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Portrait d’un homme engagé pour les droits des femmes : Gilles Marchand, 46 ans, membre de l’Association Française du Féminisme

“Tous les hommes ne réalisent pas encore qu’ils ont un rôle à jouer pour faire changer les comportements.”

Donner la parole à un homme pour parler du féminisme, cela peut sembler contradictoire de prime abord. Le féminisme n’est-il pas un sujet de femme par essence ? N’est-ce pas desservir le féminisme que de mettre en lumière la parole des hommes, eux qui occupent déjà l’espace médiatique ? Finalement, quelle légitimité ont les hommes à parler des diverses discriminations qui touchent leurs homologues féminins et non binaires ? 

À travers la parole d’un homme engagé pour le droit des femmes, on peut néanmoins montrer que le féminisme n’est pas un sujet réservé aux femmes. La cause des femmes a besoin du soutien des hommes parce qu’il y a encore un long chemin à parcourir avant que ne soit atteinte l’égalité entre les femmes et les hommes. Il est effectivement primordial d’accorder l’importance nécessaire aux personnes moins privilégiées et moins audibles que soi. Cela veut parfois dire se taire et écouter. Néanmoins, il est plus que temps que les hommes aient également un lieu où parler du féminisme et deviennent des alliés actifs. Les hommes, eux aussi, ont un rôle à jouer. Être un homme féministe aujourd’hui, c’est aussi cela, explique Gilles : passer à l’action.

Exploration du rôle des hommes dans le féminisme, une lutte sociale de premier plan encore trop souvent dépeinte de manière caricaturale comme “anti-homme”, à travers le portrait de Gilles Marchand, 46 ans, membre de l’Association Française du féminisme.

Gilles Marchand, 46 ans, engagé pour les droits des femmes au sein de l’Association Française du Féminisme

L’engagement associatif de Gilles va à l’encontre de bien des préjugés. Alors que les hommes sont encore très largement sous-représentés dans les collectifs et les associations féministes, Gilles montre que le féminisme n’est pas un sujet réservé aux femmes.

À la terrasse d’un café, son amie Violaine (ndlr: Violaine Cherrier, rédactrice en cheffe du blog de l’association) lui parle de cette l’Association Française du Féminisme créée en 2019 par un collectif de femmes. Gilles lui propose ses services. Il rejoint alors l’équipe éditoriale de cette association, qui revendique “un féminisme bienveillant, humaniste, inclusif et positif” et qui est ouverte aux hommes. Gilles, qui a cofondé une agence de communication scientifique avec une ancienne collègue devenue son amie, intègre l’équipe éditoriale et écrit des articles dont il propose le sujet.

Gilles a déjà réalisé l’interview-portrait d’un homme d’une cinquantaine d’années sur son rapport au féminisme. Il souhaite également aborder la manière dont les sciences humaines et sociales peuvent apporter un éclairage sur la question du féminisme. Le prochain article publié portera sur les représentations d’hommes féministes dans les séries télévisées. 

En 2019, l’association se fonde autour de l’organisation d’un festival artistique qui met en avant les femmes. Des débats, des témoignages et des réflexions sur les problématiques féministes sont prévus pour accompagner ce festival. L’association choisie, comme le dit Gilles, “une logique d’ouverture”, il en est la preuve. 

“Bien sûr, il est essentiel aujourd’hui de continuer le combat pour les droits des femmes. Un combat qui peut prendre plusieurs formes dans les associations féministes. L’AFF a choisi le prisme artistique et culturel.”

En parallèle de son engagement auprès de l’Association Française du Féminisme, Gilles explique qu’il a également à cœur de promouvoir la mixité dans les écoles d’ingénieurs, un milieu académique où les filles représentaient seulement 27 % de l’effectif total des élèves-ingénieurs en 2017. Dans cette optique, il a notamment travaillé sur la communication de l’association “Elles bougent”, qui a pour ambition de favoriser l’orientation des jeunes filles vers les formations scientifiques et technologiques et les carrières d’ingénieur-e-s.

Retour sur les origines d’un féminisme au masculin

“Je me suis toujours senti féministe, sans vraiment mettre les mots dessus.”

Pour Gilles, le féminisme est de l’ordre du naturel. Des modèles de femmes fortes l’ont constitués et ont nourri son engagement très tôt de manière inconsciente. Sa grand-mère paternelle notamment, une des premières femmes en France à faire de la régie immobilière, un métier alors majoritairement exercé par des hommes. “À bien des égards, je lui trouve finalement plus de courage qu’aux hommes de ma famille.”

Malgré le fait qu’il ait grandi dans un schéma familial traditionnel, dans la lignée des années 1970, la belle synergie entre son père qui travaillait et sa mère qui s’occupait de ses frères et lui, brisait contre toute attente les clichés de l’époque. Le respect mutuel qu’ils se portaient l’a nourri, lui, ainsi que ses deux frères. “La liberté de choix de ma mère n’a jamais été remise en question par mon père : elle a voulu nous élever, puis a repris le travail quand elle l’a souhaité, s’est beaucoup engagée dans l’associatif, au lieu de tenir son « rang » de femme de notable de province qui reste à la maison. Ce n’est pas parce qu’il était garant de la sécurité financière que le rôle de ma mère était moindre au sein de ma famille” explique Gilles.

Le neuropsychologue de formation revient également sur ses études de psychologie, qui l’ont également initié aux enjeux du féminisme: “En psychologie, nous étudions notamment la sociologie et l’anthropologie. Quand on commence à vous parler de constructions sociales, de stéréotypes intériorisés, de biais cognitifs et de représentations, on engage nécessairement une déconstruction des stéréotypes de genre et des schémas sociaux.”

Le féminisme passe par la reconnaissance des discriminations systémiques que vivent les femmes et toutes les personnes qui ne sont pas des hommes 

“Le féminisme a de multiples facettes, dont un engagement en faveur de la déconstruction sociale, psychologique et culturelle des schémas patriarcaux.” selon Gilles.

Vouloir lutter contre un système inégalitaire, c’est œuvrer en faveur des femmes, de tous les groupes sociaux dont les droits sont bafoués, mais aussi des hommes, pour un monde plus égalitaire. Gilles l’explique ainsi, “le respect et la considération pour nos caractères uniques doivent être davantage au cœur de nos sociétés. Selon moi, le féminisme apporte une partie de la réponse.”

Comme l’écrit Olivia Gazalé, philosophe : « On ne naît pas homme, on le devient. » (Le mythe de la virilité, 2017). La célèbre formule de Simone de Beauvoir vaut en effet aussi pour les hommes. 

Les hommes et les femmes sont les victimes des préjugés qui accompagnent notre société patriarcale. La violence symbolique qui accompagne les mécanismes de la société patriarcale s’exerce sur tous et toutes. Les hommes aussi sont assignés à un rôle potentiellement réducteur. Ils peuvent souffrir des injonctions qui accompagnent le fait d’être un homme et construisent l’identité virile. Le féminisme passe également par cela : prendre la mesure des diktats qui pèsent sur les femmes bien sûr, mais aussi sur les hommes.

Parce que le sexisme nous touche toutes et tous, le féminisme est une question d’éducation. Il faut sensibiliser dès le plus jeune âge aux enjeux de diversité et d’inclusion, au respect des différences, quelles qu’elles soient. Comme le rappelle Gilles, “La cause féministe concerne tout le monde. Quand chacun se sentira féministe sans que cela ne passe nécessairement par un engagement militant, voilà le jour où le féminisme aura gagné”.

Quels rôles les hommes peuvent-ils jouer dans le féminisme ?

Quand on évoque avec lui le cas des associations féministes qui font le choix de ne pas intégrer les hommes, Gilles répond : “Je comprends la nécessité que peuvent ressentir les femmes de se retrouver entre elles dans un environnement sécurisant, enveloppant, bienveillant. La parole y est peut-être plus libre. Je comprends que l’on souhaite que la parole et les témoignages autour de certains sujets soient réservés aux femmes, par exemple les violences sexuelles et conjugales.”

Malgré tout, il demeure que les hommes ont un rôle à jouer auprès des femmes pour l’égalité et la lutte contre le sexisme, au-delà du manque de légitimité que certains peuvent ressentir. 

Avec le mouvement “Me too”, les hommes se sont retrouvés de manière légitime dans la ligne de mire du combat féministe. On ne peut plus faire comme si le féminisme et la lutte contre les violences faites aux femmes ne les concernaient pas. Alors, comment devenir un bon allié de la défense des droits des femmes ?

D’abord, reconnaître ses privilèges et rester conscients de nos biais sexistes, conseil que donne Gilles, valable pour tous et toutes: “Il faut garder à l’esprit qu’en tant qu’homme, on a des privilèges et il y a des choses qu’on n’aura jamais à subir”. C’est une attention de tous les jours à nos comportements et nos attitudes qui continuent à manifester un ancrage du sexisme. Gilles invite au questionnement individuel : “Il faut se rendre compte qu’on n’est jamais immunisé contre ces comportements sexistes au quotidien. Il n’existe pas de vaccin et il faut toujours faire attention.”

Gilles témoigne de sa propre expérience : “Je me suis rendu compte dans le métro que par rapport aux femmes, j’avais tendance à m’étaler ! Chose que les femmes ne font pas effectivement, je l’ai constaté en observant les comportements dans les transports publics. De même, très souvent dans les échanges qui associent les hommes et les femmes, les hommes ont tendance à monopoliser le temps de parole. Sans m’en rendre compte, j’ai réalisé que j’avais tendance à couper la parole davantage aux femmes qu’aux hommes.”

Laisser la place aux femmes et aux personnes dont la voix n’est pas assez entendue, mais aussi passer soi-même à l’acte et devenir acteur du changement : “Le féminisme ne peut pas être qu’une théorie et de longs discours. Quand vous êtes témoin d’un comportement qui relève du sexisme, d’une violence faite aux femmes, d’un comportement discriminatoire, insultant et agressif, il faut réagir. Cela veut dire parfois faire preuve de courage” selon les mots de Gilles.

“Tous les hommes ne réalisent pas encore qu’ils ont un rôle à jouer pour faire changer les comportements.” En effet, on changera déjà beaucoup de choses si tous, on ose dire non à certains comportements sexistes. Il faut oser aller à l’encontre de la norme sociale qui intime le silence, oser dire qu’on a vu, qu’on a entendu, que ce n’est pas acceptable. Gilles raconte : “Il n’y a pas une seule de mes copines qui n’ait subi du harcèlement de rue dans sa vie. C’est une expérience limitée quand on est un homme. Dans ce cas, en tant qu’homme non harceleur, on a une responsabilité à réagir face à ce type de situation. Manifestez-vous.”

Que dire aux hommes qui se désintéressent du féminisme ? 

La plupart des hommes ont conscience des enjeux du féminisme, conscience qu’ils sont appelés à opérer des changements. Mais ils ne sont pas toujours à même d’y consentir. Pourquoi les hommes refusent encore, pour la grande majorité d’entre eux, de se revendiquer féministes ?

Il peut être difficile de prendre conscience qu’on a des privilèges quand on ne les voit tout simplement pas. C’est pourquoi il est nécessaire de s’ouvrir aux femmes de son entourage, de les écouter, d’observer : “Regarde autour de toi, demande aux femmes de ton entourage si elles ont été victimes un jour d’une forme ou d’une autre de sexisme ou de discrimination”, conseille Gilles.

“Dans mon entourage, explique Gilles, les hommes se refusent parfois encore à dire qu’ils sont féministes parce qu’ils sont restés figés dans une vision archaïque du féminisme : un féminisme agressif et anti-homme. C’est une vision par ailleurs largement exagérée.” Finalement, c’est peut-être le terme qui dérange encore, plus que les enjeux qu’ils recouvrent.

“D’un point de vue psychologique également, nous avons beaucoup plus de mal à ressentir de l’empathie pour un groupe social dont on ne fait pas partie. Quand cela ne touche pas notre cercle proche, nous sommes nécessairement moins affectés par les malheurs d’autrui. La question c’est, à quel moment on arrive finalement à sortir de sa bulle !”. C’est pourquoi, Gilles en est convaincu, un homme qui se serait battu auprès d’une amie, d’une fille, d’une mère, victime de harcèlement, serait beaucoup plus enclin à s’engager pareillement pour toutes les autres femmes. 

Désormais, il est important que les hommes, eux aussi, s’engagent pour les droits des femmes: “En tant qu’homme, nous pouvons nous investir de différentes façons. C’est en prenant de l’ampleur que cette dynamique d’engagement générale prendra tout son sens.”

“Quand on a rédigé la Déclaration des Droits de l’Homme au moment de la Révolution française, on a oublié qu’Olympe de Gouges rédigeait quant à elle la Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne, en 1791.” Il est temps de remettre la femme à la place qu’elle mérite, “pour nos mères, nos soeurs, nos femmes, nos amies, dit Gilles, mais aussi pour toutes celles qu’on ne croisera jamais et pour lesquelles nos actes auront, indirectement et à minuscule échelle, un impact positif.

Les mentalités évoluent néanmoins avec les générations. Gilles constate : “J’ai le sentiment que les jeunes d’aujourd’hui refusent d’être réduits à une identité figée. Les schémas changent. Il y a tellement de belles initiatives prises aujourd’hui en faveur de l’égalité femmes-hommes, en entreprise ou dans la société civile ! Il faut les mettre en lumière et les faire se multiplier.” Nous avons des outils révolutionnaires à notre disposition, notamment les réseaux sociaux, qui permettent de faire entendre nos voix en dehors des médias traditionnels et des temps officiels. Il est urgent de s’engager toutes et tous pour une liberté pleine et entière, indépendamment de notre genre, et arrêter de considérer qu’être féministe est une insulte.

Par Marie Maurer, rédactrice chez Verbat’em


Ressource complémentaire : 

  • https://www.associationfrancaisedufeminisme.fr
  • “Les mâles du siècle”, long métrage documentaire de Camille Froidevaux-Metterie et Laurent Metterie, mis en ligne le 8 mars 2021. Ce film donne la parole à une trentaine d’hommes aux profils très différents sur leur rapport à la masculinité et aux différentes vagues successives du féminisme.