banc parce qu’ils étaient perturbés. Nous avons créé du doute dans la tête de l’adversaire.
Dans ce genre de match, avec énormément de pression, et ce fut la même chose l’an dernier en Ligue des champions, l’impact psychologique et émotionnel est très fort et très pesant sur les joueurs. Dans certains contextes la tactique est là pour rassurer les joueurs, pour leur donner un cadre et qu’ils se sentent en confiance pour jouer au maximum de leur potentiel. Est-ce que cela dénature le foot ? Je ne pense pas, cela le change assurément. Par exemple, en centre de formation, on apprend au joueur de foot moderne à sélectionner ses zones de tir. Le football évolue mais n’est pas dénaturé.
Il y a une grosse composante psychologique dans votre métier, dans l’accompagnement des joueurs.
Oui parce que nous sommes dans l’humain, dans la matière humaine. Manager les équipes où aider les collaborateurs à donner 110% de ce qu’ils peuvent donner, les aider chaque jour à se dépasser, les aider chaque jour à être meilleur que la veille, à en savoir plus que la veille sur leur sport nécessite un accompagnement humain.
A titre personnel, arrivez-vous toujours à profiter, vibrer et prendre du plaisir malgré votre regard objectif et analytique ?
C’est un métier mais il y a des moments de grande joie. J’ai eu la chance de pouvoir être champion de France avec le LOSC, dans un vestiaire qui a gagné beaucoup de titres avec le Paris Saint-Germain et plus récemment j’ai vécu la communion lorsque nous avons gagné le derby du Nord. J’étais tout simplement heureux de voir tous ces supporters lillois communier avec les joueurs, de voir les joueurs heureux. Dans ce sport, nous sommes heureux de voir les émotions que les résultats du LOSC peuvent procurer aux supporters.
Vous faisiez partie du Bureau des Sports Mandat 2012, quel souvenir en gardez-vous ?
Je garde le souvenir d’une vague de réappropriation des équipes sportives d’emlyon ou plutôt le début d’une ère nouvelle. Dans la lignée des « Red Lions », fraîchement rebaptisés, nous avions réussi à impulser une nouvelle dynamique. J’exerçais des responsabilités au bureau des sports mais aussi à la section foot. Ceux qui ont poursuivi ont réussi à devenir champion de France plusieurs fois. Nous souhaitions recréer une ferveur autour des équipes collectives d’emlyon.
Que préférez-vous dans votre métier ?
Se confronter à des défis qui parfois semblent impossibles, à 2, avec les joueurs. Vivre ce chemin fait de doute dans les moments difficiles, d’euphorie qu’il faut immédiatement combattre après les bons matchs. Sentir que l’on avance ensemble, que l’on aide non seulement le joueur à mieux se connaitre sur le terrain, mais aussi l’homme à avancer plus vite dans sa vie.
Quand j’étais à l’AS Monaco, Aurélien Tchouaméni, pas encore titulaire vient me voir et me dit « dans un an je dois être une référence à mon poste et sélectionné en Equipe de France », le challenge était conséquent, il y a eu comme dans n’importe quel destin de nombreux points de bascule mais il a su atteindre ses objectifs, en avance sur tous les temps de passage. Être témoin de son évolution, comme de celle de nombreux autres joueurs, m’a enrichi humainement. Dans le développement individuel, faire face à un problème à 2 avec votre joueur et l’aider modestement à trouver les outils, qu’ils soient techniques ou psychologiques, pour qu’il le surmonte, vous rend fier du chemin accompli.
Vous avez commencé votre carrière en travaillant pour le Paris Saint Germain, comment faire pour intégrer un club de football professionnel ?
J’ai sincèrement eu énormément de chance. J’avais déjà cette passion pour le football, ceux que je coachais avec les Red Lions s’en souviendront (rires) car je coachais l’équipe. Je voulais basculer vers la partie technique et tactique. Lors de mes années à emlyon, Rémi Garde était l’entraîneur de l’OL. Toutes les semaines, il y avait un entraînement ouvert au public et toutes les semaines j’allais donner un rapport écrit d’analyse du prochain adversaire à Rémi Garde pour essayer de me faire repérer. J’ai dû faire ça pendant 18 mois sans jamais obtenir de réponses. J’ai tenté bien d’autres clubs, sans jamais de réponse non plus.
“Dans ce sport, nous sommes heureux de voir les émotions que les résultats du LOSC peuvent procurer aux supporters.”
J’ai intégré le Paris Saint-Germain en tant que stagiaire chargé de projets au développement international, tout à fait en connexion avec ce que je faisais à emlyon. Puis j’ai eu la chance via l’adjoint de Carlo Ancelotti puis du Président Létang d’avoir ma chance sur l’analyse de l’adversaire et du recrutement. Des gens ont choisi de me donner une chance, mon seul mérite a été de ne pas lâcher avant de l’obtenir ni depuis. Le football nous offre bien plus de bas que de hauts. En cela c’est une excellente école de la vie.
Quelle sera la place du LOSC en ligue 1 à la fin de l’année ?
Notre objectif est clair mais il doit rester au sein du vestiaire, nous allons tout faire pour l’atteindre (rires).