Nouveau record pour la FoodTech. La start-up Umiami, spécialisée dans la production d’alternatives végétales à la viande, vient d’annoncer une levée de fonds pour un montant de 26,5 M€. C’est la plus grosse levée de fonds en série A (ndlr : les levées de fonds sont catégorisées en fonction du moment où elles sont réalisées et de leur objectif : pré-seed, seed, série A, série B, série C) réalisée sur ce marché des alternatives végétales en Europe. Le record était détenu jusque-là par la start-up La Vie, qui en janvier 2022 a annoncé une levée de 25 M€ pour accélérer le développement de la production de gras végétal qui reproduit le goût et la texture du gras de viande de porc.
La foodtech est une puissante machine à lever des fonds. Ses licornes viennent concurrencer les grandes entreprises, PME, et TPE de l’agroalimentaire qui peinent à tenir la distance face à ces entreprises de plus en plus innovantes. Tour d’horizon de cette révolution par Genius…
Par Inès Anseur, membre de Genius
L’agroalimentaire : un secteur peu innovant ?
Premier secteur industriel en France, l’agroalimentaire compte près de 18 000 entreprises dont 98% sont des PME/TPE. Dans cet environnement hyper-concurrentiel dont l’activité repose sur la théorie dite “de la courbe de vie des produits”, l’innovation est un enjeu majeur pour assurer rentabilité et pérennité. Un produit transformé a une durée de vie limitée et ses ventes stagnent, voire chutent lorsque son pic de maturité est atteint. Les entreprises de l’agroalimentaire doivent donc constamment innover pour répondre aux attentes des consommateurs telles que la qualité, les bénéfices pour la santé, le respect de l’environnement, ou encore le bien-être animal. Les entreprises de l’agroalimentaire font effectivement face à de nouvelles tendances de consommation qui correspondent aux enjeux environnementaux et sociétaux actuels. Elles sont ainsi dans l’obligation de penser, concevoir et développer le produit qui prendra la relève de celui en déclin. A titre d’exemple, Danone a amorcé un virage vers le bio en développant une gamme exclusive au moment où les yaourts classiques perdaient de la vitesse.
Toutefois, l’agroalimentaire a davantage recours à des innovations incrémentales. Kevin Camphuis, cofondateur de l’incubateur spécialisé dans la FoodTech ShakeUp Factory, explique que « ça fait cinquante ans — voire depuis la seconde guerre mondiale — qu’on fait pousser, qu’on transforme, qu’on emballe et qu’on vend les mêmes produits à peu près de la même manière. Depuis cinq ans, la révolution technologique est en train de tout chambouler». Il est difficile pour ces entreprises traditionnelles dont les manières de faire sont bien ancrées, de mettre au point des innovations de rupture. Il n’est donc pas étonnant de constater un essoufflement des acteurs historiques face aux innovations de rupture portées par la FoodTech et ses start-ups.
Une FoodTech qui bouscule ce secteur vieillissant
Depuis quelques années, des start-ups apportent des modifications aux modèles de services pour l’alimentation grâce aux nouvelles technologies, à internet ou encore aux réseaux sociaux. La FoodTech est un écosystème composé de start-ups qui créent et implémentent des “innovations sur toute la chaîne de valeur alimentaire, de la la ferme à l’assiette, en passant par la production, le transport, la transformation, la distribution, la consommation et le recyclage” explique Nadia El Hadery, fondatrice de YFood, plateforme qui promeut l’innovation dans le secteur de la FoodTech. Ces start-ups, qui ont commencé à voir le jour il y a quelques années en réponse d’une part à la crise climatique que nous connaissons et d’autre part à la pandémie, font aujourd’hui concurrence aux PME et TPE de l’agroalimentaire qui ont difficilement les capacités de suivre la cadence imposée par ces premières.
La sonnette d’alarme a été tirée par les nombreux rapports du GIEC : il est aujourd’hui nécessaire d’adopter une consommation plus durable. Il est notamment nécessaire de diminuer l’élevage intensif, polluant et important consommateur de ressources. En effet, d’ici 2030 ou 2035, 10 % à 15 % des protéines consommées dans le monde pourraient être des alternatives à la viande. Il n’est donc pas étonnant de voir apparaître de nombreuses start-ups éclore pour apporter des solutions plus durables. C’est notamment le cas d’Ÿnsect, jeune start-up française qui commercialise des insectes comme protéines alternatives, ou encore d’Oatly, start-up suédoise qui commercialise du lait végétal à l’avoine et qui a levé 180 millions d’euros en 2020. D’autres start-ups souhaitent bouleverser la manière de produire en promouvant des productions locales et éco-responsables, à l’instar d’Infarm, jeune seed allemande qui installe des fermes urbaines dans les magasins. Ces start-ups souhaitent accompagner le changement, et même en devenir les instigatrices.
La crise de la Covid-19 a bouleversé nos sociétés, nos économies et également nos manières de consommer. Il a fallu s’y adapter et inventer de nouvelles solutions de distribution. La FoodTech a été particulièrement marquée par la pandémie, redoublement de créativité pour accoucher de services de livraison à domicile, que cela soit des courses ou des plats préparés par des restaurants. Cajoo, Gorillas, Getir, Picnic… ces solutions de quick commerce se sont multipliées ces dernières années. Elles appuient leur développement sur des dark stores, ces entrepôts qui servent à préparer les commandes express passées sur internet. A titre d’exemple, Gorillas, licorne allemande qui a levé en septembre 2021, 950 millions de dollars (soit 809 millions d’euros). En moins d’un an, Gorillas a connu une croissance fulgurante en réalisant trois levées de fonds et en réunissant au total plus d’un milliard d’euros. En France, elle a ouvert 23 dark stores en moins de 6 mois à Paris, Lyon, Lille, Marseille, Bordeaux et Nice. Le secteur du quick commerce a le vent en poupe : il a attiré 6 milliards d’euros de levées de fonds en 2021. La FoodTech attire donc de nombreux investisseurs et notamment de prestigieux CEOs et fonds de capital-risque.
La FoodTech séduit de prestigieux investisseurs
La FoodTech s’impose comme la solution pour relever les défis alimentaires d’aujourd’hui et de demain, ce que le secteur de l’agroalimentaire peine aujourd’hui à faire. De nombreux investisseurs de la FoodTech partagent cet avis et notamment Bill Gates qui affirme que « Pour faire simple : il n’est pas possible de produire assez de viande pour neuf milliards d’êtres humains ». Le philanthrope pense ces nouvelles technologies et solutions tels que des outils pour lutter contre la faim dans le monde. Il a notamment investi dans Beyond Meat aux côtés de deux fondateurs de Twitter, Evan Williams et Biz Stone. Le cofondateur de Google, Sergey Brin, a financé un projet de premier steak in vitro. Peter Thiel, ancien PDG de la plate-forme de paiement PayPal, et Vinod Khosla, par l’intermédiaire de son fonds de capital-risque Khosla Ventures sont également intrigués par ces solutions innovantes.
Les investissements dans la FoodTech se sont renforcés ces dernières années. En 2012, 350 millions de dollars (253 millions d’euros) ont été investis dans des start-ups de l’agroalimentaire selon le cabinet d’études CB Insights. En 2008, les investissements ne dépassaient pas les 50 millions de dollars. Au total, des milliers de start-ups à travers le monde ont levé près de 170 milliards d’euros en moins de dix ans.
Des milliers de start-ups proposent des solutions toutes plus innovantes les unes que les autres et ont construit une nouvelle économie de l’alimentation. Mais qu’en est-il des start-up françaises ?
La France, championne en la matière
Bien que la FoodTech soit aujourd’hui largement dominée par les Etats-Unis, d’autres pays tels que la Corée du Sud, le Japon, l’Inde ou encore Israël se battent pour rivaliser avec les start-ups américaines. La France, elle, réussit à se faire une place dans le Top 5. En effet, en 2021, les start-ups françaises de la FoodTech et de l’AgriTech ont dépassé le milliard d’euros de levées de fonds. Les entreprises françaises se distinguent sur certains produits notamment les alternatives aux pesticides et engrais chimiques, ou encore la gestion des surplus alimentaires et des déchets. La France est même sur le point de devenir le leader mondial des produits à base d’insectes comestibles d’après Kevin Camphuis.
On ne cite plus TooGoodToGo, LaRucheQuiDitOui, Jow ou encore Frichti qui ont conquis les français. D’autres start-ups proposent des solutions plus méconnues. A titre d’exemple, Cryolog, une jeune start-up nantaise a mis au point une étiquette intelligente qui permet de refléter l’état de conservation d’un aliment. Cette solution permet de réduire de 35% le gaspillage alimentaire. Enfin, de nouvelles solutions font sensation, notamment Choco, nouvelle licorne française qui vient de lever 102 millions d’euros. Elle propose de révolutionner les relations entre les restaurateurs et leurs fournisseurs permettant ainsi un gain de temps, moins d’erreurs dans la chaîne d’approvisionnement, et moins de gaspillage.
Quel avenir pour la FoodTech ?
La FoodTech est un secteur où idées et projets foisonnent mais qui fait également face à des freins législatifs et sociaux. Il s’agit d’un secteur qui touche de près à la santé des consommateurs. Il est difficile de créer un produit alimentaire face aux enjeux de sécurité sanitaire que l’alimentation représente. Ce secteur est fortement encadré par la loi : il n’était pas possible de commercialiser des insectes comestibles en France jusqu’en 2021. Le cadre législatif peine à évoluer au même rythme que l’innovation technologique entreprise par les start-ups de la FoodTech. Ces dernières doivent donc redoubler d’exigence et de vigilance dans leurs produits afin de rassurer les consommateurs.
Cependant, le frein le plus important à l’essor de la FoodTech et à ses solutions reste le consommateur. Il est difficile de changer les habitudes de consommation. Qui plus est, il se peut que les habitudes de consommation adoptées pendant les confinements successifs disparaissent avec le déconfinement et la réouverture des commerces. D’après les données proposées par les start-ups, ces dernières n’ont en effet réussi qu’à fidéliser une faible partie de leur clientèle : 30% des consommateurs utilisaient encore les services de La Belle Vie en juin 2020, 20% utilisaient encore ceux d’Epicery, et 12% utilisaient encore ceux de La Ruche Qui Dit Oui.
Quoi qu’il se passe, le client reste roi et décidera de l’avenir de la FoodTech dans les années à venir.