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À quand le festival de la vulve ?

Par Carole ZHENG

L’année 2019 fut riche en femmes. Riche en femmes qui ont haussé raisonnablement le ton pour se faire entendre dans un monde de personnes rendues sourdes par leurs convictions, leurs idéaux, leur éducation, l’image qu’elles se donnent de la réalité à travers un prisme obtus.

Que ce soit Greta Thunberg, élue personnalité de l’année selon The Times, Christine Lagarde, devenue la première femme à la tête de la BCE, Ursula von der Leyen, première femme présidente de la Commission européenne, Sophie Viger, devenue directrice de l’école 42 avec son ambition de féminiser le secteur de la tech, l’irrépressible et puissante chancelière allemande Angela Merkel en passant par Meghan Markle qui a fait rayonner la position moderne de la femme au sein de la famille royale britannique ; ces femmes ont toutes marqué l’année 2019 et incarnent de nouveaux modèles de réussite au féminin.

J’ai voulu dresser ici un panoramique non-exhaustif des personnalités féminines de l’année 2019 afin de mettre en lumière ces petits pas pour la femme qui font un grand pas pour l’humanité. Mais venons-en à ce festival du pénis qui a lieu tous les printemps au Japon et qui m’intrigue tant – le Kanamara Matsuri. Cet événement met en avant le sexe masculin sous toutes ses formes le temps d’une journée, le premier dimanche d’avril. Il attise l’excitation, la curiosité et la vénération des hommes et des femmes pour cet organe, qu’il soit en bois, en fer, en bonbon, en chocolat, en glace, sculpté dans un légume ou en plastique… L’imagination et l’anatomie sont les seules limites ! Selon une légende, la tradition japonaise veut que ce pénis de fer ainsi célébré apporte fertilité et prospérité aux jeunes gens. La fertilité, me semble-t-il, reste l’affaire de deux personnes. Des spermatozoïdes, aussi rapides et puissants soient-ils ne peuvent rien si l’ovule leur pose un lapin. Pas d’ovule, pas de fécondation. Dès lors, à quand le festival de la vulve ?

Derrière ces cérémonies, ce n’est pas seulement la fertilité qui est célébrée, mais aussi le pouvoir au masculin. Le sexe féminin a été bien trop longtemps sous-estimé et considéré comme le « sexe inférieur ». Aujourd’hui encore, avoir ses règles – ou comme on les appelle, les « ragnagnas » – est synonyme de tabou dans la société et de malheur dans certaines cultures asiatiques. Au Népal ou en Inde par exemple, les femmes qui ont leurs règles ne peuvent pas pénétrer dans les temples ni aller à l’école et doivent se retirer de la société – partir littéralement en exil –, car considérées comme impures par leurs pairs. Les femmes qui viennent d’accoucher sont frappées par la même stigmatisation. Les règles font désormais l’objet d’un marché lucratif dont certaines start-ups se sont emparées avec le lancement de serviettes hygiéniques lavables, à motifs, colorées, et autres innovations essentielles. Un outil de banalisation pour cette sécrétion sanguine que Mère Nature a donné aux femmes. Et pourtant certaines publicités pour les produits hygiéniques à la télévision continuent d’en dissimuler les caractéristiques. Le sang y est encore représenté par un liquide bleu un peu comme si un droit à l’image devait s’appliquer au sang des règles. En réalité, c’est le symbole du tabou que représentent les « problèmes des femmes » dans la société. Accéder à de tels produits devient un investissement important, on parle même de « taxe rose » – un surcoût sur des produits féminins qui ne sont pas encore considérés comme des produits de premières nécessités. Doit-on parler de discrimination des sexes par les prix ?

Alors que dans certains pays les femmes sont contraintes de fabriquer des protections de fortune pour trouver une alternative aux produits coûteux des grandes surfaces, alternatives qui les exposent à des risques d’infection, l’Ecosse se veut précurseur dans ce domaine du droit des femmes. En effet le mois dernier, le Parlement a voté la gratuité des protections périodiques pour les femmes, ces produits seront distribués dans des lieux comme les pharmacies ou les centres de jeunesse. Bien plus qu’une simple loi, la normalisation des menstruations en Ecosse est une victoire dans le débat des genres comme l’énonce la députée Monica Lennon.

Il faut dire qu’il y a une méconnaissance certaine du sexe féminin dans notre société : qu’est-ce qu’une vulve ? Qu’est-ce qu’un vagin ? La vulve, située en bas de l’abdomen, est formée de l’ensemble des organes génitaux externes de la femme (lèvres, urètre, hymen, clitoris). Plusieurs de ces organes, et particulièrement le clitoris, ont une fonction sexuelle liée au plaisir. Le vagin, lui, relie l’utérus à la vulve. Cette ignorance a conduit à la création de nombreux clichés et images peu valorisantes de la femme ; images malheureusement répandues dans et construites par les cultures et les sociétés. Par exemple quand un Américain dit « Don’t be a pussy ! » à un ami, ce qu’on comprend à travers ces mots c’est que pussy (chatte en anglais) est une métonymie de la femme. Cette expression peut être traduite par « Ne fais pas ta femme » ou « femmelette » comme on l’entend si souvent. Cette expression est devenue emblématique de notre société : dans l’imaginaire collectif, être une femme aujourd’hui c’est être faible. Du moins, c’est être plus faible que l’homme. Mais comme le souligne si bien Trevor Noah dans un de ses stand-up, « the vagina is one of the most powerful things ». Il explique le terme de powerful par un exemple : les femmes sont au cœur de la procréation, elles donnent naissance à un enfant qui sort littéralement du vagin. Selon lui, c’est la prouesse de donner naissance à un être tout en continuant de fonctionner normalement après moultes déformations qui fait la force de l’organe génital féminin. Dès lors, pourquoi pussy et pas penis ? Le clitoris, organe érectile, est l’homologue du pénis. Le reste de la vulve et du vagin forme un tout beaucoup plus vaste que le pénis ! Il serait donc scientifiquement et anatomiquement plus correct de dire « Don’t be a penis ! ».

Aujourd’hui des scientifiques cherchent à trouver les leviers pour faire des menstruations une enzyme catalyseur des performances sportives et intellectuelles des femmes. C’est du moins ce qui a été testé sur l’équipe de football féminine américaine. Leur cycle menstruel serait à l’origine de leur victoire. Vraiment ? En attendant de véritables résultats, mettons à bas ces tabous autour de nos cycles menstruels.

Être une femme n’est pas un handicap contrairement à ce que la société décrète. Être une femme c’est bien plus que la figure érotique de la femme-objet qui apparaît sur les photos Instagram, ces femmes sans vergetures, sans poils, sans rides, ni règles, ni enfant à allaiter. Être une femme, c’est bien plus que cela. Ce qu’on veut ce n’est pas une égalité à tout prix et par là j’entends, une égalité 50/50. En effet, celle-ci serait factice et aurait peu de sens puisque chaque personne a ses propres jauges et ses propres besoins et objectifs de salaire et de carrière ainsi que sa propre vision du bonheur. Ce qu’on veut c’est simplement pouvoir « Être une femme » (Michel Sardou) dans notre tête et dans notre corps et être respectées pour cela.