Raphaël Hauptmann, diplômé d’emlyon business school en 2003, revient avec nous sur son parcours et ses expériences et nous dévoile ses conseils, lui ayant permis de trouver sa voie dans la finance, et plus particulièrement dans le secteur de l’agroalimentaire. Aujourd’hui directeur financier pour la filiale Japon et Corée au sein du Groupe Bel, il s’exprime dans les colonnes du M.
Par Angélique Grimault, rédactrice pour LE M
Bonjour Raphaël, pourriez-vous vous présenter à nos lecteurs (qui êtes-vous, votre parcours, votre poste actuel) ?
Je suis originaire de Paris où j’ai grandi. J’ai intégré emlyon à la suite d’une classe préparatoire HEC au lycée Masséna de Nice, et en ai été diplômé en 2003. Dans le cadre de mes études à emlyon, j’ai saisi l’opportunité de m’intéresser à la culture et à la langue japonaises en bénéficiant des cours donnés par le professeur Etsuo Yoneyama qui y enseignait à cette époque. Je suis parti à Osaka pendant un an, où j’ai effectué un stage dans une société industrielle, fournisseur de Toyota. Ce fut une très bonne expérience, qui a confirmé mon attrait pour ce pays.
J’ai commencé ma carrière dans le secteur de l’agroalimentaire, chez Nestlé France, sur le site historique de la chocolaterie de Noisiel. L’industrie m’attirait, le fait d’avoir un produit et une stratégie marketing. J’y ai passé quatre ans, en tant que contrôleur de gestion, à la fois sur l’activité retail et l’activité food service. Le Groupe Nestlé – qui se distingue par sa stabilité en matière de croissance, de profitabilité, et de rentabilité – a été une excellente expérience pour apprendre avec de bonnes méthodes de management.
En 2007, pour des raisons personnelles, mon épouse japonaise et moi-même, avons décidé de partir au Japon. J’ai commencé à travailler chez Valrhona, une société de chocolats et de produits haut de gamme, à destination d’une clientèle professionnelle. J’ai apprécié la passion des collaborateurs pour le produit, mais également la convivialité et l’esprit de famille qui régnaient dans l’entreprise. Ce fut intéressant de participer à la dynamique de développement à l’international, en Asie et aux Etats-Unis notamment, de cette société française qui commercialise des produits d’exception.
J’ai ensuite travaillé chez Bic, société qui fabrique principalement des produits à base de plastique : stylos, briquets et rasoirs. Cela représentait une opportunité aussi bien en matière de volume d’affaires, plus important, qu’en matière de force de marque à travers leurs produits mythiques. J’étais principalement présent sur les activités retail et les canaux de distribution – magasins de proximité au Japon. J’ai pu découvrir l’aspect commercial de la stratégie de vente et de la stratégie de canaux de distribution.
J’ai travaillé, en majeure partie, pour des entreprises françaises ou implantées en France jusqu’à ce moment, où j’ai souhaité vivre une expérience différente. J’ai alors rejoint la filiale d’une société australienne à Tokyo : Ellex, spécialisée en ophtalmologie et produits high-tech. Ce fut similaire à une expérience en startup, tant le degré d’innovation était fort, et les nouvelles technologies arrivantes devaient être déployées rapidement sur le marché japonais. J’ai eu l’occasion de travailler sur le développement d’un outil de gestion de la base clients : Salesforce. Ce fut passionnant d’acquérir de nouvelles compétences dans l’élaboration d’une stratégie marketing et commerciale.
Enfin, j’ai rejoint le Groupe Bel pour lequel je travaille actuellement. Je suis Directeur Financier de la région Nord-Asie, pour la filiale Japon et Corée. Cela a marqué mon retour dans le secteur de l’agroalimentaire, dans un groupe familial français, avec des produits emblématiques et des marques très fortes telles que La vache qui rit, Mini Babybel ou encore Kiri. Je dirige une petite équipe basée à Tokyo, et composée de membres de nationalités multiples : la plupart sont Japonais, mais il y a des Français et des Anglais. Bel se distingue par cette culture de la diversité, et cela fait maintenant trois ans que je travaille en jonglant avec ces trois langues au quotidien : japonais, français et anglais. Nous avons beaucoup travaillé sur le développement des marques du groupe au Japon, notamment de la marque Kiri, qui bénéficie désormais d’une forte notoriété auprès de la population japonaise. Il faut penser une démarche marketing complète, via les nouveaux modes de communication digitaux. La période de crise sanitaire a marqué une transition vers le travail hybride. À présent, nous avons pu trouver un équilibre entre travail chez soi et travail au bureau, bien que nous ne puissions plus aller visiter les équipes en Corée.
Lorsque l’on regarde les entreprises dans lesquelles vous avez travaillé, en plus de Bel, deux sont dans le secteur de l’agroalimentaire : Nestlé et Valrhona (chocolat). On se doute que vous appréciez ce secteur. Pourquoi celui-ci et pas un autre ?
La mission de l’agroalimentaire est basique : nourrir. Cette mission me plaît, parce qu’elle est d’actualité et qu’elle intègre le développement durable, dans lequel l’agroalimentaire a un rôle essentiel à jouer – une bonne part des émissions de CO2 étant liées à ce secteur. À travers mes expériences chez Nestlé puis chez Valrhona, j’ai acquis un savoir-faire dans l’industrie, qui me permet aussi d’apporter une valeur ajoutée aux entreprises de ce secteur. J’apprécie le fait de travailler sur un produit de qualité, le plaisir de développer ce produit et de le manger. Ce sont également des marques connues, avec un rayonnement en France et à l’étranger, à travers des produits d’alimentation saine et de qualité, réel vecteur de diffusion de la culture française.
Beaucoup d’étudiants mettent du temps à savoir ce qu’ils veulent faire comme métier, et font parfois des stages très différents. De votre côté, vous avez tout de suite choisi la finance, pourquoi ce choix ?
Chantal Poty, la directrice des programmes d’emlyon de l’époque, m’avait posé cette question lors de mon entretien de bilan. Je pense qu’il est important de tester différents métiers, ce que je n’ai pas fait pendant mon parcours. La finance m’attirait, étant plutôt bon en mathématiques et à l’aise avec les chiffres. Aujourd’hui, la finance est au carrefour de l’information dans l’entreprise. Notre mission consiste en un rôle de consultant interne en matière de stratégie, de choix et d’arbitrage financier, que l’on qualifie souvent de copilote ou de business partner. Nous devons canaliser les différentes équipes grâce à un support d’analyse. Nous pouvons également participer aux décisions stratégiques, commerciales et marketing, ou encore faire des simulations sur de nouveaux produits, de nouveaux business models, de nouveaux canaux de distribution et de nouveaux clients. Cet aspect prospectif m’a beaucoup plu, à travers la réalisation de plans pour l’année en cours, pour l’année suivante, voire pour les trois à cinq années à venir.
Une question que beaucoup se posent : faut-il obligatoirement faire tous ses stages en finance pour travailler dans ce domaine une fois diplômé ? Existe-t-il des stages (M&A, audit, …) des entreprises, ou des secteurs particuliers qui permettent de mieux réussir dans ces métiers ?
Si l’on souhaite trouver du travail en finance, il est important d’avoir réalisé au minimum un stage dans ce secteur, ne serait-ce que pour confirmer son goût pour le métier. Je recommande de faire le plus de stages et de VIE possibles, de prendre son temps pour comprendre et apprendre. C’est une période de découverte, où l’on peut se permettre de diversifier ses expériences. Pour autant, si l’on est passionné de finance depuis le début, c’est un avantage aussi, qui nous permettra d’apprendre beaucoup en ne se focalisant que sur ce domaine en particulier. Pendant mes années à emlyon, le parcours étant à la carte, j’avais choisi beaucoup de cours de finance. Il est intéressant d’avoir la possibilité de choisir ses cours, et de les diversifier à travers toutes les disciplines possibles allant du marketing et commercial aux ressources humaines, pour avoir la vision la plus large possible.
Même question pour l’agroalimentaire : faut-il obligatoirement avoir une expérience passée dans ce secteur pour y travailler ?
Au niveau du secteur agroalimentaire spécifiquement, je ne pense pas qu’il faille nécessairement une expérience passée pour y travailler, je considère qu’il faut plutôt une expérience dans l’industrie en général. Si l’on a effectué majoritairement des stages en banque et assurance par exemple, ce sera plus difficile de trouver un poste en industrie agroalimentaire. En revanche, si l’on a réalisé un stage en industrie automobile par exemple, j’estime que l’industrie reste l’industrie et même si le produit est très différent, nous avons les mêmes manières de travailler. La séparation se fait plutôt entre le secteur des banques et assurances et le secteur de l’industrie, mais au sein de l’industrie même, rien ne nous empêche de changer de produit. Cela est d’autant plus vrai en finance, étant donné que l’on n’est encore moins orienté du côté du produit, mais davantage orienté du côté de l’analyse.
Vous êtes actuellement Directeur financier Asie du Nord chez Bel. Qu’est-ce qui vous plaît dans ce métier et pourquoi avoir choisi cette entreprise en particulier ?
Le choix de l’entreprise s’est fait dans les deux sens, car c’est aussi l’entreprise qui m’a choisi. Une opportunité s’est présentée, et j’étais intéressé par le poste. La société Bel possède un véritable historique, un patrimoine culturel avec des produits très familiers. Au sein de la fonction finance, la partie analytique me plaisait, avec cette contribution à la stratégie de l’entreprise et son élaboration pour les deux, trois, voire cinq années à venir, avec les autres membres du comité de direction. Je voyais également la gestion d’une équipe et le développement de ses compétences comme un challenge, celui de manager des collaborateurs, de les motiver à atteindre les objectifs. J’apprécie également la culture d’entreprise du Groupe Bel, avec une certaine simplicité dans sa manière de communiquer, et une marge de prise d’initiatives assez importante. Étant de caractère assez indépendant, j’apprécie faire partie de cette petite filiale d’une quarantaine de collaborateurs rayonnant sur le Japon, car cela nous confère un certain pouvoir de décision sur la stratégie de l’entreprise et le devenir du business dans le métier. Enfin, ce rayonnement sur deux pays, le Japon et la Corée, me plaît. Il était agréable de pouvoir aller en Corée de temps en temps, rencontrer l’équipe sur place et découvrir un autre marché. Cela n’est malheureusement plus possible aujourd’hui, en raison de la situation sanitaire, mais nous gardons contact via des visioconférences fréquentes avec l’équipe basée à Séoul. Ces interactions avec l’équipe locale, l’équipe en Corée et le siège en France constituent l’un des intérêts majeurs du poste que j’occupe, et sont nécessaires pour maintenir un lien, traiter les dossiers légaux et fiscaux avec les équipes au siège, mais aussi partager les informations essentielles sur les résultats de l’entreprise au niveau du groupe. Cette position de directeur financier est donc relativement exposée au niveau du groupe, car nous faisons la passerelle entre le siège et les équipes locales, pour communiquer les chiffres clés de l’entreprise.
Vous semblez également nourrir un amour pour l’Asie et pour le Japon plus particulièrement, aujourd’hui chez Bel, mais également lors de vos précédentes expériences, chez Valrhona, Bic, ou Ellex. D’où vient votre amour pour cette zone géographique/ce pays ?
Le Japon est un pays à la fois mystérieux et familier, auquel on est exposé dès l’enfance, avec les dessins animés japonais et les arts martiaux. L’attrait pour la culture japonaise m’est venu par pure curiosité. C’est un pays incroyable, qui conserve ses traditions tout en étant ultra moderne. On trouve beaucoup de points communs entre la culture japonaise et la culture française : les deux pays sont très développés en matière de gastronomie, de musique, d’art, d’artisanat, de littérature, de cinéma. J’ai pratiqué l’aïkido à Tokyo il y a quelques années. J’aime aussi beaucoup les films d’Akira Kurosawa, un réalisateur japonais, avec une filmographie impressionnante. Takeshi Kitano a également réalisé de très bons films, qui ont rencontré un énorme succès en France. Le cinéma est un vecteur important pour diffuser une culture. C’est donc cette envie de comprendre le mystère japonais qui a attisé ma curiosité à l’égard de ce pays.
Quelles sont vos missions concrètement aujourd’hui chez Bel ? En quoi consiste réellement le métier de directeur financier dans un groupe d’agroalimentaire ?
La mission principale du directeur financier est le copilotage du business ou business partnering. Il s’agit de mener les analyses qui permettent à l’entreprise de prendre les bonnes décisions dans tous les domaines : lancement d’un produit, choix du road-to-market, etc. J’interviens aussi beaucoup dans les dossiers légaux, pour renégocier les contrats avec nos distributeurs par exemple. Actuellement, nous connaissons une vague d’inflation dans les matières premières chez nos clients, et le directeur financier a son rôle à jouer dans la préparation de l’argumentaire pour les décisions commerciales en support des équipes commerciales. Nous fournissons donc aux équipes commerciales et marketing, les informations dont ils ont besoin pour prendre les meilleures décisions.
Ensuite, le directeur financier joue un rôle d’accompagnateur de la transformation digitale de l’entreprise. L’année dernière, j’ai travaillé, par exemple, sur un projet d’introduction d’un nouveau reporting sous l’outil Power BI, afin d’avoir de développer des dashboards et de fournir des insights en matière de chiffres commerciaux, ventes par clients et par produits, essentiels pour les décisions commerciales et marketing. Nous accompagnons également la transformation en matière de culture d’entreprise, dans cette recherche de productivité au niveau de tous nos process internes. Au niveau de la fonction finance, il existe déjà de nombreux process : comprendre les flux facturation et les flux physiques, comprendre la chaîne de valeur, apporter de la transparence sur la chaîne de valeur du produit, connaître le coût de chaque étape de la supply chain. Nous cherchons sans cesse à améliorer les outils, améliorer les reportings, et travailler sur l’efficacité des process.
Par ailleurs, le directeur financier joue un rôle dans la fiabilité de l’information et du reporting. Cela constitue une majeure partie de notre travail au travers de la clôture mensuelle, il nous faut des chiffres précis qui reflètent la réalité du business. Être dans un groupe international implique que le siège souhaite de la transparence et de la visibilité sur le business dans chaque pays. C’est la fonction finance qui a la charge de transférer ces informations via un reporting mensuel, et un deck PowerPoint d’une trentaine de slides. Lors d’un business review, nous discutons des résultats de l’entreprise du mois, des derniers mois, et de la projection de l’atterrissage annuel. Les deux grands rôles de la fonction finance sont donc d’une part la partie reporting et d’autre part la partie forecasting. L’importance de notre fonction se joue à travers notre capacité à intégrer toutes les informations disponibles, internes et externes à l’entreprise : les données marché et les données de taux de change qui influencent notre business, les données macroéconomiques, commerciales et marketing. Nous devons intégrer toutes ces données pour bâtir une prévision de la profitabilité et de la performance commerciale de l’entreprise dans le futur.
C’est un métier passionnant avec beaucoup de facettes différentes, et selon notre personnalité, nous nous dirigeons davantage vers un domaine ou un autre. Personnellement, j’apprécie toute la partie business partnering et copilotage, sur laquelle je travaille beaucoup avec les équipes locales, les équipes commerciales et marketing à travers les nouveaux projets.
Quels sont selon vous les avantages et inconvénients à travailler dans un grand groupe ?
Les avantages à travailler dans un grand groupe sont que généralement le business tourne bien, grâce à des process existants et des systèmes qui fonctionnent. Il est motivant de travailler dans un cadre ayant une certaine stabilité, car cela permet de consacrer du temps à des missions à plus haute valeur ajoutée, sans en perdre sur les processus routiniers qui fonctionnent bien. La mobilité, de façon générale, est aussi un très bon avantage : les opportunités de changer de fonction, de changer de position dans un même département, de changer de marché, ou passer du siège à l’usine par exemple. En matière de rémunération, il est aussi sans doute plus avantageux de travailler au sein d’un grand groupe. Enfin, le fait de travailler pour une marque et une entreprise connue, représente aussi une reconnaissance de notre travail et de notre entreprise.
Dans une petite entreprise, à l’inverse, nous bénéficions de plus de marge de manœuvre et de liberté, et produisons moins de reportings par exemple. Nous sommes plus libres d’organiser notre temps et de travailler sur des projets. Lorsque je travaillais pour Ellex, une PME australienne, nous avons eu la liberté d’installer Salesforce au sein de la filiale, en gardant la main sur l’implémentation du système d’information. J’ai également implémenté, en quelques mois, un système qui s’appelle Concur, pour gérer les notes de frais sur une plateforme digitale. Dans une petite entreprise, cela m’a pris trois mois, dans un grand groupe le même projet prendrait deux ans. Cela est lié au fait que l’on doive faire les choses dans le détail, il y a de nombreux interlocuteurs et niveaux de validation différents, il y a plus d’enjeux. Il faut étudier longuement s’il s’agit de la bonne solution, du bon moment, alors que dans les petites entreprises, tout va très vite : en matière de décisions, il y a une proximité différente.
Des conseils pour les étudiants qui aimeraient se lancer dans le secteur de l’agroalimentaire, en particulier dans un pays étranger ?
Je conseille vivement de partir à l’étranger. Il ne faut pas craindre l’échec, parce qu’on apprend souvent davantage de nos échecs que de nos succès, ou au moins tout autant. L’agroalimentaire à l’étranger est passionnant, on découvre une nouvelle langue et une nouvelle culture. Les premiers mois peuvent être difficiles, il peut y avoir des frustrations de ne pas comprendre ce qui se passe autour de soi, mais lorsque l’on dépasse cela, on apprend énormément. En matière de conseils, je dirais que l’étranger est proche et donc accessible. L’Italie et l’Espagne sont des destinations très intéressantes, avec un gap culturel relativement important, bien que ce soient des pays frontaliers.
Lorsque l’on éprouve de l’intérêt à l’égard de l’agroalimentaire, il est important de se poser la question de ce qui nous attire précisément : est-ce le développement durable, la qualité, le premium, ou au contraire le fait de nourrir la planète entière ? Il y a de nombreux positionnements différents dans l’agroalimentaire, c’est l’occasion de se pencher sur nos réelles motivations, en allant se renseigner sur les sites d’entreprise pour trouver la société qui nous inspire. Il y a d’autant plus de matériel disponible, que les entreprises d’agroalimentaire développent leurs chartes de développement durable, leur discours, etc. J’encourage donc les étudiants à se renseigner, à consulter les sites internet, à écouter les podcasts et les interviews, pour se faire une idée des entreprises et du fonctionnement de l’industrie. L’agroalimentaire est au cœur de nombreux sujets d’actualité, on revient à la mission principale, et même cruciale et stratégique lorsque la situation internationale devient compliquée : nourrir la population. L’indépendance alimentaire au niveau d’un pays est essentielle. Étant acquise pour la France, il en est tout autre pour le Japon, qui importe plus de 60% de son alimentation – le pays étant lui-même assez pauvre en ressources avec une production agricole relativement limitée.
Quels sont selon vous les enjeux majeurs du secteur de l’agroalimentaire dans les prochaines années ?
Les enjeux principaux du secteur de l’agroalimentaire à moyen-long terme se situent au niveau du développement durable. Tout d’abord, la réduction des émissions de CO2 devient essentielle. Le Groupe Bel et sa devise « from farm to fork », entend travailler sur toute la supply chain de ses produits en partant des fermiers, pour réduire ses émissions de CO2. La question intervient notamment dans la façon dont il faut nourrir les vaches : faut-il les faire manger dans des pâturages ou importer du soja du Brésil ? Cela va aussi passer par l’innovation et le transfert vers le plant based : les produits à base de plantes. Cette révolution est déjà en cours et évolue très rapidement. En effet, les produits végétaux génèrent beaucoup moins d’émissions que les produits à base animale. Le fromage fait partie des produits qui seront de plus en plus adossés à une base végétale. Le Groupe Bel a commercialisé un nouveau produit 100% végétal : la marque s’appelle Nurishh, et est déjà commercialisée en Europe et aux États-Unis. Cette diversification se poursuit aussi dans les produits à base de fruits, car le Groupe Bel a racheté le Groupe MOM il y a quelques années, qui produit des purées de fruits.
Ensuite, un des autres enjeux majeurs est la réduction des pertes et des destructions de produits. Le Groupe Bel s’est associé à des démarches de type Too Good To Go et de dons à des associations, pour montrer que le produit peut être encore comestible même si la date limite de consommation est dépassée d’un ou deux jours, et qu’il faut rééduquer les consommateurs à ce sujet. Une révolution culturelle est en cours, avec l’ambition de réduire sa consommation de viande et de ne pas gâcher la nourriture. Cela va devenir de plus en plus naturel à mesure que le degré de compréhension des consommateurs progresse et le degré d’urgence climatique s’intensifie. Les entreprises ont leur rôle à jouer en matière de réduction du gaspillage, car ils accumulent de nombreux stocks d’invendus quotidiennement. Nous sommes dans une ère de recherche d’une alimentation plus saine et responsable.
Par ailleurs, un des enjeux importants à court terme pour les entreprises du secteur de l’agroalimentaire, est de réduire l’inflation. En effet, à court terme, seule la hausse des prix peut permettre d’absorber la hausse du coût des matières premières. De nombreuses marques ont déjà augmenté leurs prix cette année et cela risque de se poursuivre. C’est un enjeu commercial et marketing. Comment conserver nos consommateurs ? Comment négocier avec nos clients ces hausses de prix ? Pour répondre à cet enjeu, il faut rester centré sur les besoins du client et du consommateur, en conservant des marques fortes et en valorisant la qualité des produits.
Pour finir, comme vous travaillez dans une entreprise productrice de fromages, êtes-vous plutôt fromage suisse ou fromage français ?
J’ai une préférence pour le fromage français. J’aime beaucoup le comté. Mon fromage préféré est le Kiri.