A la croisée des domaines, atti rant à la fois les passionnés de foot comme les néophytes des crypto-monnaies et des NFT, Sorare a vu son chiffre d’affaires croître exponentiellement en deux ans seulement, pour s’imposer comme un acteur phare de l’écosystème start-up en France. Porte-étendard de la sportech française et acteur emblématique du Web3, retour sur la célèbre licorne tricolore, sur ses spécificités, les enjeux qu’elle rencontre ainsi que les critiques que l’entreprise soulève.
Par Transaction,
Un développement rapide marqué par une levée de fonds historique
Lancé en 2019 par Nicolas Julia (PGE emlyon 2011) et Adrien Montfort, Sorare est un jeu de simulation sportive, basé sur la blockchain Ethereum. Le fondateur et CEO de l’entreprise, Nicolas Julia, est diplômé d’emlyon et de la Hanken University. Ses débuts de carrière se font, comme bon nombre d’étudiants de l’école, dans le domaine du conseil en stratégie chez Eurogroup Consulting, puis en tant que VP Opération chez Stratumn, où il découvre son intérêt pour la blockchain, et rencontre son cofondateur, Adrien Montfort.
Le principe du jeu est assez simple : achat, vente et gestion d’une équipe sportive virtuelle via des cartes de joueurs numériques. Le jeu compte, en 2022, plus de 2 millions d’utilisateurs, et s’est étendu à plusieurs autres sports comme le basketball ou le baseball. Dans ce modèle, les joueurs/utilisateurs achètent et collectionnent des cartes virtuelles de célèbres footballeurs dont la traçabilité et l’authenticité sont assurés par la blockchain. La rareté et les statistiques de ces cartes dépendent également des performances réelles des joueurs, pour les clubs et championnats partenaires qui acceptent de proposer des NFT à l’effigie de leur équipe. Ces clubs touchent ensuite une commission allant de 5 à 15% sur les ventes des cartes lors de leur première introduction sur le marché primaire via des ventes aux enchères.
Sorare est également une des licornes françaises les plus valorisées en bourse. Lors de son dernier tour de table, en septembre 2021, l’entreprise lève 680 millions d’euros et devient, avec 4.3 milliards d’euros de market-cap, la start-up française la plus valorisée à cette période tout en opérant la plus grosse levée de fonds pour une licorne française.
Les précédents tours de financement qu’a connu l’entreprise sont :
- 550.000 euros de la part de Xavier Niel en 2019
- 4 millions d’euros en Juillet 2020
- 40 millions d’euros en février 2021 de la part de nombreuses stars du football dont Antoine Griezmann et Gerard Piqué
A noter également qu’un un accord pourrait très prochainement être conclu entre la licorne tricolore et la Premier League anglaise pour un montant de 30 millions de livres par an. Les joueurs de 20 clubs anglais intégreraient alors le catalogue de Sorare. Les équipes de football d’Outre-Manche pourraient dès lors proposer par le biais de la licorne tricolore des NFTs à l’effigie de leurs joueurs tout en investissant un secteur en plein essor.
Marché des échanges et trading sur la plateforme
Sorare permet aux fans de football, mais pas que, d’investir et de gagner des crypto-monnaies convertibles en monnaie réelle. Une fois son équipe de cinq joueurs créée gratuitement à l’inscription, il est possible de gagner des ETH (Ethereum) à chaque journée de championnat dans le monde réel. Il suffit de s’inscrire à des tournois proposés sur la plateforme avec un nombre limité de participants. En fonction des performances et statistiques des joueurs lors des matchs, un nombre de points est attribué à chaque joueur pour obtenir une note globale de l’équipe. Plus le score est élevé, plus les prix sont importants. Par exemple, les trois premiers encaissent 0.2, 0.3 et 0.5 ETH. Un score de minimum 205 points permet un gain immédiat de 0.01 ETH. Au-delà de 250 points, la récompense est de 0.02 ETH. Les bons managers cherchent à constituer une équipe équilibrée et solide pour s’assurer d’encaisser au quotidien des jetons ETH. Pour ces joueurs, il est donc impératif d’acheter des cartes au fur et à mesure pour s’offrir le plus de chances de réussite, soit avec une carte bancaire, soit directement avec de la cryptomonnaie Ethereum, via la blockchain StarkWare.
Enfin, parlons de la dimension trading de Sorare… L’autre point très attractif pour les amateurs d’investissement potentiellement juteux est que ce jeu de fantasy foot est très différent d’autres jeux du genre. Certes, l’inscription est gratuite mais il prend tout son sens si le joueur joue son rôle de manager à fond en se lançant dans son propre mercato. Le plus intéressant financièrement réside dans la plateforme d’achat – revente de cartes NFT. Cela fonctionne comme un marché secondaire directement intégré à l’interface, où les joueurs mettent aux enchères leurs biens numériques afin d’en obtenir le meilleur prix. Certaines cartes sont émises en plusieurs exemplaires (moins chères) tandis que d’autres sont uniques (les plus chères), et peuvent ainsi se revendre au prix d’or. L’objectif numéro 1 est d’acheter des cartes de football Sorare à l’enchère la plus basse et de les revendre aux enchères à une valeur plus importante.
L’une des clés pour les managers est de suivre régulièrement les actualités du foot pour connaître la cote de chaque carte. Un joueur en forme prendra de la valeur, là où un joueur blessé en perdra. Autre astuce stratégique de manager : acheter une jeune recrue prometteuse et attendre quelques saisons qu’elle s’épanouisse dans un club et la revendre au prix fort. Un placement à long terme qui peut rapporter des milliers d’euros en cryptos. Pour ces néo-investisseurs, il est donc impératif de s’intéresser de près à l’actualité du foot pour se donner toutes les chances de réussir sur la plateforme Sorare. De nombreuses données font évoluer le score / la rareté d’une carte telles que l’état de santé d’un joueur (blessure, titularisation en match, membre de l’équipe première, âge), ses résultats (buts marqués, performances physiques, victoires, clubs et ligues prestigieuses) et le calendrier des championnats (début, résultats, fin). L’ensemble de ces actualités contribuent à profiter d’un état des lieux réaliste des futures transactions et composition d’équipe.
Contrairement à d’autres jeux du genre qui proposent une expérience purement virtuelle (profil joueur, match, déroulement des saisons, etc.), Sorare est ancré dans la réalité. C’est donc une alternative très intéressante aux placements financiers plus classiques, et qui permet de se lancer dans le trading de cryptos sans tout comprendre au système de blockchain…
Un modèle qui fait débat et qui cristallise les enjeux autour du Web3
Le modèle de Sorare ne fait néanmoins pas l’unanimité, notamment du côté des régulateurs. Après une enquête de la commission britannique et une interdiction d’exercer en Suisse, c’est maintenant au tour de la France, via l’Autorité Nationale des Jeux (ANJ) chargée de réguler les jeux d’argents, de s’interroger sur la nature de la licorne tricolore. Par jeu d’argent, il faut comprendre ici “toutes opérations offertes au public, sous quelque dénomination que ce soit, pour faire naître l’espérance d’un gain qui serait dû, même en partie, au hasard et pour lesquels un sacrifice financier est exigé de la part des participants”. On comprend ainsi que Sorare navigue de manière assez sensible entre le jeu de football fantasy traditionnel et le jeu de paris, tout en profitant d’un flou juridique sur cette question et en échappant par ailleurs aux régulations sur les crypto-monnaies. Pour l’entreprise, il ne fait en revanche pas de doute que leur activité ne relève en rien du jeu d’argent, dans la mesure où, selon leurs dires, aucune notion de “mise” n’entre en jeu et que les cartes ne disparaissent pas après les matchs.
Si l’ANJ doit s’exprimer sur ce sujet dans les prochaines semaines, les enjeux autour de cette classification sont importants à plusieurs niveaux. Pour Sorare tout d’abord, qui serait alors soumis à des taxes supplémentaires dans le cas où l’ANJ pencherait pour une classification dans les jeux de paris sportifs, et qui pourrait voir sa capacité à conclure des partenariats avec des clubs, désireux de profiter de l’engouement autour des NFT pour diversifier leurs sources de revenus, entravée. D’autre part, cette décision, qui fera sans doute cas de jurisprudence, pourrait aussi mettre des bâtons dans les roues du gouvernement, qui s’efforce d’imposer la France comme leader du Web3 et comme “hub mondial” de l’univers crypto. Jean-Noël Barrot, ministre de la transition numérique, a d’ailleurs lui-même appelé les régulateurs à faire preuve “d’agilité” tout en protégeant les utilisateurs, afin de ne pas brider l’innovation…
Au-delà du simple cas de Sorare, cela pose aussi la question de la mise en place d’un mode de régulation et d’une législation spécifique aux NFTs, afin de protéger les consommateurs sans obérer le développement ces dernières. Reste donc à voir ce qui ressortira du rapport d’enquête de l’Inspection Générale des Finance, visant à clarifier le statut des NFTs et à établir des pistes de réglementations… étapes indispensables pour assurer un développement durable et sain des nouveaux acteurs du Web3, et dont la France veut se faire le représentant.