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Nintendo : comment révolutionner l’industrie du jeu vidéo

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Nous sommes en 2021. L’année précédente, 2020, a été une très dure année pour le marché de la culture, et la pandémie de COVID-19 sévit encore à l’heure où j’écris cet article. Le marché de la culture désigne l’ensemble des activités artistiques ou culturelles produites sur un territoire donné. Elle désigne donc le jeu-vidéo, la musique, le cinéma, la vidéo, la radio, les livres, le théâtre ou encore les musées. Selon le gouvernement, la culture représente environ 3,2% de la richesse, soit 104,5 milliards d’euros. C’est donc un marché intéressant, et plutôt profitable pour notre pays. En revanche, aujourd’hui, l’impossibilité pour les quelques 670 000 personnes employées dans ce marché d’exercer leurs métiers impacte fortement cette richesse nationale. Étant l’un des secteurs qui m’intéresse le plus, j’aimerais parler de la plus grande industrie culturelle au monde : le jeu vidéo. Selon CNEWS, l’industrie vidéoludique pèse plus que l’industrie cinématographique et musicale réunie, c’est pour dire. Parmi les entreprises qui dominent le secteur, une en particulier adopte une approche différente de la concurrence : créatrice de rêves, de messages d’espoirs aux enfants et référence dans l’industrie du jeu vidéo, je veux bien entendu parler de Nintendo.

Avant de voir en quoi Nintendo se démarque de ses concurrents, faisons d’abord un rappel sur l’histoire de la marque nippone.

Photo de Ryan Quintal sur Unsplash
Photo par Ryan Quintal sur Unsplash

Les origines de Nintendo

En 1980, l’artiste Shigeru Miyamoto crée le jeu Donkey Kong. Comme l’explique le site officiel de Nintendo, “le héros, tout d’abord nommé Jumpman, est un menuisier chargé de sauver sa belle, Pauline, des griffes d’un gorille fou. Le nom de Jumpman change après l’ouverture du siège de Nintendo of America par Nintendo Co., Ltd. Jumpman ressemblait fortement au propriétaire des nouveaux bureaux, un certain Mario Segali… Jumpman devient alors Mario” Le jeu est un succès mondial, et l’entreprise enchaîne rapidements les hits avec sa console phare, la NES (Nintendo Entertainment System), qui fera connaître la marque. Parmi les licences les plus connues alors développées par Nintendo, on peut retrouver Super Mario Bros., Metroid ou encore The Legend of Zelda. Au fil des multiples avancées technologiques, et face à l’apparition des concurrents, Nintendo propose aussi des consoles portables, qui créeront une véritable dyade stratégique pour la marque. Les consoles de salon sont orientées vers la convivialité de jeu, en famille, tandis que les consoles portables permettent de jouer partout en vivant de véritables aventures virtuelles. Nintendo a réussi à devenir un incontournable, mais cet historique n’explique pas comment. Dès lors, qu’est-ce qui a permis à l’entreprise d’avoir un tel succès parmi les joueurs, et au-delà ?

La stratégie gagnante de Nintendo

Hiroshi Yamauchi, arrière-petit-fils du créateur de Nintendo et président de l’entreprise, a choisi de s’armer de créateurs, de personnes créatives pour mener son entreprise. Il n’a pas choisi la puissance de calcul, le hardware très poussé, mais a choisi de travailler le gameplay comme explique très bien l’article de Stéphane Bole. Nintendo n’a pas développé des jeux avec des graphismes époustouflants, mais ils se sont concentrés sur ce que le joueur pouvait ressentir, et sur la manière de rendre le jeu attrayant pour tous les publics. Ils ont donc conçu des manettes simples, intuitives, ergonomiques, et des consoles avec des boutons simples et apparents. Ils ont concentré leur R&D (recherche et développement) sur ce domaine, et c’est une des raisons qui explique les prix plus faibles de leurs consoles. Avec cette stratégie, Nintendo a donc réussi à réduire ses coûts tout en séduisant facilement les joueurs. En plus de proposer des consoles à prix plus faibles, les jeux offerts étaient proposés à tous, puisque qu’ils suivaient la même logique de simplicité et d’intuitivité. Pour reprendre l’exemple de l’article, Mario Kart a beaucoup plus séduit les joueurs qu’un Gran Turismo, qui est un jeu de course difficile d’accès sans plusieurs heures de jeu, et qui est n’est pas destiné aux néophytes.

Comment révolutionner son industrie ?

L’entreprise a très bien compris ce concept et l’a utilisé pour la création d’une console qui a révolutionné le jeu vidéo : la Wii. Disposant d’une technologie de reconnaissance des mouvements alors jamais vue, cette console au principe atypique a ouvert tout un champ de possibles :

  • Une première vraie immersion dans le jeu vidéo, avec la possibilité de transposer des gestes réels dans un monde virtuel
  • Un moyen de se défouler et d’être actif tout en s’amusant
  • Le développement de jeux sportifs plus réalistes
  • La création d’accessoires pour personnaliser son expérience

S’il peut sembler anecdotique, ce dernier point est en réalité très important, car il a permis à l’entreprise de concevoir des objets complémentaires à la console, pour des jeux spécifiques.

  • Le volant, pour jouer à Mario Kart
  • La “Wiifit”, une balance connectée permettant de faire du fitness
  • Le “RingFit”, un arceau flexible s’attachant à la manette d’une Switch

Même si leurs consoles étaient moins chères, la vente d’accessoires permet au groupe Nintendo de rapporter davantage à l’entreprise. De surcroît, si nous devions considérer l’entreprise dans une dynamique stratégique et donc compétitive, ces accessoires pousse le confort et l’immersion du joueur encore plus loin.

Océan - Photo par Thomas Vimare sur Unsplash
Photo par Thomas Vimare sur Unsplash

Avec cette console, Nintendo créait donc un tout nouvel “océan bleu”. Selon Kim et Mauborgne, l’océan bleu est une “stratégie d’activité qui combine à la fois la différenciation et la domination par les coûts en utilisant l’innovation de valeur pour mettre en place une offre cohérente”. Le principe de cette stratégie est de rechercher de nouveaux espaces stratégiques inexplorés (les océans bleus) en opposition aux “océans rouges” qui représentent les marchés existants où l’intensité concurrentielle est très forte. Cela permet donc d’éviter un affrontement frontal sur le même marché que ses concurrents, en essayant de se différencier suffisamment pour “capturer une nouvelle demande“.

Pour revenir à Nintendo, c’est une des seules entreprises du secteur qui a réussi à proposer des produits pour tous, et notamment à destination des seniors, qui ne sont d’ordinaire pas la cible des jeux. Nintendo a intégré cette catégorie de joueurs directement dans son catalogue de jeux : Wii Sports et Wii Fit permettent par exemple aux personnes plus âgées de pratiquer une activité physique régulière, tout en s’amusant. Auparavant, l’industrie vidéoludique ne s’intéressait qu’aux jeunes, et les développeurs, les éditeurs de jeux vidéo et les constructeurs de console perdaient alors une cible importante. Même si tous les éditeurs n’ont pas pour cible les seniors, c’est un marché stratégique si l’on prend en compte le fait que le nombre de seniors sera supérieur 2 milliards en 2050.

Une authenticité inégalée

D’un autre côté, l’entreprise a su aussi créer des licences exclusives avec un ADN unique, que seuls eux sont capables de distribuer. Cela confère à l’entreprise une véritable aura et une reconnaissance sur le marché, car il est possible de distinguer la patte Nintendo très rapidement dans chacun de leurs jeux. Si chaque console possède ses propres exclusivités (The Last of Us ou God of War pour Sony, ou Halo et Forza pour Microsoft), Nintendo a les licences les plus connues au monde. Elle possède Super Mario, The Legend of Zelda, mais surtout Pokémon, qui est une licence incontournable pour le jeu vidéo, mais pour la pop culture dans son ensemble. Pokémon a même propulsé laGameBoy Color, une console portable de Nintendo qui s’est vendu à plus de 50 millions d’exemplaires, avec les versions “Rouge” et “Bleu”. Le succès de la licence s’est aussi traduit par la création d’un dessin animé et d’un jeu de cartes à collectionner à son effigie.

Game Boy - Photo par Dim Hou sur Unsplash
Photo par Dim Hou sur Unsplash

Nintendo est donc une entreprise qui a non seulement réussi son entrée sur le marché, mais est aussi à l’origine de véritables phénomènes mondiaux, avec des consoles et jeux-vidéos qui ont marqué leurs époques et la pop culture dans son ensemble.

La page blanche

Depuis la fin de l’ère de la Wii, à partir de 2010-2011, la situation s’est néanmoins complexifiée pour la marque nippone. La durée d’exploitation d’une console est généralement comprise entre 5 et 7 ans, et les fans attendaient alors une nouvelle console. Nintendo n’avait jusqu’ici jamais eu d’échecs commerciaux sur ses consoles. L’arrivée de la Wii U sur le marché changera cela, en ternissant pour la première fois l’image de la marque. La console n’a pas plu pour plusieurs raisons : d’une part, elle ressemblait trop à la Wii, et les joueurs ne comprenaient pas sa valeur ajoutée et ce qui la différenciait de la Wii. En effet, le design et la couleur étaient très similaires, et une stratégie de communication peu claire n’a pas aidé les consommateurs à établir cette distinction. De plus, la console proposait un catalogue très pauvre constitué de “remakes”, qui sont des jeux existants réédités avec de meilleurs graphismes, sans autre valeur ajoutée. Ces problèmes, combinés à un prix anormalement élevé pour une console Nintendo, ont tué la console dans l’œuf.

La Wii U, une console au design atypique - Crédits : Nebulous81 (Wikimedia)
La Wii U, une console au design atypique – Crédits : Nebulous81 (Wikimedia)

Le problème du recyclage des jeux de la Wii U est particulièrement intéressant – et actuel -car c’est ce que les fans reprochent aujourd’hui à l’entreprise : proposer en grande partie des “remakes” de jeux existants sans nouveauté et sans innovations. Or, l’entreprise était jusqu’ici connue pour sa capacité à se renouveler, ce qui devient problématique. Depuis 2012, soit bientôt 10 ans, Nintendo n’a pas proposé beaucoup de grands changements, ou innovations. La Switch a connu un vrai succès à son lancement, car l’entreprise a appris de ses erreurs et a pu clairement transmettre ses idées, mais c’est surtout son jeu Zelda Breath of the Wild qui a créé l’engouement de la part des joueurs. C’est l’une des rares fois en 10 ans où l’entreprise a innové, en appliquant et en réinventant la formule “open-world” (jeu en monde ouvert) sur la licence Zelda. La majorité des autres jeux de l’éditeur sont “refaits” : on pourrait citer Super Mario Kart 8 Deluxe, déjà sorti sur Wii U, Link’s Awakening, un remake de d’un jeu Zelda sorti sur Gameboy ou encore Super Smash Bros Ultimate, très ressemblant à celui sorti sur Wii U.

Nintendo, une entreprise en perte de vitesse ?

Les fans, dont je fais partie, attendent toujours la suite de Métroïd et de Metroïd Prime 4 annoncé à l’E3 en 2017 ! La même attente peut être constatée pour Zelda Breath of the Wild 2, dont la sortie est prévue pour 2022, soit 5 ans après la sortie de l’opus précédent. De quoi décevoir les joueurs quand on sait que chaque console a eu son lot de nouveaux jeux, comme Mario Galaxy sur Wii, Wind Waker sur GameCube, Super Metroïd sur Super Nintendo et bien d’autres. Pour continuer, ce qui est étonnant c’est que l’entreprise était à l’origine de beaucoup de révolutions technologiques, comme la 3D dans le jeu vidéo avec la Nintendo64, et le “Z targeting” apparu dans le jeu The Legend of Zelda : Ocarina of Time, qui permettait d’avoir une caméra fixe sur une cible tout en étant capable de faire bouger son personnage. Une prouesse pour l’époque.

Aujourd’hui, l’entreprise lutte de plus en plus à se réinventer et cela constitue l’un des facteurs qui lui fait perdre du terrain face à ses concurrents. Et ce n’est pas le seul problème auquel Nintendo doit faire face.

Nintendo Switch - Photo par Jesper Brouwers sur Unsplash
Photo par Jesper Brouwers sur Unsplash

Si Nintendo a réussi se faire connaître en mettant l’accent sur l’accessibilité de ses jeux pour tous les publics, et non sur des consoles à la puissance inégalée ou sur des graphismes ultra-réalistes, il semblerait que le temps soit venu de changer de stratégie. Un reproche que nous pourrions faire à Nintendo est, justement, de continuer dans leur démarche de proposer des consoles qui laissent la puissance de côté, et des jeux avec des graphismes lacunaires. Les joueurs se plaignent de plus en plus d’une légère lenteur dans la console et de temps de chargement un petit peu plus longs que les concurrents.

Les performances sont un problème de taille, car la Nintendo Switch – qui est pourtant la dernière console du constructeur – est souvent victime de chutes de framerate. Il n’est pas rare que certains jeux passent de 60 à 15 fps (frames per second, ou images par seconde) pendant plusieurs secondes, altérant grandement la qualité d’un jeu et l’expérience utilisateur de la console. Nintendo ne semble plus pouvoir continuer à se cacher de ces lacunes, qui ont certes fait de l’entreprise ce qu’elle est aujourd’hui, mais qui exaspèrent de plus en plus les joueurs. Payer une console au prix fort pour avoir un produit aux performances non satisfaisantes est très frustrant pour un grand nombre de joueurs, car l’expérience de jeu qui en résulte n’est pas à la hauteur des espérances.


Malgré les critiques que Nintendo essuie, l’entreprise semble bien se porter. L’amour et la fidélité des fans envers l’entreprise lui permet d’avoir de bonnes performances financières, mais il reste à savoir si cela peut durer éternellement.

Face à l’innovation constante, l’apparition du cloud gaming (jeu en streaming), le multipartage des jeux et la dématérialisation des consoles, il est probable que l’entreprise perde encore du terrain, à moins qu’ils ne décident pour la première fois d’ouvrir leurs propres services de cloud gaming ou d’ouvrir leurs licences sur d’autres consoles. Il est cependant clair que Nintendo a besoin de se renouveler pour reconquérir le cœur de beaucoup d’aficionados de la marque.

Par Alexandre Didier


Cet article a été publié pour la première fois le 22 juin 2021 sur Hypertext, le blog de l’association Plug’n’Play. N’hésitez pas à y faire un tour pour trouver d’autres articles sur le numérique !


Sources