À la rencontre de Catherine Pardo, professeur de Marketing BtoB à l’emlyon

Quel est votre parcours et pourquoi avez-vous décidé d’enseigner à l’emlyon ? Enfin, pourquoi enseignez-vous le marketing BtoB ?

Alors, mon parcours ne va pas vous étonner, je suis une ancienne de l’école qui s’appelait encore ESC Lyon. Je suis sortie en 1989, j’ai suivi le parcours grande école. J’enseigne un marketing un peu particulier qui est le marketing BtoB ou appelé marketing industriel. C’est un marketing des entreprises dont les clients sont également d’autres entreprises. Ce n’est pas celui qui est le plus enseigné ou qu’on connait le plus mais aujourd’hui une grande partie de l’activité se fait entre entreprises.

Et bien, il y a une tradition à l’école que les étudiants connaissent peu. En effet, il existe un centre de recherche spécialisé sur ce type d’échanges et qui s’appelait l’institut de recherche de l’entreprise qui travaillait en France avec des grands groupes. Ce groupe a rejoint dans les années 70 un autre groupe européen avec la même préoccupation qui était d’expliquer les échanges entre les entreprises et c’est aujourd’hui un des plus en avance (INP).

Voilà la raison principale pour laquelle dans cette école on enseigne ce type de marketing, de plus dans certaines entreprises comme dans des grands groupes industriels il est nécessaire de comprendre les échanges entre entreprises car leurs clients ne seront pas des personnes comme toi ou moi mais des entreprises.

Par la suite j’ai fait un très bref passage dans la banque pour m’apercevoir assez rapidemment que ce n’était pas fait pour moi et c’est à ce moment-là que j’ai rejoint le centre de recherche qui était alors autonome par rapport à l’école et ce n’est qu’en 1998 que j’ai rejoins le groupe emlyon qui ne s’appelait pas encore comme ça à l’époque.

 

Pensez-vous que les étudiants aient véritablement saisi les enjeux du marketing ?

Je pense qu’ils saisissent de plus en plus les enjeux du marketing car le marketing de son côté a fait un effort pour expliquer ce qu’il faisait. En effet, pendant longtemps on a regardé le marketing par un petit de ses aspects, souvent le plus accessible à savoir la communication ou encore la publicité et ça donnait une fausse image de ce qui avait à voir derrière. En BTOB par exemple, le marketing c’est apprendre à bien gérer les relations entre fournisseurs et clients avec un seul objectif qui est de savoir en quoi tout ce que je vais faire (produit/service) va pouvoir aider mon client. Si je veux l’aider, je dois le comprendre lui, ce qu’il fait, mais aussi ce que font ses clients, ses concurrents. Je pense que cela parle plus aux étudiants. Quand on fait du marketing on cherche à créer de la valeur, ce n’est pas seulement financière, ca peut être une valeur d’inscription dans un projet sociétal, ça peut aussi être de la notoriété.  L’objectif final peut être de développer du business. La valeur a cette caractéristique de dire : on veut progresser ensemble et pour certaines entreprises cela peut vouloir dire « respecter l’environnement » et si je suis citoyen de cette entreprise, c’est cet objectif que je prendrai en compte dans mon travail.

 

Pensez-vous que ce soit une une manière de fidéliser le client ?

C’est une manière de faire comprendre au client que si on travaille ensemble, c’est ce qu’il y a de mieux pour lui. On ne lui fait pas comprendre cela en lui racontant des histoires même si le story-telling fait partie du marketing, mais en lui expliquant qu’en travaillant avec toi il pourra obtenir tout ce qui est important pour lui.  Cela change un peu car quand on disait aux étudiants que faire du marketing c’était répondre aux besoins, créer des besoins, les étudiants se demandaient alors comment faire.  Là, ce qu’on dit c’est qu’il faut observer le client et comme si on l’auditait, on se dit que si on pouvait dire aux clients d’agir de telle ou telle manière, je suis sûr qu’il irait un peu mieux, qu’il atteindrait ses objectifs d’une manière plus optimale. Si on présente les choses comme ça, en se focalisant sur l’interaction entre le fournisseur et le client, en comprenant bien que c’est ensemble qu’on essaie de voir les solutions adaptées, je pense que les étudiants comprennent mieux.

Il y a une deuxième dimension qui a beaucoup évolué. Il faut bien voir que gérer une relation avec un client ça ne se comprend qu’au regard de tout ce qui a autour. Par exemple, quand je travaille avec mon client, ça va impacter les clients de mes clients mais pas que, je vais aussi regarder les impacts sur les fournisseurs et sur la société en général, notamment avec les contraintes environnementales. Ça c’est faire du marketing, c’est un peu la gestion de la relation de façon privilégiée avec les clients mais aussi avec tous les acteurs pour que tous les échanges soient créateurs de valeur pour tout le monde, et ce, même si cela peut paraitre naïf. En effet, si quelqu’un n’est pas satisfait, ça deviendra nécessairement problématique à un moment donné.

Je pense aussi que c’est grâce à votre génération, sans doute car vous êtes très ouverts sur le monde que vous arrivez à faire quelque chose qu’on faisait moins auparavant c’est-à-dire comprendre la complexité du monde. En effet, aujourd’hui ce discours sur une approche réseau du marketing, ça vous parle. Je le vois par rapport à mes étudiants, ça leur plait quelque part. Il s’agit de trouver la bonne position pour créer des relations durables et que tout le monde soit satisfait. Les étudiants sont réceptifs à ce genre de chose.

A mon époque on pensait que le marketing c’était le cours pipo ; on avait du mal à y voir le fondamental.

 

Pensez-vous que l’on puisse dire que son importance augmente ?

Avec l’essor du digital il y a quelques années et il faut bien noter que c’est un point de vue personnel, nous avons fantasmé, nous imaginé la disparition du marketing car on pensait que connaitre les comportements des consommateurs serait automatisé demain avec les réseaux sociaux par exemple. On a évolué par rapport à ça sur un aspect simple qui est que ces données sont fondamentales et changent le profil du marketing mais elles restent des données et la façon de les questionner reste l’apanage du marketing. Il faut aussi revenir à des questions simples comme celle qui consiste à savoir « est-ce que je crée de la valeur ? » « Pour qui ? ».

En effet, dans une société comme Uber, un marketeur bien formé pose la question : « uber crée de la valeur pour qui ? » et « en détruit pour qui ? »  Si tu résonnes comme ca tu vois qu’il y a certains chauffeurs pour qui la création de valeur n’est pas aussi idéale qu’on peut l’imaginer. Et on peut faire la même analyse pour deliveroo par exemple.

En marketing, on a ramené sur le devant de la scène les questions basiques qu’on avait perdu de vue avec la technologie et la profusion des informations. En marketing; on souhaite créer de la valeur pour tout le monde car lorsqu’un acteur est mal servi, il a autant de moyen pour aller chercher ailleurs une situation qui sera plus intéressante pour lui.

Ainsi, moi j’ai tendance à dire qu’on entre dans une ère où on va se requestionner sur nos actes marketing à travers la question de savoir si c’est créateur de valeur ou non. Je pense donc que le marketing va reprendre de l’ampleur dans le futur.

 

De quelle manière le marketing va-t-il se développer ?

Le grand changement pour moi aujourd’hui est lié à la DATA. En effet, aujourd’hui si je veux connaitre ton comportement, je peux le faire, en effet, je te vois, je te rencontre, j’ai les réseaux sociaux. Ces informations sont des informations dont la captation et le traitement sont faits aujourd’hui par des experts comme des data analysts ou des data scientists et avec lesquels les marketeurs devront de plus en plus travailler dans le futur. Pour tous les diplomés de cette école, c’est ce qu’on essaie de mettre en place à travers des projets et je suis actuellement un projet dont la moitié des participants sont des étudiants de l’école et l’autre moitié des gens d’epitech donc c’est extrêmement intéressant car ça leur fait mimer ce qui se passera plus tard dans la plupart des entreprises.

Je pense que la prochaine étape sera celle des “smartproduct”, en effet, j’aurai des informations sur toi mais aussi une nouvelle source d’information comme la tasse de café que tu utiliseras et j’aurai la capacité de savoir qu’elle est vide. C’est extrêmement intéressant.

Cependant, globalement le job du marketeur restera le même et tournera encore autour de la question « comment créer de la valeur ? ».

 

Que pensez-vous du marketing sensoriel ?

Il faut le replacer dans tout ce qu’on évoque aujourd’hui, c’est l’expérience client, usager dont l’objectif reste finalement le même qu’auparavant. Je dois comprendre celui que j’ai en face de moi. Je le comprends quand il achète, utilise, parle du produit et je dois par la suite trouver les moyens d’interagir avec lui et donc jouer sur les sens pour pouvoir mieux agir avec lui pour rendre l’expérience encore plus positive.

La réception d’informations va s’enrichir, ca va remonter au marketeur qui aura alors une position centrale et devra développer des propositions de valeur.

Le marketeur, son rôle aussi c’est de combiner, mobiliser des ressources en interne (design, logistiques…), c’est un rôle extrêmement complet.

 

Pourquoi le marketing souffre-t-il parfois d’une mauvaise réputation notamment en école de commerce ?

Encore une fois je pense que c’est parce qu’on l’a mal expliqué au départ, on l’a réduit à une petite partie de ce qu’il est en réalité, on l’a réduit à une partie opérationnelle et très visible à savoir la communication et ce, alors même qu’au départ il était fondé sur la question : « comment faire le lien avec les clients ? ». Cependant, nous avions perdu de vue cela.

La seconde dimension qui pourrait selon moi expliquer cette réputation, c’est parce que le matériel de travail du marketing c’est le comportement des gens. Et donc on se disait que si on peut agir sur le comportement ou l’influencer, on peut agir en bien mais aussi en mal, donc ce pouvoir pouvait donner mauvaise presse au marketing.

Il faut bien noter que le marketing se sert des sciences mais n’est pas une science à lui tout seul. De plus, il n’est pas prédictif. Le marketing, ce sont des pratiques que l’on théorise pour éviter de rater quelque chose qui dans notre analyse nous aurait permis de mieux comprendre les comportements de nos clients, de nos fournisseurs et de mieux mettre en place notre position de valeur. Mais si vous attendez la recette qui marche dans 100% dans ce n’est absolument pas possible.

 

Dans quelle mesure la pratique du marketing a évolué dans les dernières années ?

Sur le rapport investissement/retour sur investissement, il n’y a pas de lien de causalité. On aura toujours une partie de l’équation qui sera inconnue. Par exemple, pour un film, des personnes iront le voir sans que je puisse comprendre pourquoi. Je ne peux pas prédire ni piloter un comportement. Mais, nous assistons à notre époque à une multiplication des éléments qui peuvent fonder un comportement. Avant, pour un film par exemple, il était fondé dans un premier temps par la publicité qu’il y avait sur le film, puis, sur le magazine que je lisais j’avais un deuxième élément, et grâce à l’avis d’amis qui l’avaient vu, j’avais un troisième élément. Aujourd’hui les sources d’informations se sont multipliées, avec instagram, Snapchat, Facebook par exemple et toutes les photos et commentaires qu’on y trouve.  Il y a une multiplication des éléments qui peuvent expliquer la construction d’un comportement. Pour le marketeur je pense que ce sera plus compliqué avec toutes ces informations.

Ce qui change donc c’est l’abondance d’informations et ce qui accompagne cela c’est le changement des rapports de pouvoir. En effet, avant c’était le journaliste cinéma par exemple qui faisait les choses pour les films alors que maintenant par exemple c’est le ou la bloggeuse qui va donner son avis et cela aura une influence importante. Les boites ont compris cela notamment dans le domaine cosmétique. Quand ces personnes-là parlent, tout le monde les écoute. Cependant, on revient tout de même à la question finale, car même avec cette abondance, on peut toujours se poser la question : « qu’est-ce que je dois faire pour que mon film soit un succès ».  

La prédiction devient de plus en plus compliquée. Personnellement j’aurais tendance à penser que chacun de nous va développer des postures de résistances, et cela va encore compliquer la prévisibilité.  

 

Quelles sont selon vous les qualités nécessaires pour travailler dans ce domaine et quels conseils donner aux étudiants qui souhaitent travailler dans ce domaine ?

Pour travailler dans ce domaine il faut selon moi être open-minded, les marketeurs sont des gens qui aiment les gens, il faut comprendre comment ça se passe. Quand je vois ceux qui ont évolué dans ces carrières là ; c’est ce qui les caractérise. Il faut de l’humilité aussi et avoir la conviction qu’on peut faire évoluer les choses, l’envie de réorganiser les créations de valeur dans le monde.

En particulier en BtoB il n’y a pas de barrière, et ce, même pour les gens qui n’ont pas de compétences purement scientifiques, techniques. Il faut des étudiants qui ont envisagé le changement, qui vont découvrir qu’on peut changer les choses. Ils vont découvrir que c’est facile de changer. Le marketing c’est « comment travailler avec les autres pour créer de la valeur pour tout le monde ».

 

Propos recueillis par Victor Alexandrian