Si vous êtes ici, c’est que vous êtes soit un passionné du jeu-vidéo, un « casual gamer », soit intrigué par ce titre étonnant. Installez-vous bien confortablement afin que je vous raconte une histoire assez atypique.
Par Alexandre Didier, PnP
Nous sommes dans un petit village en Vendée du nom de Jard-Sur-Mer, qui sent l’iode et l’œillet de dune. C’est dans ce village que mes grands-parents paternels habitent depuis 50 ans. Un village peu dynamique hors saison estivale dont l’héliotropisme transforme le silence campagnard en un brouhaha incessant. J’y passe régulièrement mes vacances. Pour un jeune de la génération Z qui passe ses vacances chez ses grands-parents à la campagne, les options de divertissement sont assez limitées : la plage, les balades en forêts, la cueillette de champignons, le jardinage ou la pêche. Internet n’étant pas forcément répandu dans les chaumières de nos aïeuls, il faut laisser la curiosité nous envahir et s’ouvrir aux découvertes de nouveaux passe-temps ou de nouvelles passions.
Le décor désormais planté, je peux commencer mon histoire. Un beau jour, ma grand-mère me demanda de me rendre dans sa chambre afin de lui apporter un objet. Après quelques tâtonnements dans un tiroir, quelle ne fut pas ma stupeur quand je découvris une jaquette du jeu Tomb Raider dans ses affaires ! Oui, Tomb Raider, le célèbre jeu vidéo qui place au centre de son récit Lara Croft, une aristocrate anglaise devenue farouche archéologue et aventurière qui entreprend d’arpenter le monde pour en dénicher ses secrets. La jaquette était celle d’un jeu pour PC, c’était en fait le tout premier opus de la saga Tomb Raider, développé par Core Design et publié par Eidos Interactive. Qualifié de porte-étendard du féminisme vidéoludique, le jeu place une femme au centre de l’intrigue, une idée qui séduisit ma grand-mère.
Nous sommes en 1998, le jeu vient de sortir il y a de cela 2 ans. Alors âgée de 60 ans ma grand-mère devient durant quelque temps une gameuse. Non, plus que cela : une geek. Claudine Didier découvre dans Tomb Raider un moyen de ressentir de nouvelles émotions telles que l’excitation suscitée par l’exploration, la découverte de secrets enfouis ou les arpentages d’endroits sauvagement naturels. Effectivement, si les graphismes ne permettent peut-être pas de se délecter d’un paysage presque palpable, c’est pour ma grand-mère une redécouverte de du divertissement, de l’amusement et de l’évasion. Jouer aux jeux vidéo à plus de 50 ans, c’est aujourd’hui peu commun, mais il y a 24 ans, c’était inimaginable.
Ma grand-mère a l’allure de Lara Croft : intrépide, téméraire, elle pouvait s’identifier à cette dernière. Ce personnage lui fait vivre une aventure dont elle se souvient toujours aujourd’hui, près de 25 ans après, malgré de sérieux troubles de la mémoire. Ma grand-mère m’explique que Tomb Raider, c’était son évasion, son divertissement lui faisant parfois veiller très tard, ce que mon grand-père ne comprenait pas. Scène plus que comique lorsque nous imaginons que mon grand-père perdait alors le seul allié qu’il avait dans sa tentative de compréhension du monde numérique. Surtout que, lorsqu’elle était bloquée dans le jeu, elle cherchait la solution sur Capitaine-Alban, une belle mise en abîme prouvant son caractère enflammé pour l’aventure. Personne ne s’imaginait que Claudine Didier était une geek, qui tirait sa réjouissance quotidienne d’un jeu vidéo. Elle y aura consacré des heures, puisque Claudine aura joué à la première trilogie intégralement, faisant d’elle une joueuse chevronnée de la saga.
Tomb Raider n’était pas un jeu facile, c’était un jeu effrayant que les graphismes appuyaient, mais aussi énigmatique et stressant. Un jeu pour lequel il faut se dépasser. Malgré tout cela, ma grand-mère était une badass. Pistolets en main, elle écartait ses ennemis d’une salve de tirs, tout en déjouant un piège artéfacté avant de résoudre la prochaine énigme sur son chemin. Tout cela, uniquement à l’aide d’un clavier ! Cette scène que mon père me décrit est surréaliste et je souhaitais la partager avec vous. Ma grand-mère, qui ne comprenait rien aux jeux-vidéos au monde numérique, avait fini par en intégrer les codes, lui faisant faire une nouvelle gymnastique mentale, puisque le jeu demande beaucoup de coordination, de réflexes, mais est aussi éprouvant lors des affrontements des différents « boss ».
Tomb Raider a permis à une personne dont la génération n’était absolument pas destinée aux jeux-vidéos, de se réjouir, de s’amuser, en bref d’expérimenter des émotions parfois ternies ou oubliées. En clair, Tomb Raider est la preuve que le jeu vidéo n’est pas simplement un outil de divertissement. Il peut devenir un temple de ressourcement et proposer une expérience immersive, nous faisant vivre des émotions qui, au fil du temps, restent en nous.