Par Alexandra Dumitrescu
8 mars. J’allume ma télé machinalement. JOURNÉE DE LA FEMME -20% SUR LES ASPIRATEURS. Je zappe. FAITES-LUI PLAISIR AVEC UNE NOUVELLE LINGERIE 1 CULOTTE ACHETÉE 1 OFFERTE. J’éteins la télé fatiguée par toutes ces inepties sexistes et part prendre l’air. Dehors les manifestations grondent. Le cortège violet s’étend à perte de vue. Des femmes marchent et clament leurs slogans le poing levé au rythme des tambours et mégaphones. « Il nous exploite, il nous opprime, il nous divise. À bas, à bas, le patriarcat ». Ce mot résonne dans mon esprit comme un écho.
Patriarcat, pater, père… En somme, un système social fondé sur l’autorité de l’homme, en tant que père, et sur les discriminations sexuelles. Pourtant quand je regarde autour de moi, les figures d’autorité, de courage, les figures modèles ont toujours été des femmes. Gestion de la famille et du foyer, courses, ménage, s’occuper des enfants et cela après une journée de travail pendant laquelle la charge mentale est tout aussi lourde. A cela s’ajoutent les blagues sexistes, les écarts de salaire, les frotteurs du métro. Et pour 52000 d’entre nous les viols. Pour 220000, les coups. Pour 149, les féminicides. L’injustice, les non-lieux, les affaires classées sans suite, les «on ne peut plus rien dire» «t’étais habillée comment» «c’est ton mari t’es obligée.» Aux femmes la patrie indifférente.
J’imagine alors une société dans laquelle tout cela n’existerait pas. Serait-ce possible dans une société matriarcale ?
Je me penche alors sur le sujet et entame mes recherches. Bien évidemment, très peu d’ethnologues se sont intéressés au sujet. La plus grande avancée dans le domaine nous vient d’Heide Goettner-Abendroth, chercheuse allemande, qui a consacré sa vie à l’étude du matriarcat.
«Si les femmes ne donnent pas la vie, la société se meurt.»
Elle cite 26 populations qui possèdent encore des formes matriarcales quasi complètes. Elles sont à la fois matrilinéaires -la filiation se fait par la mère-, et matrilocales – le foyer se construit depuis le domicile de la femme. Le principe fondateur de ces sociétés est la vénération du pouvoir de la femme d’enfanter. Différence majeure avec nos sociétés post-industrielles où ce don n’a non seulement que peu de valeur mais est bien le fondement de l’infériorité des femmes et des discriminations sexistes.
La maternité est au cœur des valeurs de ces sociétés. Chez les Minangkabau, en Indonésie, tout le monde est une mère. Les hommes gagnent en dignité en se comportant correctement avec des enfants, ils sont de “bonnes mères”. Chez les Khasi, en Inde, la mère clanique, cheffe du village, est choisie en fonction de sa capacité à aider les siens.
Mais alors, la question sous-jacente ici est de savoir si les sociétés matriarcales sont exactement l’inverse des sociétés patriarcales. En effet, si nous passons d’un système où les hommes dominent les femmes à un système ou les femmes dominent les hommes le problème reste entier.
«L’organisation de leurs sociétés est telle que la notion de domination n’existe pas.»
Ce type de société place la femme au centre de l’organisation du clan. Les femmes ne considèrent pas leur position comme du pouvoir mais comme une responsabilité qu’elles doivent assumer. Celles qui tiennent les finances ne le font pas pour leur propre bénéfice mais pour le redistribuer équitablement entre les clans. Les sociétés matriarcales rejettent tout type de hiérarchie.
De plus, le viol n’existe plus. Les femmes et les hommes sont maîtres de leur corps et de leur sexualité et se respectent mutuellement. Les femmes peuvent avoir plusieurs partenaires dans leur vie sans que cela ne soit pointé du doigt et considéré comme une honte. Par conséquent, lorsqu’elles ont des enfants, ce ne sont pas les pères biologiques qui s’en occupent mais les frères des mères. On parle alors de sociétés avonculaires, troisième pilier commun des sociétés matriarcales.
Forte de toutes ses informations je décide de me pencher plus avant sur la question du matriarcat. C’est alors que je découvre Françoise Héritier et ses théories aux antipodes de celles précédemment évoquées qui me conduisent à remettre en question ma vision du matriarcat.
«La domination du masculin est toujours et partout»
Pour elle, le matriarcat en tant que système de pouvoir dans lequel les hommes ne participaient pas est un simple mythe. Un récit qui sert de support au patriarcat, qui raconte comment jadis le pouvoir fut donné aux femmes qui en firent mauvais usage, un système qu’il fallut renverser afin de créer un pouvoir «juste» que seuls les hommes savent exercer. Elle attire l’attention sur une distinction primordiale. Les sociétés sont bien matrilinéaires, les clans reconnaissent la transmission de la filiation par les femmes. Mais du fait de leur avonculat, ce sont les hommes qui détiennent le pouvoir. La transmission des biens et des fonctions se fait de l’oncle maternel vers le neveu.
De plus, elle note que dans toutes les sociétés matrilinéaires, les femmes qui détiennent le pouvoir, les matrones, sont toutes des femmes âgées et ménopausées. En quittant la période de reproduction et séduction, elles basculent dans la masculinité. Ainsi, le seul moyen pour une femme d’exercer le pouvoir serait d’être assimilée à un homme.
Deux visions radicalement opposées. On peut tout de même tirer des conclusions intéressantes grâce à ces théories. Tout d’abord, Goettner-Abendroth est une des rares femmes anthropologues à avoir étudié de près et pendant longtemps les sociétés matriarcales. Françoise Héritier elle-même critique le fait que toute les études ont été faites par des hommes. Aussi pouvons nous légitimement nous interroger : ces analyses sont elles parfaitement impartiales et libre de tout préjugés lié à la culture patriarcal ? Par exemple, la chercheuse allemande rapporte que les femmes Iroquoises (clan matriarcal d’Amérique du Nord) ont déploré le fait qu’elles n’aient jamais été interrogées sur leur perception de leur société.
En outre, ces sociétés ont le mérite de réconcilier tous les types de féminismes. Elles peuvent notamment nous aider à modifier notre point de vue sur le plaisir des femmes et à construire une autre narration, qui nous sorte de la culpabilité. Si on s’y intéresse de plus près, on trouve aussi que ces modèles sont plus pacifiques et respectueux de l’environnement. De quoi inspirer nos sociétés.
Je pars pour rentrer chez moi quand soudain… Une voiture passe et le chauffeur me siffle. J’ai à peine le temps de riposter qu’il est déjà parti. Décidément, même pendant la Journée Internationale de Lutte pour les Droits des Femmes on n’est pas épargnées. Mais désormais, on se lève. On se casse. On gueule. On vous emmerde.