Verbatem (V) : En tant que Directeur Général, autant sur votre compte Twitter que dans vos entretiens pour la presse, vous parlez sans cesse des écoles de commerce de demain, des entreprises du futur, des marchés émergents. Vous avouez ne pas regarder les classements, car ils « reflètent ce que vous étiez l’année dernière » (Le progrès.fr 06/02/17). Vous semblez vivre à toute allure, entre Shanghai, Casablanca et la région Rhône-Alpes. Avez-vous le temps de faire le bilan ? Quel est votre rapport à cette notion ?
Bernard Belletante (BB) : Je pense qu’un bilan, c’est une photo. Je suis toujours plus intéressé par le film que par l’image arrêtée. On a besoin de faire des bilans de temps en temps pour recadrer éventuellement le film, mais ce n’est pas une activité en soi. Cela ne doit servir qu’à vérifier si nous sommes sur la bonne trajectoire, à la bonne vitesse. D’ailleurs, le bilan financier ne sert pas à autre chose.
Avec l’’équipe “Direction”, nous faisons un bilan tous les 6 mois : de ce qu’on a fait, de ce qu’on a réussi, pas réussi et si possible avec effet immédiat dans la correction.
Tous les ans, nous faisons un Quality Report pour entretenir les accréditations. Et tous les deux ans et demi, à chaque moitié de plan stratégique, j’ai l’habitude de faire un bilan complet. Nous y sommes actuellement, donc on le fait pour repartir sur un nouveau plan stratégique 2018 – 2023, la suite de Nouveaux territoires 2020, qui sera présenté aux étudiants début 2018, pour les informer et les associer à la mise en place.
Je pense aussi que le rapport au temps est toujours ambigu, car il faut être dans l’instant, mais aussi avoir la vision d’après-demain. Si on ne regarde qu’après demain, on ne voit pas où l’on marche, et si on regarde seulement où l’on marche, on ne voit pas où l’on va aller. Le rapport au temps doit être multiple et décalé.
V : Cela rejoint votre vision des classements, vous en parlez souvent avec l’image de la photo souvenir.
BB : Les classements tels qu’ils sont faits aujourd’hui sont des photos plus ou moins floues de ce qu’il s’est passé les années précédentes.
V : Ils sont plutôt immuables.
BB : C’est bien ce qui m’inquiète. Comment peut-on rester dans une telle immobilité pendant 30 ans ? Je m’interroge : les classements, tels qu’ils sont faits aujourd’hui, utilisent-ils des critères qui permettent de dégager les forces et les faiblesses qui feront la compétitivité d’une business school dans 5 ou 10 ans ?
Je ne critique pas la méthodologie des classements, ce n’est pas mon sujet. C’est comme les sondages : quand ils sont bons on dit qu’ils sont bons. Quand ils sont mauvais, on dit : c’est la faute des sondages. Mais je m’interroge seulement, leurs critères sont-ils pertinents ? Je ne suis pas du tout sûr.
Un exemple : quand on mesure l’internationalisation d’une école au nombre de double-diplômes, je constate que plus une école a de double-diplômes, plus elle est considérée comme internationale. Or, les double-diplômes c’est quelque chose des années 1980, c’est à dire du siècle dernier! Il fallait apporter au recruteur la preuve qu’on n’était pas seulement parti en vacances dans un autre pays, mais qu’on y avait vraiment travaillé. Dans les années 1980, c’était déjà une aventure de partir en Suède ou aux USA, mais on est 40 ans après, et on sait que les recruteurs aiment la diversité des expériences à l’international.
Aujourd’hui, vous pouvez avoir une expérience en Asie, en Europe et en Amérique latine. Si vous faîtes un double-diplôme qui vous bloque un an dans un pays, vous n’aurez qu’une expérience internationale. Et, les recruteurs maintenant savent que la Copenhagen Business School, c’est pas des charlots. Ils savent que vous y avez travaillé!
Mais est-ce qu’un étudiant d’emlyon, doit passer un an au Danemark? Ne vaut-il pas mieux qu’il passe six mois ou neuf mois au Danemark et qu’il parte ensuite faire une expérience en entreprise à Taipei ? Donc le critère du double-diplôme n’est plus pertinent de nos jours. Le critère devrait être la qualité et la diversité des expériences des gens diplômés, et pas l’homogénéité ou l’unicité. Ce sera le critère des grandes business school. Aller faire un DD avec la WHU de Koblenz, c’était bien il y a 30 ans, ça avait du sens en 1975, aujourd’hui ça ne suffit plus!
V : Quels étaient les projets lancés par votre plan Nouveaux territoires 2020 ? Où en êtes-vous dans cette stratégie que vous aviez pensée à votre arrivée à la tête d’emlyon ?
BB : Pourquoi avions-nous lancé le plan Nouveaux territoires 2020? L’objectif était de faire d’emlyon une école ayant une grande attractivité internationale afin de maintenir la notoriété du diplôme pour les 25 000 diplômés. Qu’est-ce qui fait l’attractivité internationale pour une business school? Il y a 3 grands enjeux stratégiques :
Comment on traduit la dimension internationale et globale dans une école?
La chaîne de valeur de l’éducation est-elle impactée ou pas par la révolution numérique?
Puisque nous n’avons pas de financement public, comment assurer notre financement?
Ensuite j’avais fait le diagnostic suivant au conseil d’administration : l’emlyon prend du retard. Elle vit sur son inertie sur les 3 points précédents. Le CA a partagé ma vision.
Les classements ne montraient pas cette inertie, l’emlyon avait perdu sa proximité avec l’ESCP qu’elle avait en 2000 – 2005, et derrière nous étions talonnés par des structures nouvelles en train d’acquérir de la notoriété, donc il fallait réagir.
Pour moi un exemple type d’une mauvaise orientation stratégique, c’est le campus de Shanghai.
Quand vous voulez apprendre à vos étudiants à devenir des acteurs de la mondialisation, il ne faut pas les envoyer par groupes de 250 – 300 au même endroit, pour qu’ils restent entre français. Nous avons été parmi les premiers en Chine, mais je préfère des étudiants d’emlyon qui partent en Chine non pas à Shanghai en charter mais à 5-6 à Nankin, Huhan, à l’université. Là, vous êtes vraiment pousser dans le grand bain… et sans brassard.
Il fallait qu’emlyon, qui a de l’expertise et du savoir-faire sur beaucoup de choses, soit implantée internationalement sur une ligne de Shanghai à Sao Paulo. Sur des nations émergentes car c’est là que les besoins de créativité, d’employabilité, vont être les plus forts.
V : L’internationalisation passe donc par la multiplication des échanges ou des campus ?
BB : La multiplication des échanges. Nous avons d’ailleurs créé plus de 150 accords ces 3 dernières années, et de bonne qualité! On ne prend des accords qu’avec le top tiers des universités. Cette année, nous allons créer 150 places en Chine, avec les meilleures universités chinoises. Je voudrais que sur le campus de Shanghai n’aille à l’avenir que ceux qui parlent couramment chinois, qui ont un projet professionnel cohérent avec cette destination, et qu’on leur fasse un parcours d’excellence sur le campus. Mais ce serait pour 30 – 40 personnes, pas plus.
V : Ca va être compliqué, de trouver des personnes qui parlent couramment chinois parmi les étudiants français…
BB : Mais ça aussi, il va falloir que ça change ! Petit à petit, il faut se préparer pour l’avenir.
V : Ca veut dire ouverture de cours de mandarin ?
BB : Mais… je pense même quasiment obligatoire! Nos étudiants qui rentrent dans nos programmes au Maroc sont en train de le tester… Pensez-vous que vos enfants pourront ne pas parler chinois ?
Je n’en sais rien… Mais je pense qu’il va être nécessaire de ne pas se priver de ce qui va être la première puissance économique du monde dans 25 ans. Il faut au moins l’anticiper. N’en déduisons pas que c’est décrété et obligatoire, mais c’est dans la logique de notre stratégie.
V : Je vous laisse reprendre votre démonstration sur l’internationalisation.
BB : Nous nous sommes ouverts sur l’Afrique, continent d’avenir, même si les français ont un peu la vue basse. On travaille aussi sur un projet en Inde, il nous restera l’Amérique latine et on travaille sur une plateforme en Amérique du Nord. J’ai relancé les échanges avec les USA. On avait un peu abandonné, nous avons repris. Le campus de Paris est aussi un outil de développement international de l’école.
Sur la dimension digitale, l’école était extrêmement en retard. Nous avons entrepris un changement colossal, à la fois sur la qualité des systèmes d’information (sécurité, outils à disposition des étudiants et collaborateurs), nous avons une vision qui est de dire : le digital dans l’éducation, ce n’est pas des Moocs, des spokes, c’est se demander en quoi l’économie numérique appliquée à l’éducation la transforme.
Si vous regardez précisément dans l’industrie ce qu’il se passe aujourd’hui : Le numérique impacte toutes les industries où il y a des stocks et les transforme en flux. Or, une université, c’est des stocks de classes, de cours, de bouquins, de profs, cela a été totalement impacté par le numérique.
Un exemple clair de cela, c’est l’ORTF, un système fermé français. On payait une fois par an et si on voulait voir le film il fallait se mettre à 20h30 devant la télé. Le film se déroulait et on ne pouvait pas l’arrêter… et puis Netflix est arrivé. Le consommateur s’est approprié son rythme de consommation et il a fait péter les stocks. Nous devons transformer notre éducation et d’une école de stock vers une école de flux. Les campus internationaux y participent.
Sur le numérique, nous sommes aujourd’hui à la moitié du plan. Il a fallu revoir tout le système d’information et toute la pédagogie. Où apporte-ton de la valeur aux étudiants? Il y a 30 ans, quand je faisais un cours de théorie financière, j’expliquais comment se détermine le taux sans risque sur le marché en utilisant le modèle de la capital market line. Je faisais mes équations, je passais 3 heures dessus, voire une peu plus pour expliquer à nouveau ce qu’était une dérivée seconde, parce que certains avaient oublié. Aujourd’hui, je ne fais pas ça. Je dis : « Allez voir ce qu’est le capital market line, comment on détermine le risk free rate, faites les exercices. Pendant le cours, on va réfléchir sur le cas concret d’une entreprise chinoise qui achète une entreprise africaine en se finançant en offshore aux Caimans ».
V : La classe inversée ?
BB : Ce n’est pas automatiquement de la classe inversée. Je vais vous demander de réfléchir sur un cas et on va s’enrichir. Le fait qu’on ait à disposition les sources de savoir doit nous permettre d’être encore meilleurs qu’avant. Mais à côté de ça, il faut dégager du temps aux étudiants car, avec le numérique, vous allez travailler beaucoup plus qu’avant.
Il faut aussi se demander quelle politique pédagogique nous allons mettre en place. Cette politique, c’est le passage petit à petit vers « early makers » : de plus en plus de projets réels. Sur votre cv vous ferez la différence, non pas avec ce que vous avez appris, mais sur ce que vous avez fait. C’est tout simplement la conséquence de la mondialisation, combien de milliers de gens ont un master en management chaque année ? Quand on était en France, qu’il y avait 20 écoles de commerce en période de croissance, on vous demandait simplement si vous aviez appris la comptabilité. Aujourd’hui, la comptabilité va être tenue par des ordinateurs et n’importe quelle entreprise vous dira qu’elle a trouvé des jeunes potentiels chinois comme vous-même postulés en Chine!
V : Cela dit il reste encore une grosse barrière sur la langue… Je vis au Galion et je peux vous dire que quelques-uns de mes voisins chinois étaient déçus après les finance careers day parce qu’on ne recrutait que des francophones.
BB : Oui, mais ça c’est autre chose. C’est vrai que c’est un point sur lequel nous devons nous améliorer. Il va falloir qu’on fasse venir les recruteurs au niveau national mais aussi au niveau international.
Effectivement, quand un cabinet de conseil recherche un stagiaire pour ses clients en France, il va vous demander de parler français. Mais, la logique n’est pas là! Nous nous implantons sur les grandes zones pour que nos étudiants chinois aient aussi des careers days en Chine.
V : Je vous laisse reprendre votre raisonnement sur le numérique…
BB : Dans la mesure où le savoir est partout accessible automatiquement, avec des possibilités de calculs de plus en plus puissantes, on va vous demander de plus en plus, non pas ce que vous avez appris, mais ce que vous avez fait…D’où le positionnement early makers. Nous sommes actuellement au milieu du guet, ce qui n’est jamais confortable, puisqu’on a quitté une berge, où on était pas si mal, mais vous n’avez pas encore atteint l’autre rive. On vous souffle alors toujours à l’oreille : pourquoi ne reviendrait-on pas sur nos pas ?
Il faut penser à Christophe Colomb. Il est parti, il s’est trompé, mais il a découvert l’Amérique. C’est le early maker par excellence. Il n’avait pas les cartes, il avait une intuition, il est parti. On ne se trompe jamais, et si on n’arrive pas sur son objectif, on arrive tout de même à découvrir quelque chose. C’est ça l’esprit early makers, et il faut que vous l’appreniez vite, dès l’école.
Et enfin la performance académique a été améliorée, de même pour la performance financière, ce qui permet de penser à des investissements et de les réaliser.
V : C’est vrai qu’on ne connaît pas très bien nos chercheurs.
BB : C’est vrai qu’il faudrait qu’on trouve de manière beaucoup plus explicite et courante le contenu de la recherche dans les cours, c’est un point de progrès.
V : Il y a bien cette petite vitrine à l’entrée du bâtiment B où les publications sont exposées…
BB : Non mais même! Est-ce que vous connaissez emlyon knowledge ?
V : Je l’ai découvert en préparant l’interview en lisant le rapport Nouveaux territoires 2020…
BB : (Rires) Voilà qui prouve qu’on communique mal là-dessus! C’est encore trop réservé à une catégorie. On a beaucoup de progrès à faire là-dessus.
V : L’impulsion récente du monde anglo-américain vers une remise en cause de la mondialisation (Trump, Brexit), très sensible aussi sur les scènes politiques d’Europe continentale, remet-elle en cause votre stratégie ?
BB : Bien sûr, c’est vrai partout! Imaginez que demain la Chine ferme ses frontières… Dans nos investissements, nous gardons la flexibilité nécessaire comme toute entreprise.
De toute évidence, il y a un mouvement populiste dans le monde. On l’a vu avec le Brexit, Trump, et aussi en Catalogne. C’est quand même aussi là-bas le repli sur soi, le refus de l’Europe, certaines choses de cette nature-là. On a en France des extrêmes à l’échiquier politique qui sont des gens qui se referment sur la France et sur eux même.
Cela ne changera en rien la stratégie de l’école, tant qu’elle est validée par le Conseil d’Administration bien entendu. Nous sommes convaincus que tout progrès dans l’histoire de l’humanité est passé par plus de coopération et plus de souplesse. Avec l’apparition de l’écriture, on a plus de souplesse et on coopère plus que lorsque nous avions uniquement notre mémoire. Avec le passage des hiéroglyphes à l’alphabet, on acquiert également plus de souplesse. On a plus de coopération avec l’invention de l’imprimerie et plus de souplesse car on peut créer des bibliothèques…
Aujourd’hui avec le numérique, c’est encore plus de coopération et encore plus de souplesse, et au même moment, les frontières sont en train de s’ouvrir même si chacun essaye de protéger son territoire.
L’Homme est passé d’un statut de chasseur-cueilleur à celui de L’Homme en face de l’internet des objets. Les révolutions scientifiques colossales parsèment toute l’histoire de l’humanité. Elles s’accélèrent car la coopération s’accélère, et les potentialités de coopération s’accélèrent. Regardez, aujourd’hui, n’importe qui peut aller sur une plateforme de crowdfunding ou de crowdsourcing !
Les mouvements populistes sont des mouvements de craintes face à cette extension de la coopération et de la souplesse. Si vous croyez dans le progrès de l’humanité, le populisme n’est que le dernier avatar d’un système qui est en train de mourir. Donc ça ne changera pas la stratégie.
V : Le Monde écrivait le 22 octobre dernier que les Moocs, présentés pendant un temps comme une révolution pédagogique, « avaient fait Pschiiitt »2. Les étudiants de l’em ont aussi pu être témoins du scepticisme d’une partie des professeurs quant aux vertus pédagogiques des cours en distanciels et sont globalement plutôt du même avis qu’eux. Les résistances au blended learning et au E-learning mettent-elles en doute vos objectifs de croissance ?
D’abord le Mooc n’est qu’un outil, rien d’autre. Si vous ne le mettez pas en perspective avec une volonté de faire progresser les individus, ça ne sert à rien et c’est ce que l’article voulait dire. Si je vous balance le truc en disant : tiens va faire le Mooc, ça fait pschit effectivement.
Les Moocs doivent se créer une communauté. Derrière les Moocs, il doit y avoir une création d’activités. Par exemple, le Mooc de Philippe Silberzahn possède une communauté de 25 000 personnes. Il doit y en avoir 7 000/8 000 qui vont un peu plus loin, puis 500/600 qui vont encore plus loin, mais seulement 20/30 qui créent une communauté dans l’école autour du Mooc. C’est ça l’important… Mais c’était pareil avec le livre : quand on vous disait d’aller lire à la bibliothèque, ça ne servait à rien si on ne vous aidait pas à le mettre en pratique.
Le numérique vous donne accès à tout ce que vous voulez. Vous verrez en janvier, nous allons sortir une application bibliothèque numérique, vous n’imaginez pas avec les datas les possibilités de chemins de lecture qu’on pourra vous proposer. Toujours plus de coopération, plus de souplesse…
Ensuite, me disiez-vous, les profs tordent le nez. C’est normal, le distanciel en tant que tel est un changement. À chaque fois qu’une nouvelle technologie apparaît, il y a une résistance, un temps d’adaptation. Vous connaissez bien l’histoire des Canuts.
Le numérique ne remplace pas le prof mais fait évoluer son métier, y compris aussi du côté de l’apprenant. Les étudiants français ne comprennent pas qu’il faut travailler avant le cours, on est habitué à travailler après depuis toujours dans notre système… Cela dit, sur le distanciel, nous avons aussi des réalisations pédagogiques de haut niveau. Il faut juste laisser du temps au temps.
V : De plus en plus de diplômes se font en partenariat entre plusieurs institutions, est ce que cela va devenir la norme à l’em ?
BB : Le monde de l’entreprise a de plus en plus besoin d’hybridation c’est-à-dire de gens qui ne sont pas uniquement maîtres d’un savoir ou d’une technologie. Ce n’est pas possible. L’environnement scientifique et industriel a tellement bougé que c’est un peu compliqué, aujourd’hui, de rester sur un domaine unique.
À titre d’exemple, il est hors de question de créer des cours de codage pour faire de vous des codeurs. En revanche, il est indispensable que vous compreniez comment ça fonctionne. Parce que votre génération va devoir travailler avec des machines apprenantes ! C’est la première fois que ces questions se posent : comment est-ce que je travaille avec une machine qui est plus rapide que moi ?
L’homme a toujours décuplé sa force sur des mouvements mécaniques. Aujourd’hui, il est en train de développer de la même manière son cerveau. Il faut se préparer à cela.
Pour cela, à l’emlyon business school, nous sommes en train de changer un certain nombre de choses pour vous permettre d’être acteurs de cette économie numérique. Vous allez travailler avec ces machines apprenantes. Comment faire en termes d’organisation du travail ? Comment allez-vous dirigez vos équipes quand elles ne seront jamais dans le même immeuble ? Nous voulons vous donner les outils qui vous permettront de relever ces défis.
Avec toutes les critiques du machinisme, ce genre de scénario n’est-il pas un peu effrayant ?
Pour moi, cela relève exactement de la peur de l’avenir. Il vaut mieux se dire « cela va se passer » que de vouloir fermer les yeux. Je ne cherche pas à accélérer ou ralentir la tendance. Ma réflexion est la suivante : comment former des gens qui demain seront dirigeants d’entreprises, entrepreneurs, pilotes d’organisations? Qu’est ce qui va changer dans leur environnement? L’intelligence artificielle, la puissance de calculs, les milliards d’informations à traiter. Cela remet en question l’organisation de beaucoup de métiers. Pour appréhender cela, il vous faut une intelligence différente, des outils différents, etc.
Alors ce monde transformé ne sera pas un monde sans travail. Le livre de Pierre Yves Gomez à ce sujet est très pertinent. Le travail ne disparaîtra pas. Évidemment, il n’aura pas la même forme qu’aujourd’hui, mais la relation de l’homme à l’action sera toujours là.
V : Quelle est votre politique sur la question des échanges académiques ? Est-il possible de proposer aux étudiants de meilleures destinations, en particulier aux Etats-Unis ?
BB : La principale difficulté aux Etats-Unis réside dans le décalage entre nos systèmes universitaires. Les étudiants américains sont en Bachelor ou MBA, mais il n’y a pas un équivalent au PGE. Leurs masters sont des masters spécialisés et durent une seule année, contrairement aux nôtres. Il nous est beaucoup plus facile de trouver des partenaires pour les Bachelors.
Mais c’est une réalité, nous ne sommes pas sur le top 15 mondiale… Il y a sans doute un phénomène de caste, et c’est à nous de nous rendre désirables. Cela passe par la qualité de ce que fait le corps professoral mais aussi par la qualité des étudiants. La réputation des étudiants français à l’étranger n’est pas bonne: bringueurs, dilettantes, n’ayant pas l’habitude de travailler…
Alors oui, il y a un problème de système et un problème de reconnaissance. Pour aller sur les meilleures universités américaines, il y a encore du travail mais c’est un bel objectif.
V : Bruno Bonnell est député. Est-ce que cela change quelque chose dans la manière de travailler ?
BB : Non, parce que nous avons un mode de travail est très souple qui prend en compte le temps et le mode de vie de l’un et de l’autre. Comme Bruno a abandonné tous ses mandats exécutifs pour se consacrer à son mandat d’élu du peuple, son agenda qui était déjà très rempli reste très rempli.
V : L’année 2017 se clôture, est-ce une année à l’équilibre ?
BB : Je n’aime pas ce concept d’équilibre. L’équilibre ce n’est que la succession de déséquilibres. Nous sommes dans une logique de construction permanente, on ne peut pas se permettre de s’arrêter “en équilibre”. Une année en équilibre c’est une année dans laquelle nous n’aurions pas tout donné, nous n’aurions pas été dans la puissance de l’école.
Je suis très fier du travail des collaborateurs de cette année. Je suis fier de ces diplômés de France ou ailleurs. Je suis satisfait des rapports avec les étudiants, nos rencontres sont souvent paisibles même si bon on ne se cache pas que BrightSpace ne fonctionne pas exactement comme on le veut.
Finalement, c’est une année où les objectifs ont été atteints pour la plus grande partie. Et quand cela n’a pas été le cas, nous avons appris. J’explique à mes collaborateurs que je ne veux plus entendre parler de « droit à l’erreur ». Dans l’industrie aérospatiale on parle d’essai, il est réussi ou il n’est pas concluant. Quand il n’est pas concluant, il faut savoir pourquoi. Si on ne réussit pas quelque chose, ce n’est pas une erreur, c’est une occasion d’apprendre. Ne parlons pas d’échec!
Vous avez tous l’habitude aujourd’hui de recevoir sur les applis une invitation de mise à jour. Pourquoi ? Parce qu’ils ont corrigé des bugs, des dysfonctionnements. Nous avons l’habitude de ne pas travailler sur le parfait absolu, heureusement! Soyons capable d’écouter les étudiants quand ils nous font part d’incohérences. Et au lieu de leur montrer pourquoi ils ont tort, s’intéresser et essayer de solutionner.
Nous sommes en train de créer la Direction Expérience Apprenant, dans une vraie logique de business school, pour être au plus près de remontées des étudiants. J’ai demandé à ce que la DEA ait un comité des incohérences, avec des élèves, des enseignants, etc. Ce comité aura pour mission de révéler les incohérences et de trouver des solutions co-construites. N’ayons pas peur de dévoiler ce qui ne fonctionne pas. Il n’y a que ceux qui ne travaillent pas qui ne se trompent pas.